Les vieux facétieux
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Les vieux facétieux
Les effluves de la boule puante se mélangent, tout d'abord, aux senteurs d’encens, puis très vites l’odeur pestilentielle prend le dessus. Le prêtre clame son Homélie, feignant d’être indisposé, Georges, lui, ne sent plus rien, et pour cause, il est allongé dans son cercueil, les pieds face au public. Les regards se posent sur moi, je suis son plus vieil ennemi.
À l’école déjà, il me piquait mes billes et se cachait derrière de grands costauds pour éviter mes colères, on a passé nos vies à se chamailler, à s’affronter sur tous les terrains. C’était un gros con.
Cependant, niveau étude, il était bien meilleur que moi, je n’ai jamais aimé l’école, plus j’étais nul, plus il réussissait. Alors quand vint l’âge de l’armée, ses diplômes lui permirent de passer directement aspirant, moi, je me suis contenté du grade de première classe. Puis, après la quille, je me suis marié avec sa sœur, je me souviens encore de sa tête lors de la cérémonie, je crois que ce fut mon plus beau coup, dès lors, j'étais son beau-frère, et ça, c’était dur à avaler.
Ironie du sort, il était également mon voisin, de sa cuisine, il avait une vue plongeante sur mon salon. Quand j’y pense, c’est à rien y comprendre, après son divorce, il aurait pu s’installer ailleurs, loin de chez moi, sur la lune aurait été l’idéal.
Helmut, le pitbull de ma fille, enfin, je ne sais plus trop à qui il appartient ce chien, elle me l’a déposé un jour et ne l’a jamais repris, était constamment fourré chez lui. Il saccageait ses platebandes avec un malin plaisir, quand Georges voulait le chasser, il se jetait sur sa jambe et se frottait tant qu’il pouvait. J’aurais dû l’appeler Stupide*. J’en ris encore, ce chien est une teigne.
Le Noël dernier aussi fut mémorable. La commune, comme tous les ans, lance le concours des plus belles illuminations. Nos maisons, face à face, brillèrent tant, que toute la rue réveillonna à la bougie, la dinde pas cuite, le vin blanc et le mousseux tiède ; EDF passa remettre le courant bien après minuit. Peu fière, on se fit discret pendant quelques semaines.
C’est con de mourir un jour de soleil, l’assemblée quitte le cimetière par petit groupe, Georges est là, dans sa boîte, sous de nombreuses pelletées de terre. Les ouvriers municipaux ont déposé devant sa stèle toutes les fleurs achetées pour l’occasion. Helmut, comme d’habitude, lève la patte et se soulage sur la gerbe de l’union des commerçants.
Sur le marbre, à côté de sa date de naissance et, bien évidemment, de sa date de décès, une photo de lui, le représentant jeune et fringuant, est incrusté dans un médaillon de fer blanc.
— Georges…
Je voulais lui dire qu’il avait une tête de con sur cette photo, mais m’abstins.
— Georges, maintenant, je peux bien te l’avouer, tu vas me manquer…
J’entends un craquement, et sans que je puisse m’échapper, la stèle fraichement installée, cède et m’écrase violemment le pied.
*Mon chien Stupide, John Fante
Microfiction parue initialement dans le recueil "Tôles froissées et bénignes éraflures" à decouvrir [ici]