Félicitations ! Ton soutien à bien été envoyé à l’auteur
avatar
Chapitre 6.2 : Interrogations

Chapitre 6.2 : Interrogations

Publié le 24 juin 2025 Mis à jour le 24 juin 2025 New Romance
time min
0
J'adore
0
Solidaire
0
Waouh
thumb 0 commentaire
lecture 9 lectures
1
réaction

Sur Panodyssey, tu peux lire 10 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 9 articles à découvrir ce mois-ci.

Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit ! Se connecter

Chapitre 6.2 : Interrogations


J’ai une réunion imprévue ce soir et j'ignore à quelle heure je rentrerai. Peux-tu faire manger Pierig et s’assurer qu’il fasse tous ses devoirs ?

Bien sûr, pas de problème. Je te laisserai ton assiette au frais, répondit Valentin, semblant accepter ce contretemps avec philosophie.


Gros plan sur la scène, sur le visage de Valentin, sur son léger sourire.

— A quoi penses-tu, Valentin ? demanda sèchement Ronan.

— Ah, tu étais là, répondit timidement l’intéressé.

— A quoi pensais-tu ? Tu acceptes de bon cœur de perdre plusieurs heures à t’occuper de tâches quotidiennes alors que ton esprit est ailleurs, qu’il tente d’hypothétiques transmutations d’idées et s’évertue à assembler des mots encore trop chauds.

— Une heure, j’ai besoin d’une heure encore, implora Valentin, comme si ces soixante minutes devaient être la morphine qui le délivrerait de son obsession. Une heure, reprit-il, le temps qu’il me faut pour lisser quelques paragraphes.


Ronan connaissait cette prière adressée au Temps, cet appel à un peu plus de générosité dans le partage des heures afin que la main puisse donner forme au chapitre couché sur la forge de l’inspiration, afin que les yeux puissent voir l’histoire s’éveiller à la vie, telle une chrysalide de papier qui déchirerait son cocon.

Les deux hommes s’étaient tus ; l’un se sentait las, l’autre, pitoyable.

— C’est la première fois que j’éprouve de la joie au retard de Julie, confessa Valentin. C’est curieux, le besoin d’écrire s'amplifie chaque jour au lieu de décroître comme devrait le faire tout plaisir dont on abuserait.


Ronan ne répondit pas, il extirpait de toutes ces scènes de retrouvailles de froides statistiques sur le rapport plaisir/frustration, il dressa quelques tableaux rigides, quelques courbes au revers cinglant. En conclusion, le plaisir était toujours plus élevé que la frustration. Cependant, une baisse constante de ce rapport se faisait sentir et un moment viendrait où le dénominateur prendrait le dessus sur le numérateur. Ronan estima que ce moment viendrait vers la quatre centièmes répétition.


« Deux ans seulement, pour dénigrer la douceur des retrouvailles. »

Ronan occupa le reste de la journée à s’interroger sur ses craintes. L’informatique lui avait confié tout ce qu’elle savait, la suite lui appartenait à présent.

Puis il décida…

Il se sentit brusquement beaucoup plus léger… Il entama alors un nouveau chapitre, le dernier bien sûr. D’une seule traite.


En fin d’après-midi, il s’invita chez ses personnages.

— Bonjour Julie, bonjour Valentin.

— Bonjour Ronan. Entre.

— Tu veux boire un verre ? reprit Valentin.

Ils prirent l’apéritif en silence. La glace qui se délitait lentement dans l’alcool semblait se sublimer pour devenir un froid brouillard entre les trois protagonistes. Par moments, les gestes de Julie se teintaient d’une légère douleur, d'ecchymoses aux couleurs de sa chute encore récente.


— Alors ? demanda enfin Julie d’un air provocateur.

— Je ne peux rien vous dire…

— Bien sûr ! reprit sèchement Julie en se levant d’un coup. Je ne sais pas pourquoi je demande.

— Je vais vous rendre votre liberté, ajouta Ronan.


Julie parut touchée. Elle figea son mouvement, son verre vide à la main.

— C’est-à-dire ? demanda Valentin.

— C’est-à-dire qu’il n’a plus besoin de nous ! continua Julie d’une voix plus forte, et qu’il n’a vraisemblablement pas l’intention de mener notre histoire à son terme. Il va nous abandonner comme certains abandonnent leur chien au bord de la route avant de partir en vacances.

Ronan ne répondit rien, laissant cette comparaison peu flatteuse insinuer son venin dans les esprits. Quelques instants d’un silence pesant firent monter la pression déjà bien palpable et Julie posa brusquement son verre sur la table. D’un air méprisant, elle reprit :

— Tu vois chéri, nous ne sommes plus que deux verres vides, à qui l’on a soutiré tout le jus, nous sommes devenus transparents, plus rien à cacher, plus rien à offrir, mais visqueux et poisseux d’avoir servi… Tenez, ne vous dérangez pas, je vais faire le travail à votre place, dit-elle encore à son géniteur.


D’une pichenette, elle fit rapidement glisser le verre en direction de ce dernier. Parvenu au bord de la table, celui-ci bascula brusquement et vint éclater au sol entre les pieds de Ronan qui n’avait pas bougé.

Des pépites de verre s’égaillèrent dans toute la pièce, trouvant refuge sous un meuble, une chaise, dans un coin. Julie se leva, sans un mot ni un regard, ouvrit la porte, quitta la pièce, quitta la maison. Elle ne referma rien derrière elle, abandonnant la place, mais restant dans la ligne de mire comme pour mieux défier son créateur…

— Vous n’existiez pas, il y a une semaine, lâcha Ronan du ton de celui qui daigne se justifier du bout des lèvres. Votre existence n’a débuté que par la folle journée qui vous a conduit ici. Au moment même où je cesse de penser à toi ou à Julie, vous tombez tous deux dans un coma de l’imaginaire qui pourrait ne jamais finir. Votre histoire a été faussée dès le début, elle n’a plus eu d’avenir dès l’instant où Mathilde m’a demandé de prendre votre destinée en main.


Valentin ne répondit pas.

— J'archiverai les quelques pages qui vous concernent, il n’y aura pas de suite, pas de fin, reprit Ronan.

Valentin s’éclaircit la voix et parla posément, sans bafouiller ni regretter.

— Je ne veux pas rester bloqué au fond d’une mémoire d’ordinateur. Que sait-on de ce que vivent les comateux de l’imaginaire ? Supprime-nous de tes souvenirs, laisse-nous espérer une nouvelle chance, ailleurs… Je suppose que l’on ajoute « fais vite ! » dans ces cas-là.


Julie s’était laissé emporter au gré des rues dans la cohue de cette fin de journée. Dans une artère passante, deux foules identiques sur deux trottoirs opposés, mais nées des mêmes individus, s’élancèrent simultanément, marchant de pair le temps éphémère d’un froissement d’épaules. La trame de leur vie ne se croisait que le temps ridicule d’un passage piéton.

Noir, blanc, noir, blanc, noir. Les deux foules s’engluèrent soudain, se confondirent l’espace d’un instant, puis se recristallisèrent chacune du côté opposé, sous le regard vitreux des parebrises derrière lesquels impatientaient des chevaliers à la recherche d’une noblesse perdue.

« J’écris, donc je vis encore. »

« J’écris, donc je vis encore. »

Ronan était parti.

« J’écris, donc je vis encore. »

Valentin s’était installé derrière son clavier et martelait les mêmes touches encore et encore pour ne pas attendre le moment où la défection de Ronan viendrait le cueillir.

« J’écris, donc je vis encore. »

Les chevaux frémirent. Leurs muscles métalliques se détendirent et ils s’enfuirent vers une autre de ces excroissances de métal abrutissantes de leurs trois couleurs, rouge, vert, orange, rouge, rouge, vert, orange, rouge, rouge, rouge, toujours rouge, semblait-il. Elles avaient poussé là comme une poussée d’urticaire, en réaction contre le désordre trop souvent conséquence du mode de survie végétative de toute cette foule indistincte.

« J’écris, donc je vis encore. »

Julie suivait son chemin de croix ou de croisement sans réagir, noyée dans la masse des piétons. Ronan était un bourreau qui prenait son temps comme pour laisser l’espoir de la grâce. Il n’y aurait pas de grâce, mais il n’aurait pas voulu, plus tard, avoir à se reprocher des décisions hâtives. Qu’ils souffrent donc plus longtemps, il se sentait déjà loin, très loin de ses deux marionnettes.

« J’écris, donc je vis encore. »

Julie ne s’était toujours pas retournée. Elle attendait, tout en marchant. Les mêmes gens, le même petit homme vert, le même noir, le même blanc. Un signe, un appel fébrile derrière un pare-brise…

« Pour moi ? »

Une jeune femme que Julie n’avait jamais vue venait d’ouvrir la portière côté passager de sa voiture, et Julie s’y engouffra sans même réfléchir.

« J’écris, donc je v… »


Ronan avait supprimé le fichier. Plus de traces. Le dossier « roman en cours » était redevenu propre, blanc. Blanche aussi maintenant la page sur laquelle s’escrimait Valentin avant de disparaître, à moins que Valentin fût lui-même cette page blanche qui glissait au sol dans un dernier salut.

Ronan resta un moment sans réaction, comme si son geste aurait dû avoir des effets immédiats sur son milieu de vie. Il craignait une sorte de paradoxe temporel, une réécriture du passé qui aurait abouti à recouvrir son quotidien d'une nouvelle couche en réplique à ses actes.

Inconsciemment, pourtant, il savait qu'il n'en serait rien ou qu'il n'en saurait rien de toute façon ; le temps lissait toute courbe et gommait tout impact.


Valentin gisait à présent sur le sol froid.

Ronan émergea de ses divagations au bout d'une dizaine de minutes en songeant que jeter un feuillet dans une corbeille ne suffisait pas pour le nier ou le détruire. Si le texte avait été de papier, il eût fallu le brûler. S'il avait été gravé, il eût fallu le limer. S'il avait été de glace, il eût fallu le faire fondre.

Pour une éradication complète, il aurait à reformater le disque, mais il se contenta de « vider la corbeille » dans un premier temps.

— Supprimer définitivement Julie (O/N) ?

— Oui, dépêche-toi.

— Où est Julie ? demanda furtivement l’ordinateur avant de lancer tout de même l’animation qui montrait les feuilles déliquescentes de la corbeille se perdre sans rémission possible.

« Comment ça, où est Julie ? »

Ronan eut un instant l'envie malsaine d’arrêter la procédure pour voir le corps de ses personnages, pour s'assurer qu’ils étaient bien là, qu'il en était resté le maître jusqu'à l'ultime phrase, mais il abandonna cette dernière infamie et s'autorisa un doute en forme de voile pudique.


Ce chapitre de sa vie était clos et il fallait à présent laisser s'effriter ce passé chaotique et ce couple mort pour le sien. Si sa relation avec Mathilde n'était pas encore sauvée, elle était au moins remise d'aplomb.

En fin d’après-midi, Mathilde rentra. Ronan put enfin ne pas la regarder. Ses tourments semblaient s'être dissous et pour la première fois depuis une semaine, Ronan venait de retrouver la sérénité. Il ne s'offusqua pas de son apparente froideur quand elle monta dans sa chambre.

Elle allait y trouver ses conclusions. Mathilde devinerait, à les lire, que ces conclusions étaient exemptes de toute rancœur. Elle les parcourrait à cœur ouvert.

— Bonsoir Ronan.


Ce dernier se retourna brusquement. Pas de téléphone, Mathilde était devant lui et LE regardait, et il s'agrippa à ce regard comme il ne l'avait plus fait depuis longtemps. Ils s'embrassèrent et Ronan remercia silencieusement Julie et Valentin. Mathilde avait sa valise à ses pieds.

— Tu es rentrée… Je ne t'ai pas entendu revenir…, bredouilla enfin Ronan.

— J'arrive à peine. Pierig n'est pas là ?

— Non, après la scène de ce matin, je suppose qu’il prend son temps.

— C’est ta faute s’il jouait les malades, mais je suppose que tu ne l’avais pas deviné. Comme j’ai refusé de le laisser ici avec toi, il m’en veut encore plus qu’à toi maintenant.


Ronan resta coi.

— On parlera de notre avenir demain, d'accord ? reprit Mathilde.

— D'accord, répondit simplement Ronan.

Athos vit s'affairer ses maîtres dans la maison, comme avant. Il les vit parler en se donnant la parole, directement. Il ne comprit pas ce qui se disait, toutefois leur voix le rassurait, c'était bon de retrouver ses repères. Il bâilla, se coucha, pour un peu, il se serait mis à ronronner, mais les chiens ne ronronnent pas, tout le monde sait ça, ses maîtres n'auraient pas compris, eux si rationnels, si humains.


Mathilde reprenait les rênes de la maison en main ; Athos voyait bien que le désordre refluait, pied à pied, tas par tas. Plus tard, Pierig rentra à son tour. Ses parents eurent droit à un « bonsoir m’man, bonsoir p’pa » lancé d’une voix calculée pour ne pas susciter l’envie d’une conversation.

Ils mangèrent ensemble dans un calme qui ne semblait pas même précéder ou annoncer de tempête, comme si l’accalmie s’était installée pour durer. Le dénouement pouvait-il se dérouler sans heurts ni douleur ?


L’extinction des feux suivit bien vite le « cessez-le-feu ». Les deux protagonistes principaux, délivrés du poids de la rancœur, avaient baissé leur défense et n’aspiraient plus qu’à prendre un peu de repos. Les tours de garde n’étaient plus nécessaires, ils s’endormirent au bout de quelques pensées récurrentes. Seul Pierig mit plus longtemps à trouver le sommeil, mais lui aussi avait trop de retard à son crédit pour résister aux assauts répétés du marchand de sable.


Le silence retomba sur la maisonnée. Pourtant, si l’on avait pu disposer d’un compteur Geiger pour émotions humaines, on aurait pu l’entendre crépiter à trois endroits de la maison ; dans le sac à main de Mathilde en survolant une enveloppe sans destinataire fermée sur une courte lettre manuscrite ; dans le tiroir du bureau de Ronan au-dessus de quelques feuillets 21 × 29,7 dactylographiés et soigneusement empilés et enfin sous le matelas de Pierig, dans les pages d’un petit carnet à spirale d’écolier…


lecture 9 lectures
thumb 0 commentaire
1
réaction

Commentaire (0)

Tu dois être connecté pour pouvoir commenter Se connecter

Tu aimes les publications Panodyssey ?
Soutiens leurs auteurs indépendants !

Prolonger le voyage dans l'univers New Romance

donate Tu peux soutenir les auteurs qui te tiennent à coeur

promo

Télécharge l'application mobile Panodyssey