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Le réveil de Gallja - Tome 1

Le réveil de Gallja - Tome 1

Publié le 13 sept. 2021 Mis à jour le 13 sept. 2021 Culture
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Le réveil de Gallja - Tome 1

La naissance de Tinùviel 

Lorsque j’ouvris les yeux, je fus soudain prise d’un violent vertige. Un bruit sourd insoutenable vrombissait à mes oreilles. Quelle en était l’origine ? Qu’avait-il bien pu se passer ?

Je voulus me relever, mais mon corps ne répondait pas. Une effroyable douleur m’arracha un cri et me fit renoncer. J’étais allongée dans une forêt sombre et terrifiante, seule et incapable du moindre mouvement. Un sentiment de panique me saisit et brusquement tout me revint.

Mes instruments de vol en panne. Ce brouillard épais si soudain. Mon avion perdant de l’altitude. Le choc. Et puis le noir absolu. Comment avais-je pu sortir de l’appareil ? Je n’en avais aucun souvenir.

Le sol autour de moi était couvert de sang. Mon sang. L’un des débris de l’appareil m’avait perforé l’abdomen. Comment avais-je réussi à ramper jusqu’ici ? Où avais-je trouvé la force ? La peur de mourir peut-être...

J’avais trouvé refuge au pied d’un arbre plusieurs fois centenaire. Ses puissantes racines formaient une cage autour de moi, me protégeant des éventuels prédateurs qui peuplaient cette forêt. Sans réfléchir, j’avais arraché l’énorme morceau de métal figé dans mon corps. Quelle idiote ! Cela n’avait fait qu’aggraver l’hémorragie. Je vivais mes derniers instants dans cette jungle immense, seule.

Seule ? Vraiment ? Depuis mon réveil, j’éprouvais le sentiment étrange que l’on m’observait. Qui était là ? Et pourquoi ne venait-il pas à mon secours ?

À bout de forces, je me laissai partir. Le froid mordait mon corps, quelle sensation curieuse ! C’était loin d’être aussi désagréable que je ne l’aurais pensé. Le stress, la culpabilité, la tristesse… tous ces sentiments si néfastes et pourtant si présents dans ma vie me laissaient enfin tranquille. Une étrange paix intérieure m’envahit. Quelle ironie ! Ma mort me semblait plus douce que ne le fut ma vie. Mes dernières pensées furent pour Al. Et dans un ultime soupir, un mot se dessina sur mes lèvres :

- Adieu…

 

Chapitre 1

- Al ? Je vais bientôt arriver dans le Triangle. Tout est OK, le ciel est dégagé. Je devrais arriver à destination vers 23 heures. Je t’appelle dans une heure.

- OK, Sarah. Fais attention.

- Comme d’hab’, tu me connais !

Cela faisait déjà plusieurs heures que je survolais l’océan Atlantique à bord de mon vieux coucou, le Liberty. Un voyage fastidieux pour un vol en solo et une première pour moi ! Mais on ne discute pas les exigences d’un client riche. Ses conditions étaient claires : un voyage sans escale, une livraison spéciale et une femme aux commandes. Al avait longuement hésité avant de me confier cette mission, mais je demeurais la seule pilote à des kilomètres à la ronde. Une chance pour moi ! J’avais vraiment besoin de cet argent.

- 10 000 euros si tu effectues la livraison dans les temps, m’avait-il annoncé.

Cher payé pour un boulot aussi simple. Le voyage serait éprouvant, mais une fois à Haïti, je pourrais profiter du soleil et de la plage avant de revenir à ma misérable vie. J’étais bien décidée à accepter toutes les extravagances de cet homme, si cela me permettait de m’évader quelques jours.

Le rendez-vous était fixé à minuit aujourd’hui avec un dénommé Doe. Original comme nom ! La livraison était prévue à l’aéroport de Jacmel, habituellement réservé aux vols commerciaux. Curieux.

Comme à notre habitude, Al et moi avions établi le plan de vol la veille. J’avais décidé de me plier aux étranges volontés de notre cher monsieur Doe, mais il en était autrement pour Al. Une vieille superstition le hantait, l’incitant à planifier un détour pour éviter le triangle des Bermudes. Combien de fois m’avait-il conté ces légendes sur cet endroit ?

- Le Triangle est une zone dangereuse, m’avait-il répété pour la centième fois. Je sais que tu ne crois pas à ces histoires, mais les faits sont là ! Comment peux-tu justifier toutes ces disparitions ? Ces pannes improbables des instruments de navigation ? On a recensé les premiers mystères du Triangle dès le XIXe siècle.

Je l’écoutais en souriant.

- Très bien, j’ai compris. Tu me prends pour un de ces vieux loups superstitieux. Je suppose qu’une brève escale d’une heure en Floride n’est pas envisageable, n’est-ce pas ? J’ai des amis qui possèdent un aéroport secondaire. Nous ne sommes même pas obligés de le faire apparaître sur ton plan de vol, on peut s’arranger avec eux.

Il était ardu de lui faire entendre raison, mais le timing était beaucoup trop court. Je ne pouvais pas me permettre d’arriver en retard, sans quoi je ne toucherai pas la totalité. Al finit par capituler, comme toujours, mais il exigea une chose : que l’on reste en contact tout au long du vol.

***

Quel bonheur cette sensation de liberté, seule parmi les nuages et les étoiles.

En dehors des quelques contrats qu’Al me proposait, ma vie était vide et insipide. Alors ces heures derrière mon manche étaient de véritables bouffées d’oxygène !

Ma vie terrestre était misérable… Je vivais seule et n’avais pas réellement d’amis. À seize ans, j’avais arrêté l’école, n’y trouvant pas ma place. Depuis, j’enchaînais les boulots quelconques pour payer mes factures et l’entretien du Liberty.

J’avais tout essayé : barmaid dans l'unique bar du coin, qui faisait office de discothèque les vendredi et samedi soirs ; caissière dans une petite supérette ; aide-ménagère en maison de repos, et même dogsitter pour ces vieilles bourgeoises trop bien pour promener leur petit chien. Le dernier en date, serveuse dans un restaurant routier. Les pourboires étaient minables, mais les horaires corrects et j’avais été autorisée à emporter les restes chez moi.

Durant mon temps libre, je me cachais derrière les couvertures de mes livres fantastiques et de science-fiction. Je m’évadais dans un monde imaginaire dans lequel je me sentais normale et utile. Je m’identifiais au héros, durant quelques heures… et vivais à travers les mots ses aventures. J’avais la sensation d’exister… d’être quelqu’un d’important. Comme tous les jeunes de mon âge, mal dans leur peau. Mais Al était là pour moi. Et malgré mes différences, il semblait me comprendre et m’accepter.

Mes parents étaient morts, j’avais à peine sept ans. Ce jour funeste resterait à jamais gravé dans ma mémoire. Je me souviens du visage accablé de la directrice qui était venue me chercher à 15 heures, en cours de mathématiques. Elle avait saisi ma main et l’avait serrée très fort tout en me conduisant dans son bureau austère et sinistre. Étrangement, un policier nous y attendait, debout près de la fenêtre. Il m’avait demandé, d’une voix posée et réconfortante, d’entrer et de m’asseoir sur le vieux fauteuil face à lui, élimé par le passage de tant d’élèves. Il avait alors fermé la porte et s’était accroupi face à moi.

Je me souvenais parfaitement de ses mots. Ils m’avaient anéantie. Et pourtant, à ce moment précis, il m’avait été impossible de les comprendre… de les entendre. Chacun de mes sanglots rendait ma respiration de plus en plus chaotique. Mes yeux s’étaient embués. J’aurais voulu être ailleurs. Loin de tout. Loin de ces personnes qui m’étaient étrangères et qui voulaient me faire croire à ces horreurs. Une main sur mon épaule avait tenté, vainement, de m’apporter le réconfort que seul le sourire de ma mère aurait pu me donner. Et soudain, je l’avais aperçu. À travers cet épais brouillard de larmes, chaleureux et rassurant.

Depuis ce jour, j'éprouvais l’étrange sensation de n’être jamais seule, de distinguer mes parents dans chaque reflet. Dans chaque coin sombre. J’avais essayé de parler avec eux, mais en vain. Je n’avais fait qu’attirer l’attention sur moi. Il était impensable, dans un établissement comme celui-ci, d’avoir une fille aussi perturbée ! Cela m’avait valu de nombreux rendez-vous avec le psychologue de l’école. Il avait rassuré mon entourage : mon état était tout à fait naturel. Je traversais, selon lui, la phase de déni du deuil. Cela pouvait prendre du temps, c’est pourquoi il avait insisté pour poursuivre les séances.

La cour de récré était devenue mon cauchemar. Les autres m’évitaient. Cela n’était pas inhabituel, bien sûr, j’étais une solitaire. Mais jusque-là, j’avais toujours été transparente. Je n’avais jamais été le sujet des moqueries si féroces des enfants. Quoi que je fasse, j'éprouvais cette sensation terrifiante de ne pas être à ma place… D’être différente.

Selon les dernières volontés de mes parents, les services sociaux m’avaient confiée à ma seule famille, le frère de mon père, Al. Il m’avait acceptée et élevée comme sa propre fille, dans un petit village dans le sud de la France. C’est d’ailleurs à lui que je devais cette passion pour le vol.

Mon baptême de l’air, il me l’avait offert pour mes huit ans. Al était à la tête d’une modeste société spécialisée dans l’épandage aérien. Cela signifiait en réalité qu’il était le seul à posséder un avion et le permis allant avec. Il était donc fréquemment sollicité par les divers agriculteurs de la région.

Chaque soir, après l’école, nous décollions pour une heure de pur bonheur. Il lui arrivait même de me laisser piloter. Je me sentais libre. Heureuse. Loin de ce monde qui m’était incompréhensible, loin de ce monde qui me jugeait et me méprisait, accompagnée de la seule personne qui m’aimait telle que j’étais.

Al… Notre dernier échange m’avait laissée pensive. Une peur incompréhensible et irrationnelle commençait à me serrer la gorge. Super ! Il a réussi à m’effrayer avec ses histoires !

Je pris une profonde inspiration et pointai tous mes appareils. Tout fonctionnait. Le ciel était clair, malgré la nuit froide. Conditions parfaites pour voler ! Cependant, plus le Triangle se rapprochait et plus cette angoisse me rongeait. Je ne pouvais m’empêcher de penser à toutes ces légendes. À tous ces navires fantomatiques à la dérive. À tous ces équipages volatilisés. À tous ces pilotes disparus. Que leur était-il réellement arrivé ?

J’y étais. Je survolai enfin cette zone maudite. La peur au ventre, j’essayais vainement de me rassurer. Tout était si calme. Aucune explosion, aucune tempête… Il n’y avait aucune raison de paniquer. De penser au pire. C’était totalement absurde. Et pourtant. Les mains tremblantes sur le manche, la boule au creux du ventre, j’avais les yeux rivés sur mes appareils. Comme si ça pouvait les empêcher de déconner !

Je commençais à reprendre confiance lorsque mon compas se mit à s’agiter, sans raison apparente. Je tapotais dessus pour le calmer, mais sans résultat. Simple coïncidence. Rien d’autre. Et puis… je n’en avais pas vraiment besoin.

Je tentais de maintenir le cap vers ma destination, lorsque mon altimètre, suivi de tous les autres instruments de navigation se mirent à dérailler. Que se passait-il ? Ça n’avait aucun sens… plus rien ne fonctionnait. Pas même ma radio. Heureusement, les moteurs tournaient encore et le ciel était dégagé.

Ce mince espoir fut de courte durée. Un épais brouillard, aussi soudain qu’imprévisible, se leva et m’enveloppa. Le black-out total… Je venais de perdre toute visibilité et volais à l’aveugle, les mains moites accrochées à mon manche, paralysée par cette peur incontrôlable. Une véritable tempête se déchaînait sous mes yeux incrédules. Un éclair déchira le ciel et frappa l’aile gauche du Liberty, qui prit aussitôt feu.

La suite se déroula à une vitesse inouïe. Privée de tous repères, le moteur gauche HS… j’étais devenue simple spectatrice, incapable du moindre mouvement. Je m’imaginais au fond de l’océan, morte noyée. Seule. Je pensais à Al, soucieux, attendant désespérément de mes nouvelles derrière sa radio, à ses histoires tragiques sur le Triangle. Je m’apprêtais à rejoindre les légendes contées par ces hommes que d’autres que moi traiteraient de superstitieux. Peu à peu, l’angoisse de la mort laissa place à une certaine amertume… déception de ne pas avoir réellement vécu.

Et soudain, le calme absolu. La tempête s’était calmée aussi violemment qu’elle avait commencé. Le brouillard se dissipa aussi brusquement que ma désillusion, laissant place à une béatitude et une incompréhension totale.

Sous le nez de mon avion, des cimes d’arbres gigantesques se rapprochaient dangereusement. Les rayons de la lune dévoilaient une véritable forêt immense et luxuriante. Magnifique. La beauté du paysage et surtout son improbabilité m’hypnotisaient.

Impossible... ce que je contemplais ne pouvait exister. Quelques minutes avant, je survolais les eaux profondes de l’océan Atlantique, bien loin de toutes terres. Je n’avais pas passé assez de temps au cœur de cette tempête… pas suffisamment pour atteindre Haïti ou l’une des îles avoisinantes.

Je devais recouvrer mes esprits et analyser la situation. Tout n’était pas perdu… Je tirai de toutes mes forces sur le manche dans l'espoir de redresser le nez du Liberty et réduire ma vitesse, mais en vain. J’avais réagi trop tard. L’inévitable arriva. Je fus secouée dans tous les sens. J’entendis les cimes des arbres frapper mon vieux coucou. Les branches arrachèrent des lambeaux de sa carlingue. L’aile droite craqua et disparut. Quant à moi, je ne pouvais rien faire d’autre que prier. Quelle ironie !

Lorsque enfin, on vint percuter le sol humide, il ne restait presque rien de mon compagnon de métal. Le vent fouettait mon visage. Des morceaux de verre et d’acier volaient tout autour de moi. Une douleur effroyable me transperça le corps puis ce fut le noir le plus total.

 

Texte de L.S.Martins, issu du premier tome de la saga Le réveil de Gallja

Image par Džoko Stach de Pixabay : Des Nuages Ciel Conditions - Photo gratuite sur Pixabay

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