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Chapitre 5

Chapitre 5

Publié le 18 sept. 2024 Mis à jour le 18 sept. 2024 Jeunesse
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Chapitre 5

Après la fin de ma convalescence, ce n’est pas ma mère qui vient me chercher, mais Francine. Cela m’arrange, puisqu’en plus de ne pas vouloir retrouver ma mère, j’ai une question à lui poser. 

- Comment as-tu su que j’étais à l’hôpital ?

Elle sourit à ma demande.

- J’ai beaucoup de contacts au village, tu sais. Je suis toujours au courant de tout ce qu’il se passe ici.

C’est vrai que je n’avais pas pensé à cette possibilité. Je sais que Francine a plein d’amis, mais je ne les ai jamais rencontrés.

Francine change de sujet :

- Comment tu te sens ? Ça devait être une sacrée épreuve pour toi de te faire violenter pendant tout ce temps. Tu sais que je suis toujours là pour t’écouter, n’est-ce-pas ?

- Oui, bien sûr, répondis-je, penaude.

Le timbre inquiet de sa voix me procure un sentiment de culpabilité. Elle doit penser que je ne lui fais pas confiance, alors que c’est tout le contraire.

- Et ta mère te donne assez à manger ? Les infirmiers ont dit que tu étais trop maigre pour ton âge. 

- Ah bon ? Je mange pourtant à ma faim.

Je n’aime pas lui mentir, mais je n’ai aucune envie de parler de mon alimentation. Je sais que ce n’est pas normal de louper des repas chaque jour et de ne pas arriver à manger le reste du temps. Seulement, je ne peux rien y faire si je n’ai pas d’appétit. Et puis, ce n’est pas comme si quelques repas en moins allaient me tuer !

Nous arrivons devant ma maison. À la place du soulagement de rentrer chez moi, je stresse de savoir quelle sera la réaction de ma mère. 

- Surtout, si ça ne va pas, tu m'appelles d'accord ? Ou alors tu viens chez moi, comme tu veux. 

Je veux exprimer mon immense gratitude envers elle, mais ma gorge est trop nouée pour que je puisse parler. Je me contente donc de hocher la tête avant de sortir de la voiture et de sonner à la porte. Ma mère m'ouvre une minute plus tard. Elle est bourrée comme toujours, et ne paraît plus aussi menaçante qu'à l'hôpital. Pourtant, dès que je monte les escaliers, elle m’annonce d’une voix glaciale :

- Tu as l'interdiction de revoir cette femme. 

Je tressaille. Je n'arrive pas à y croire, elle ne pouvait pas me faire pire punition que celle-ci ! Francine est celle qui me fait tenir dans ce monde qui ne fait que me rejeter ! 

Je me tourne vers elle. 

- Tu ne peux pas me faire ça... 

- Oh si, je le peux ! Elle te fait perdre la tête et t'encourage dans ta voie. Je vais m'assurer personnellement que tu ne l'approches plus ! 

Je ne réponds rien et m’enfuis dans ma chambre. Je retiens tous les cris qui refusent de sortir. J'ai l'impression d'étouffer, que l'on essaie de l'asphyxier... Les larmes dévalent mes joues, exprimant ce que je ressens à l'intérieur. Colère, tristesse, impuissance... Puis, tout devient clair dans mon esprit : je n’en peux plus d’attendre les bras croisés que ma situation s’améliore. Désormais, je vais me prendre en main, et montrer à ma mère qu'elle ne m’est pas indispensable ! Elle croit qu'elle peut me faire fléchir, mais jamais elle ne réussira à m'éloigner de Francine ! Je fouille dans ma chambre, entasse les premières affaires qui me viennent. Je regarde ce que j'ai dans ma main : vieux t-shirt d'un rose écœurant. Finalement, je vais me passer des vêtements que ma mère m'a achetés. Si je dois fuguer, autant recommencer à zéro. Je trie mes affaires et ne prends que ce que j'aime et ce qui me tient à cœur. Au final, je ne mets que les habits que j'ai acheté suite à ce que m'avait dit Francine, mon téléphone, mes livres préférés, mon calendrier, des ballerines que ma tante m'avait achetées, ma trousse de toilette et mes écouteurs. Je regarde autour de moi et me rends compte comment ma mère m'a matrixée depuis toujours, dictant mes goûts, mes choix. Rien de ce que je vois ne me correspond. Ni les meubles, ni les murs, ni le tapis rose fushia. Tout ça, ce n'est pas moi ! Je veux que ça change. Ce que j’ai prévu de faire demain est dans cette perspective. J'espère que ce sera le début d'une nouvelle vie.

 

Le lendemain, je me lève bien plus tôt que la normale. Je me faufile le plus discrètement possible hors de la maison, le cœur battant à la chamade. À chaque bruit que je fais, j'ai peur que ma mère se réveille. Heureusement, elle dort d'un sommeil profond. Je ne respire librement qu'une fois dehors. C'est là que je me rends compte de l'absurdité de mon projet. Je fais tout ça sur un coup de tête, mais est-ce une bonne idée ? Après tout, elle pourrait me retrouver en peu de temps. Maintenant que je suis dehors, autant aller jusqu'au bout de mon idée. Alors je me dirige vers la maison de Francine, la boule au ventre. 

Arrivée sur place, je me demande si je dois sonner. Je n'ai pas envie de la réveiller, seulement, je ne peux pas rester dehors dans l'air glacial. Je reste un moment assise sur les escaliers menant à la maison. Le soleil n'est pas encore levé en ce début d'avril, et le froid me mord les joues. Peut-être qu’avec le lever de soleil commencera une nouvelle vie pour moi. Je ne sens plus mes pieds, ni mes mains. Je prends donc mon courage à deux mains et appuie sur la sonnette. J'entends du bruit, puis après quelques minutes, Francine vient m'ouvrir avec un air encore endormi. Elle paraît surprise de me voir, ce que je peux comprendre quand on vient de se faire réveiller à sept heures moins le quart. 

- Amia ? 

- Est-ce que je peux vous parler ? 

- Oui, oui bien sûr. Entre. 

Elle semble encore dans les vapes. Je m'avance dans le hall, qui m'est maintenant familier, et me rends dans le salon. Francine me rejoint et je lui explique l'interdiction de ma mère, avant de prendre une grande inspiration et demande :

- Est-ce que je peux vivre quelque temps avec vous ? Je ne supporte plus de rester avec ma mère. Je vous promets de faire tout ce que vous demandez et dès que je pourrai travailler, je le ferai pour vous aider à financer ma nourriture. 

J'ai le ventre noué dans l'attente de son verdict. Les secondes passent avec lenteur dans ce silence. Elle semble évaluer la situation, puis soupire. Mauvais signe... 

- Désolée Amia, ce n'est pas contre toi, mais je ne crois pas que cela puisse être possible. Je sais que ta mère te traite horriblement mal, et cela m'attriste beaucoup, mais c'est ta représentante légale. Il faudrait son autorisation pour que tu vives ici, sinon je pourrais être poursuivie en justice pour enlèvement. En plus, je me fais vieille et je n'ai plus toutes mes capacités. Je n'ai jamais eu à m'occuper d'un enfant et je ne m'imagine pas endosser ce rôle aujourd'hui. 

À partir des premiers mots, j'ai su que c'était foutu. J'entends ses arguments, mais mon cerveau s’est mis sur pause dès la première phrase. Rien ni personne ne me fera revenir chez ma mère. Ce sera bien plus compliqué et désagréable de survivre sans Francine, mais pas impossible. 

- Je comprends. Désolée de vous avoir dérangée. 

Je me lève pour et traverse le salon pour atteindre la porte d’entrée.

- Où vas-tu, Amia ? Tu rentres déjà chez toi ? 

- Non, je vais trouver un endroit où vivre. 

- Mais voyons, c'est de la folie ! Tu ne peux pas vivre sans personne et sans argent ! 

- Il le faudra bien. 

Il y eut un moment de flottement, puis elle me dit :

- Je veux bien essayer de convaincre ta mère de me laisser ta responsabilité, mais je ne promets rien.

À cet instant, j'ai comme l'impression que l'on m'a enlevé un énorme poids de mes épaules. 

- Merci ! 

- Ne me remercie pas trop tôt, ce ne sera pas une tâche facile de discuter avec ta mère !

On décide d'aller la voir dans la matinée et au fur et à mesure que le temps passe, mon stress s'amplifie. À onze heures, nous partons vers ma maison. Mon destin sera déterminé dans les prochaines minutes qui suivront. 

Nous arrivons devant ma maison et Francine me demande de l'attendre à l'écart, sur un banc pas loin. Je suis soulagée, car je n'aurais ni à affronter ma mère, ni à entendre les disputes. Je sais que c'est égoïste, mais je donnerais tout pour être loin d'ici aujourd'hui. J'observe la scène de loin, donc je ne sais pas exactement ce qui s'y passe, mais je vois tout d'abord que Francine parle. Ma mère ne prend même pas la peine de l'inviter dans la maison et reste certainement dans l'encadrement de la porte. Je sens au fil des minutes le ton s'amplifier, et si je me concentre, je peux même distinguer quelques mots dans la conversation. Mais je ne veux pas entendre, je me bouche les oreilles et attends, recroquevillée sur moi-même. J’attends un moment dans cette position avant de me relever pour voir si la discussion est terminée. Je n’aurais pas dû, car j’entends :

- ... dire à la police ce que vous faites endurer à votre fille. 

- Je n’en ai rien à faire de votre avis sur l’éducation de ma fille ! C’est moi qui décide du traitement dont elle mérite, et…

Je m’empresse de me boucher les oreilles à nouveau. Pourquoi mon existence n'entraîne que des problèmes ? N'aurait-il pas mieux fallu que je n'existe pas ? Un tapotement sur mon épaule me ramène à la réalité. Je lève la tête, pleine d'appréhension de ce que je vais entendre. Cependant, le sourire radieux qui illumine le visage de Francine me rassure tout de suite. 

- Elle a fini par accepter ! Tu peux rester chez moi ! 

Je saute, littéralement, du banc et l'enlace. Je crois que je n'ai jamais été aussi heureuse qu'en cet instant. Je me sens libérée. Je me retiens de pleurer de soulagement.

- Maintenant, il faut s'occuper de ton intégration dans ton nouveau collège. Ta mère m'a chargée de tout organiser et de te subventionner en échange de ton séjour chez moi. Elle m'a donné un dossier à compléter et tu devras rencontrer le directeur avant de faire une brève visite. Tu rentreras la semaine prochaine dans ta nouvelle classe. 

Décidément, depuis que Francine est dans ma vie, elle ne fait que s'améliorer ! 

Nous sommes rentrées en débattant sur mes nouveaux profs et camarades. Comment seront-ils ? Ennuyeux ou gentils ? Avec Francine, tout me paraît simple et naturel. C'est comme si j'avais toujours vécu chez elle. Remplir le dossier m'a même paru drôle en sa compagnie ! On a mis au moins une heure à le compléter, mais c'est parce qu'on n’arrêtait pas de dériver sur d'autres sujets. Bien sûr, elle ne manquait jamais une occasion de me raconter des anecdotes de sa vie. 

 

Deux jours plus tard, c’est le moment de ma rencontre avec le directeur. Je stresse beaucoup à cette idée. Et s'il décidait que finalement, je ne peux pas entrer dans le collège ? La personne qui me fera visiter sera-t-elle sympa ? 

Je suis installée sur un fauteuil devant la porte du directeur avec pour seule inscription : "Mr Fayet, Directeur". Francine, assise à mes côtés, pose sa main sur ma jambe, que je bouge sans m’en rendre compte. 

- N'aie pas peur. Tout va bien se passer. Il suffit de rester toi-même et polie. 

Je sais qu’elle a raison, mais ses paroles ne suffisent pas à me rassurer. Pourtant, j’essaie d’appliquer ses conseils et essaie de me calmer. Je respire profondément et pense à tous les événements qui se sont déroulés durant la semaine. Je me sens un peu mieux à cette pensée, seulement, avoir confiance en soi ne s’apprend pas en un quart d'heure. 

Soudain, la porte s'ouvre et tout le travail que je fais sur moi s'envole. Le stress revient et ma jambe tremble de nouveau. 

- Vous pouvez entrer. 

Francine s’exécute et je la suis dans le bureau, simplement meublé d’un bureau, de chaises et d’une bibliothèque remplie de dossiers.

- Asseyez-vous, je vous prie.

Le directeur est grand et carré des épaules. C’est le type de personnes qu’on qualifierait de costaud. Malgré son physique intimidant, il aborde un visage serein et bienveillant. Il n'a pas l'air méchant, ce qui me détend un peu. Il lit les papiers que Francine lui a donnés avant de prendre la parole. 

- Vous voulez changer d’établissement scolaire à cause du harcèlement dans votre ancien établissement, si j’ai bien compris. 

Penser à mon ancien collège me noue la gorge, donc je hoche la tête. 

- Je sais que c'est difficile de s'intégrer dans un environnement où tout le monde se connaît, surtout en milieu d'année. Nous t'avons donc choisi une classe de ton niveau et où les élèves sont normalement accueillants. Si par malheur, tu as un problème avec l'un d'entre eux, tu peux m'en parler ou à ta professeur principale que tu verras tout à l'heure. Tout harcèlement sera sanctionné. 

Après son petit discours, il règle différents détails avec moi, comme mon casier, mes livres et ma carte de cantine. Ensuite, nous sortons du bureau pour la visite du collège.

- Je vais rester ici, je me sens un peu fatiguée. Ça va aller ? me demande Francine.

- J’espère.

Elle me sourit pour me dire bonne chance. À ce moment-là, j’aperçois un élève qui doit être celui qui va me faire visiter. Il est de dos, et je remarque immédiatement ses beaux et longs cheveux châtain clair. Quand la personne se retourne, je reconnais instantanément ses yeux. Des yeux noisette qui te scrutent intensément. 

- Sacha ? 

Il doit aussi me reconnaître, mais au lieu de me sourire comme la dernière fois, il paraît embarrassé tandis que son visage se décompose. Pourquoi réagit-il ainsi ? Il a entendu du mal de moi ? La joie que j'ai éprouvée en le reconnaissant s'envole pour laisser place à de l'angoisse. 

- Comment tu connais mon nom ? 

Là, je suis perdue. Il ne se rappelle plus de moi ? Pourtant, ça fait à peine quelques semaines qu’on s’est rencontrés !

- On s'est vus au terrain de foot il y a quelque temps. Je m’appelle Amia, tu t'en souviens ? 

- Désolée, mais tu dois te tromper de personne. 

Elle me tend ensuite la main en changeant de ton, maintenant enjoué :

- Mais je m'appelle bien Sacha ! Bienvenue à ton nouveau bahut, Amia ! 

Je suis très déstabilisée. J'étais absolument certaine que c'était lui ! Je me suis demandée un instant s’il n'aurait pas un frère, mais ils n’auraient pas le même prénom, n’est-ce-pas ? C’est vrai qu’à bien y regarder, Sacha a un air féminin… Sacha étant un nom mixte, je ne sais pas trop comment le genrer. Est-ce un garçon ou une fille ? Je me retiens d’exprimer tous mes doutes à voix haute. Je vais supposer que c’est un garçon comme celui que j’ai rencontré lors du match de foot.

À force de trop me poser des questions, j'ai manqué la moitié de ses explications. Je n'ose pas lui demander de répéter, donc je me concentre sur ce qu'il dit maintenant. Il me présente les différentes salles, et fait même des commentaires sur les professeurs ! Je l'aime déjà beaucoup, j’espère qu’on pourra devenir amis.

- Est-ce que tu es dans ma classe ? Ce serait cool que tu sois présent pour mon premier jour de classe, j’avoue avoir un peu peur de me retrouver seule lors de mon premier jour. 

Il se fige une seconde, le visage crispé. Son expression ne dure qu'un instant, mais je remarque son changement d'humeur. Ai-je fait une gaffe ? Je ne sais pas ce qui a pu le contrarier. 

- Présente. Je suis une fille. Et oui, nous sommes dans la même classe. 

Je deviens rouge de honte à sa remarque. Ce que je redoutais est arrivé, je l'ai mal genrée ! 

- Je suis vraiment désolée, balbutié-je. Je ne voulais pas me tromper, mais j'ai pensé à l'autre Sacha que je connais. J'ai dû mélanger... 

- Ce n'est pas grave ! 

Il, je veux dire, elle me fait un grand sourire pour appuyer ses propos, mais je sens qu'il est forcé. Bravo Amia, tu as réussi à embarrasser la seule personne que tu connais ici ! 

Le reste de la visite se déroule sans encombre et j’arrive à ne pas me tromper sur ses pronoms. Je vois qu’elle est de nouveau détendue quand nous rejoignons Francine au même endroit que tout à l’heure…

Après avoir remercié Sacha, nous rentrons chez Francine. Le compte à rebours avant ma rentrée a commencé. 

 

Aujourd’hui, j'ai dû me réveiller plus tôt que d’habitude, car mon nouveau collège est plus loin que l'ancien. Je suis stressée. Et pas seulement par ma rentrée, mais aussi parce que j’ai toujours un doute sur la destination du bus quand je l’ai jamais emprunté. Pour une fois, je ne lis pas et attends mon arrêt avec plein de questions en tête sur les élèves, les profs, la réaction de Sacha quand elle va me voir... Ce sont toujours les mêmes qui tournent, mais leur répétition ne les rend pas moins angoissantes. Ça m'a fait tout drôle de me préparer pour le collège chez Francine. Elle s'est occupée de moi, a préparé mon petit-déjeuner… Depuis toujours, c'est moi qui le fais à la maison. Je ne regrette pas cette époque. D'ailleurs, ma mère n'a même pas daigné venir me rendre visite depuis que j’habite chez Francine. 

J'arrive à destination et descends du bus. En voyant la grille devant moi, je n'ai qu'une envie : retourner chez Francine. Seulement, je n’ai pas le choix et respire un grand coup avant de me lancer. Il ne peut pas m'arriver la même chose que la dernière fois. Après tout, personne ne me connaît, à part Sacha. Je me dirige vers mon casier, ouvre le cadenas et dépose tous mes cahiers. Je ne connais personne et ça me donne l'impression d’être à nouveau en sixième. J'essaie de me faire discrète en allant dans un coin, sauf que tout le monde a les yeux rivés sur moi. Après au moins cinq bonnes minutes de malaise, un garçon vient me voir. Je prends peur. Que me veut-il ? Il vient se moquer ? 

- Salut, t'es la nouvelle ? Moi, c'est Adrien. 

Je soupire de soulagement. Il n'est pas du tout hostile, je me fais des films toute seule ! J'ai tellement l'habitude qu'on m'adresse la parole pour me rabaisser que je n'arrive même plus à distinguer les bonnes des mauvaises intentions ! Je lui souris du mieux que je peux et réponds : 

- C’est bien moi. Je m’appelle Amia et je suis en 3E. 

- Dommage, moi je suis en 3F ! Mais t'as trop de bol, tu as Mr Vixteen en PP. J'ai Mme Locache ! 

- Je ne la connais pas, mais d'après ce que j’ai entendu dire elle est horrible.

- Tu ne sais pas à quel point ! Surtout qu'elle a une dent contre moi, j'te jure ! Je ne peux pas dire un mot à mon voisin sans qu'elle ne me fasse une remarque ! C'est insupportable ! 

Je rigole. C’est fou comment la discussion est facile avec lui, alors que je ne le connais pas !

- J'espère que je ne l'ai pas ! 

- Désolé de devoir te l’annoncer, mais elle a tous les troisièmes ! 

À ce moment-là, Sacha arrive vers nous tout sourire. 

- Salut Amia, et salut Adrien ! 

- Salut ! répondé-je avec une petite voix.

Tout d'un coup, je suis redevenue toute timide. Elle a une aura qui inspire le respect autour d’elle. Même si elle est super sympa, je suis un peu nerveuse autour d’elle. J’ai peur qu’elle ait changé d’avis sur moi et qu’au final, elle ne m’aime pas. Heureusement pour moi, la sonnerie retentit. 

- Viens Amia, je vais te montrer notre première salle de cours. À plus Adrien ! 

Pendant la cohue qui suit, elle m’aide à m’orienter. Je ne suis pas habituée aux grands établissements, et je me sens un peu perdue. Pourtant, cela me rassure en quelque sorte. Pour l’instant, personne ne me veut du mal ou ne me critique. J'ai même quelqu'un à qui parler ! J'ai vraiment envie d'en savoir plus sur elle, car même si je pense avoir compris son secret, un voile de mystère persiste. Au bout d'un moment, je réussis à la rattraper. 

- Alors ce début de journée ? demande-t-elle.

- Pour l'instant, ça va. J'espère juste que les professeurs ne vont pas me présenter devant la classe ! 

- C’est sûr que tu ne vas pas y échapper ! Mais notre classe est cool, tu verras. 

Nous arrivons devant la salle. Je recommence à stresser. Et si finalement, ils ne veulent pas de moi ? Sacha me touche le bras en se tournant vers moi. 

- Hey, ça va ? Tu n'as pas l'air bien ? 

Sans m'en rendre compte, je m'étais mise à respirer plus fort qu'habituellement. Je prends une grande inspiration pour me calmer. 

- Oui, ça va. 

- Tu es sûre ? Si tu as une crise d'angoisse, appelle-moi, ok ?

Je hoche la tête, touchée par son attention. Elle m'a regardé avec le même regard profond qui lui est propre. La beauté de ses yeux me trouble un instant, mais je me reprends vite pour faire face à la situation actuelle. Je ne voudrais pas faire une mauvaise impression à la classe. Quand je m’avance dans les rangées, tout le monde me regarde, même la prof qui me sourit pour me saluer. Je réponds faiblement, intimidée. Sacha m'indique ma place, au fond de la classe. Je suis soulagée de ne pas être à l'avant où tout le monde aurait pu me voir. Je me dépêche donc de m’installer à côté d'une fille qui a l'air sympa. Elle a de grands yeux bleus et les cheveux blonds. Ses yeux paraissent grands pour son visage, mais ça lui va bien. Elle me sourit. 

- Salut ! 

Je réponds en rendant son sourire. 

- Tu t'appelles comment ? demande-t-elle.

- Nadia, ne commence pas à parler dès la première heure ! s’indigne la professeur.

- Mais madame, je veux juste me présenter à la nouvelle ! 

- Ce n'est pas une raison. Ce serait dommage d'avoir un mot dans ton carnet dès la première heure de cours, n'est-ce pas ? 

La jeune fille, Nadia apparemment, baisse la tête en disant tout bas à mon adresse :

- C'est toujours pareil avec elle ! 

Je souris en cachant mon visage de ma main. 

- Peux-tu te présenter Amia ? Je suis sûre que tes camarades sont avides d’en savoir plus sur toi. 

Mon sourire s'évanouit et je sens mes battements de cœur s'accélérer. Je sens qu’à tout instant je peux faire une crise d'angoisse. Malgré tous mes efforts, je n'arrive pas à me calmer, pas quand toute la classe a les yeux rivés sur moi. Alors que je paniquais en regardant les élèves, je rencontre le regard de Sacha qui hoche la tête pour me donner du courage. Son geste me calme instantanément. Je ne suis plus seule, contrairement à mon ancien établissement. 

- Bonjour, je m'appelle Amia comme vous le savez sans doute. J'ai changé de collège en cours d'année, à cause de hum... Disons des élèves virulents... Sinon, j'aime lire et écouter de la musique. 

 Je passe ma main dans mes cheveux, gênée. Je ne sais pas trop quoi dire de plus.

- J'habite à Caëstre et je ne connais ici que Sacha. Voilà. 

Je me rassis rapidement, sentant mes joues devenir rouges. Pourquoi dis-je des détails pareils ? Tout le monde s'en fout ! Je baisse la tête pour ne pas affronter le regard des autres alors que Nadia me dit :

- T'as géré bravo ! 

- Vraiment ? 

- Oui, à ta place, j’aurais paniqué ! En plus, je suis sûre que tu auras des sujets de discussion avec les gens de la classe. Dès qu'on parle de musique, ils se déchaînent ! C'est limite pire qu'avec le foot ! 

Dit donc, cette fille est vraiment très énergique et bavarde ! Au moins, ce ne sera pas difficile de tenir la conversation avec elle ! Je me détends un peu. 

- Nadia ! Je t'ai déjà fait une remarque ce matin ! Décidément, tu ne trahis pas ta réputation de bavarde ! 

- C'est normal, ça fait longtemps que je n'ai pas eu de voisin ! 

- Si ça continue, tu n'en auras pas non plus jusqu'aux vacances !

- Je vais écouter, je vous le promets madame ! 

- J'espère bien ! 

Le cours se déroula par la suite sans problème, je ne sais pas pourquoi j'ai autant stressé vraiment ! Je sors de la classe, comme à mon habitude, c'est-à-dire lentement. Une fois que j’arrive dans le couloir, je n’aperçois plus personne de ma classe. De quel côté faut-il aller ? Je suis perdue ! La sonnerie a déjà retenti, je vais être en retard pour mon premier jour ! Quelle horreur ! Des personnes passent à ce moment-là et je prends mon courage à deux mains pour leur demander :

- Excusez-moi, est-ce que vous savez où se trouve la salle 403 ? 

Je me suis adressée à trois garçons qui n'avaient pas l'air de se dépêcher pour aller en cours. Dès que nos regards se croisent, je sens que j'ai fait une erreur en leur adressant la parole. 

- Vous avez vu les gars, y'a une nouvelle qui est perdue ! 

- Encore une Africaine ! Ça pullule par ici ! 

Je recule dans la direction opposée à leur position pour essayer de m'échapper. Je me suis mise à trembler : ça me rappelle une situation similaire... 

- Alors on a peur, ma gazelle ? On ne veut plus parler tout d'un coup ? 

Pourquoi est-ce toujours la même chose ? Suis-je destinée à ne recevoir que de la haine ? Qu'ai-je fait de mal ? Je ferme les yeux, pour ne pas voir mon pire cauchemar se réaliser quand une voix retentit de l'autre bout du couloir. 

- Laissez-la tranquille bande de connards ! 

C’est la voix de Sacha ! Elle est plus grave que d'habitude, menaçante. Je rouvre les yeux. Elle se dirige droit vers eux, comme si elle allait les frapper. J'ai eu envie de l'arrêter en criant qu'ils étaient trois contre elle, mais je suis trop terrorisée pour parler. 

- Regardez qui voilà, la fausse gonzesse ! Tu crois que tu nous fais peur avec tes airs virils ? 

- Dégagez tout de suite ! Je n'hésiterais pas à vous péter la gueule ! 

De l’extérieur, je n’aurais jamais pensé qu’elle puisse se mettre dans une telle colère. Malgré la rage de Sacha, le chef du groupe ne paraît pas avoir envie de partir. J'entends un de ses amis chuchoter :

- Mec, c'est la fille du proviseur, on risque de se faire expulser comme Gaspard ! 

Je me demande qui était ce fameux Gaspard, il faut que je pense plus tard à poser cette question. 

- OK, on s'tire. Mais ne crois pas qu'on a peur de toi, petite pétasse, dit le chef à Sacha. Tu ne perds rien pour attendre ! 

Sacha n’a pas bougé d’un poil durant toute l’altercation, ce qui m’impressionne. Une fois qu'ils ont tourné à l'angle du couloir, elle se tourne enfin vers moi :

- Ça va ? Ils ne t'ont pas fait mal ? 

Je suis très touchée qu'elle s'occupe de moi, mais j'ai peur que ce soit sur la demande de son père qui est apparemment le directeur. Je détourne le regard, encore un peu sur le choc. 

- Ça va. 

- J'étais inquiète que tu ne sois toujours pas sortie, alors je suis venue voir ce qu'il se passait. S'ils t'approchent de nouveau, tu me le dis d'accord ? Ils n'oseront jamais me tenir tête à cause de mon père. 

Je hoche la tête, en me rappelant d’un élément important. 

- On doit aller en cours, non ? 

Elle semble surprise que je change le sujet ainsi, mais je ne veux pas continuer à parler de cet événement. Je sais que les mauvais souvenirs de mon ancien collège pourraient revenir au galop.

- Oui, oui, bien sûr. Je te montre le chemin. 

Heureusement pour moi, le trajet se passe en silence, car mes nausées sont de retour et je ne pense pas que je puisse tenir une discussion. Je suis contente que Sacha n'insiste pas à vouloir me parler. Elle s'arrête devant une porte et je dois sortir de mon brouillard mental pour réaliser que nous sommes arrivées à destination. Elle s’adresse à moi, les yeux plein d'inquiétude. 

- Tu vas tenir le coup ? Si tu veux, je peux expliquer au prof ce qu'il s'est passé pour que tu ailles à l’infirmerie prendre une pause.

La panique me gagne. Et si l’instituteur réagissait comme tout le monde ? Qu’est-ce que je ferai s’il dit que ce n'est pas bien grave, qu'ils faisaient ça pour rigoler ? Je lui fais comprendre en secouant énergiquement la tête que ce n’est pas la peine.

- OK, c'est comme tu le sens. 

Elle inspire un grand coup. 

- C'est parti... 

Nous entrons dans la salle et encore une fois tous les regards sont posés sur moi. Ça commence à devenir gênant. Cette fois, le professeur a l'air assez vieux et pas très sympa d’après son regard quand il nous voit entrer. 

- Vous êtes en retard ! 

Comme si on n'était pas au courant ! Je m’apprête à parler, mais Sacha me devance en voyant que je m'apprêtais à répondre sèchement. Je ne sais pas comment elle fait pour me comprendre si bien, elle doit forcément avoir un don de télépathie !

- Désolée, Monsieur, Amia est nouvelle et elle avait oublié un cahier. Alors je l'ai accompagnée pour lui montrer le chemin jusqu'ici. 

Le professeur plisse les yeux, comme s’il pouvait déterminer si on ment ou pas. Il me fixe un long moment, puis se détourne sans un mot. Il continue son cours, comme si on ne l'avait jamais interrompu. Je chuchote un merci à Sacha qui me fait un grand sourire. 

- Avec plaisir !

Pour aucune raison valable, son sourire accélère les battements de mon cœur. Cette sensation familière me glace instantanément. Je ne peux quand même pas tomber amoureuse dès le premier jour ! Je n'ai pas envie de revivre ma dernière expérience dans ce domaine, même si je sens que cette fois Sacha est une bonne personne. Mais après tout qu'est-ce que j'en sais ? Je ne la connais que depuis une semaine ! Et encore, si je compte le nombre de jours où on s'est parlées, ça fait deux ! Je m'installe à ma place attribuée, à côté de ma voisine bavarde, avec une seule certitude en tête : cette fois-ci, je ne tomberai pas amoureuse. 

 

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