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Chapitre 2.3 : Exaspération

Chapitre 2.3 : Exaspération

Publié le 14 juin 2025 Mis à jour le 15 juin 2025 New Romance
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Chapitre 2.3 : Exaspération

Il alla dans le salon, décrocha, et Ronan entendit presque simultanément un « allo » dans la pièce à côté et un « c'est moi » dans la cuisine, première parole de Mathilde pour ce matin.

Pierig revint avec le téléphone.

— C'est maman… dit-il à l'intention de Ronan comme s'il aurait pu y avoir confusion. Je te la passe ?

— Oui, répondit Ronan, d'une voix devenue blanche.


Mathilde et Ronan se retrouvèrent tous deux assis à la table, face à face, et furent enfin en mesure de se parler, sans se regarder.

— Ronan ?

— Oui. Comment vas-tu ?

— Bien. As-tu passé une bonne nuit ?

— Oui, répondit Ronan, et toi ?

— Oui, mais j'ai des journées bien remplies. Demain soir, par exemple, je dois assister à un colloque.

— Ah… Tu rentreras tard, alors.

— Sans doute. J'ai reçu tes épreuves… reprit Mathilde après un blanc.

— Déjà ?

— Oui, déjà, et je viens de les lire.

— Tu veux bien attendre une seconde, s'il te plait ?

Tout en collant sa main sur le micro du téléphone, probablement pour que Mathilde n'entende pas, Ronan s'adressa à Pierig :

— Si tu as fini de manger, tu peux nous laisser ? Je dois parler à ta mère.

Pierig fit « oui » de la tête, prit une banane dans le compotier et s'exila dans le salon.

— Voilà, je suis à toi, reprit Ronan.

Il y eut quelques instants de silence avant que Mathilde continue, ou commence.

— Je reconnais bien là ton style, dit-elle enfin.


Vaincu. Ronan sut dès ce moment qu'il sortirait vaincu de cette confrontation rien que d'avoir entendu ces premiers mots. Quelle que soit la pression qu'il mettrait sur cette conversation maintenant, il était sûr que leur dialogue pourrait se résumer par cette simple phrase : « Je reconnais bien là ton style. »

— Un style fier et orgueilleux… Tu n'hésites pas à trahir tes personnages et leur faire porter ce que tu n'oses pas dire. C'est moi que tu tortures à travers cette pauvre Julie. A présent qu'elle est dans le train, je te laisse l'initiative de l'en sortir ou pas… Tu sais, tu m’as donné le moyen de partir hier, à travers le jeu. Cela ne restera peut-être pas qu’un jeu, peut-être ne reviendrai-je pas. Cela fait longtemps déjà que je cherchais comment rentrer en communication avec toi. Ce moyen, je l'ai trouvé, et c'est précisément en rompant la relation que nous faisions semblant d'entretenir encore. Je prends le risque de tout mettre à plat et de tout fiche en l'air.


Ronan sentit le sol s'ouvrir sous ses pieds.

— Je croyais pourtant à notre relation, je nous croyais différents des autres… dit-il d'un ton plaintif.

— Vois-tu, ce qui m'a attiré en toi, au début de notre rencontre, alors que tu travaillais déjà et que j'étais encore étudiante, c'est que tu me mettais un pied dans l'étrier de mon avenir, que tu me faisais miroiter ce que serait mon moi adulte. J'aimais cette vie alors. Il y avait les jours de la semaine, chargés de toutes les incertitudes et de toutes les joies éphémères du monde étudiant, et il y avait le dimanche, que nous décorions de nos rêves pris en commun. Double vie, double jeu, double je. Je me voulais libre les jours en « di », je te voulais là les jours en « manche ».

Un sanglot avala le dernier mot. Le même sanglot faillit bien atteindre Ronan également.

— Les autres étudiants m'enviaient de me voir si équilibrée. Ils redoutaient la fin de leurs études, le moment où ils devraient s'extraire de leur cocon et continuer seuls, dans un monde qu'ils avaient toujours voulu ignorer. C'était facile pour moi alors, et je crois qu'à travers mon histoire, tu revivais la tienne, tu lui donnais une suite ; c'était peut-être aussi le moyen d'assumer une nostalgie pour toi…

Ronan hocha la tête, d'un mouvement assez ample pour l'enjoindre de continuer sans toutefois lui offrir l'illusion qu'il acquiesçait à tout, d'un coup.

— Voilà, notre relation s'est bâtie sur ce système ; toi, tu savais et moi, j'écoutais, tu m'offrais et je prenais. Tu prodiguais des conseils et me faisais part de ton expérience, tu me laissais suivre mon chemin en me regardant, loin devant. Tu m'autorisais même ma propre liberté. C'était fabuleux.

— Et quand tout cela a-t-il changé pour toi ? articula Ronan, première ébauche de dialogue.


Mathilde réfléchit un instant et répondit :

— Après notre mariage. J'ai commencé à travailler, tu t'es mis à écrire et plus tard à t'occuper de Pierig dans la journée. Je ne comprenais pas ce qui n'allait plus de mon côté de la relation, la raison pour laquelle je n'avais plus autant de désir pour toi… Autour de moi, les personnes me disaient que j'avais tout pour être heureuse, que je n'avais pas le droit de me plaindre ; un mari qui, les soirs, m'emmenait au théâtre, au cinéma, au restaurant, ou à qui prenait l'envie parfois de préparer lui-même un repas somptueux, le grand jeu, quoi… Moi, je ne comprenais pas ce que je pouvais reprocher à tout cela.

Ronan reprit un peu de vigueur à entendre de la bouche de sa femme tout ce qu'il s'était préparé à énoncer au risque d'user de mesquinerie, ce dont il n'aurait pas été particulièrement fier. Simultanément, il découvrait le lot de questions et d'interrogations qui jalonnaient le quotidien de sa femme, un quotidien dont il avait été le centre sans s'en apercevoir. Il l'invita à continuer, par un mot.


Mathilde n'avait pas encore croisé le regard de son mari. C'était plus facile ainsi ; le jeu et le téléphone auxquels elle s'accrochait fermement lui en donnaient la possibilité sans tricher.

— Hier, j'ai enfin compris… J'ai compris que mes jours en « di »me manquent et que, paradoxalement, ceux en « manche » me manquent également.

Ronan fronça les sourcils.


— Je n'arrive plus à digérer tout ce que tu me proposes, tous les soirs, ou presque, sauf les week-ends où tu te laisses conduire, promener, emmener où je veux, sans jamais rechigner, te plaindre ou refuser, mais sans jamais être vraiment avec moi non plus… J'ai compris que tu avais inversé ce qui avait fait le bonheur de notre rencontre. Cela n'a l'air de rien, mais c'est redoutable. Bien des soirs, j'ai dit oui à tes envies et j'ai dit non à mon désir de me vautrer sur le canapé en feuilletant une revue féminine ou j'ai dit non à mon désir de m'abrutir devant la première chaîne de télévision venue et allumée ou encore de sortir, mais seule, sans personne pour m'accompagner… J'étais fatiguée et toi, tu débordais d'énergie. Combien d'entrecôtes à la bordelaise, d'escargots à la bourguignonne, de soles à la normande ai-je dû me forcer à finir ? Combien de dénouements de films ai-je dû me faire raconter les lendemains ? Combien de soirs ai-je dû faire semblant ?


Ronan blêmit. Elle reprit :

— Et combien de dimanches ai-je subi tes « si tu veux… », et tes « pourquoi pas… » ? Combien de fois ai-je eu envie de te provoquer pour qu'au moins, tu t'insurges ? Tu avais inversé ce qui avait défini notre rencontre et nous n'avions plus les mêmes besoins au même moment. J'aurais voulu garder ma liberté en semaine, te la prêter quelquefois, mais pas me la voir ainsi ravir, et j'avais besoin que nous continuions nos rêves d'antan le week-end. Tu me proposais l'inverse, je n'ai pas su ou pas pu te dire non. A côté de combien de retrouvailles sommes-nous passés ? Ou combien de retrouvailles ai-je gâchées de mon côté. En effet, tu paraissais avoir trouvé ton équilibre ; tu étais toujours celui qui donne : ses envies, ses centres d'intérêt, ses désirs, même son temps. Moi, j'aurais voulu partager ta vie, je ne voulais pas que tu me la donnes, que tu me la brades ! Ce que tu m'offrais était dévitalisé, tu n'y étais plus. Finalement, la seule chose que tu ne me proposais pas, c'est toi.


Ronan bredouilla quelque chose d'inaudible, mais ses mots manquaient de contenu et restèrent en suspens.

— Il m'a fallu toute la nuit pour mettre des mots sur mes maux, reprit Mathilde. Je ne te demande rien, je voulais juste te faire part de mes sentiments.

Maintenant, Ronan avait les yeux baissés, il n'aurait plus été capable de supporter le regard de sa femme sans ciller.

« Je savais que j'en sortirais vaincu.»

La voix de Mathilde jaillit de nouveau de l’appareil, plus légère, plus fluide, comme pour traduire des préoccupations plus anodines.

— Je voudrais parler à Pierig. Peux-tu me le passer ?

Ronan sembla sortir d'un endormissement prolongé. Son tour de parole était passé, il n'avait pas su que répondre, l'heure était de nouveau à la vie de surface. Il se leva et se déplaça là où un mot lancé à voix haute aurait suffi. Pierig revint, étonné ou amusé.

— Allo ? demanda-t-il, une fois le téléphone à l'oreille.

— Pierig, cela me ferait plaisir que nous passions le week-end ensemble, d'accord ?

— Oui… Ce serait bien.

Il avait détourné la tête, volontairement ou involontairement, de sorte que Ronan ignorait si son visage cachait un sourire, une surprise ou une inquiétude. Du même coup, plus personne n'était là pour s'occuper de sa stupeur.

— Je passe te chercher samedi à midi. reprit Mathilde.

— Oui, je t'attendrai.

— Je t'embrasse. Tu me manques.

— Moi aussi.

Ils raccrochèrent.

— Je deviens fou.

La voix de Ronan avait quelque chose de désespéré. Pierig regarda son père, gravement.

— Je deviens fou, répéta-t-il, les yeux dans le vague, puis fixés sur Mathilde, qui l'ignora totalement.

Complètement abattu, Ronan rappela le numéro de sa femme. A quelques centimètres de lui, l'autre portable s’illumina, mais resta silencieux.

Mathilde semblait songeuse, peut-être rêvait-elle du merveilleux week-end qu'elle allait passer avec son fils.

— Décroche ! se mit à pleurer Ronan.


Pierig s'approcha de son père et lui prit la main, geste qui tempéra un peu sa détresse.

— Papa… Tu sais bien que le réseau passe mal chez Mamie.


Panodyssey - Chapitre 3.1 : Réflexion - Erwann Avalach


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