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À la trace

À la trace

Publié le 16 sept. 2022 Mis à jour le 16 sept. 2022 Culture
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À la trace

Le sang coule dans mon cou, il descend dans mon dos, imprègne mon tricot de peau. Puis, très vite il n’absorbe plus rien, ses mailles sont saturées, mon pull et bientôt mon treillis seront les derniers remparts à ce liquide chaud et visqueux. Encore quelques dizaines de mètres avant d’arriver chez moi et, enfin, me libérer de ce fardeau. Même vidée, la bête doit bien peser dans les soixante kilos.

Tout ça, c’est de la faute aux excès de zèle du Pierrot, depuis tout gamin, je braconne et mon père, bien avant moi aussi. La chasse au garrot est interdite, de nos jours tout est interdit, même la truite à la main est un délit. Mais je l’ai entendu venir, tout garde chasse qu’il soit, il ne connaît pas la forêt. Elle est mon territoire, le Pierrot n’est qu’un fonctionnaire muté au hasard, ici ou ailleurs… Moi, je suis né dans ces bois, j’y vis et j’y mourrai, alors, il peut faire le malin, je suis chez moi.

J’ai reconnu le bruit du moteur de son tout terrain de fonction. La rigolade, il se croit malin, j’ai eu le temps de décrocher le garrot et de planquer la bête dans les fourrés. On s’est salué, pour donner le change, on a parlé de chose et d’autre, il n’a pas poussé le vice à me demander ce que je faisais là. Il n'a pas osé, sinon, je l’aurai remis à sa place, il est garde chasse, pas gendarme.

Je suis reparti de mon côté, mine de rien, l’esprit tranquille, je reviendrai cette nuit, je dépècerai la bête au clair de lune, c’est tout aussi bien, il y aura moins de mouche. Je me méfie tout de même, parce que le Pierrot est un sournois et je ne suis pas certain qu’il ne se doute pas de quelque chose.

Je suis resté longtemps derrière un arbre, collé à l’écorce du tronc, l’oreille aux aguets, les sens en éveil, sensible à la moindre odeur, à l’affût du plus petit craquement. Rien. Le Pierrot n’est pas là, je me rassure, les fonctionnaires ne font pas d’heures supplémentaires.

J’ai un bon kilomètre à me farcir avec la bête sur le dos, je ne suis plus très jeune, mais je suis toujours aussi tenace. J’y suis allé vaillamment, par petits pas assurés, sous le clair-obscur de la lune. En quelque sorte, ce fut une balade de santé, si ce n’était ce sang gluant qui coulait dans mon cou et se répandait entre mes omoplates.

Ce matin, au réveil, je suis fourbu, ma petite virée nocturne m’a éreinté. J’entends le goutte à goutte du café et aussi, des pas sur le gravier, devant la maison. Je n’attends pas que l’on frappe à la porte, j’ouvre et tombe nez à nez avec Pierrot accompagné d’un gendarme. Je n’ai pas fait attention, mais la traînée de sang sur le sentier sortant de la forêt, zèbre ma cour, mène à ma porte et me désigne coupable.

 

Microfiction parue initialement dans le recueil "Tôles froissées et bénignes éraflure" à découvrir [ici]

 

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