Chapitre 2
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Chapitre 2
Je suis dans le bus. Seule, mais soulagée. J'ai survécu une journée de plus. Enfin loin des problèmes. Je regarde l'heure : 16h47. Il me reste vingt-six minutes de bus. Les minutes passent et l’arrivée se rapproche dangereusement... Vingt minutes... Quinze minutes... Mon appréhension revient. J'essaie de me concentrer sur mon téléphone, mais mon ventre reste noué quoi que je fasse. Je sors un livre. Celui-là est particulièrement intéressant : une fille qui doit quitter sa maison à cause d'un mariage forcé, et découvre un monde plein de mystères... J'aime bien cette histoire. L'héroïne n'est pas parfaite tout en étant très attachante. Elle est livrée à elle-même dans un endroit inconnu, sans personne à part sa tante sur qui s'appuyer et pourtant elle reste digne. J’aimerais tant être comme elle…
Mon trajet en bus finit par se terminer. Je n'ai pas envie de sortir. Je vois un à un les autres jeunes de mon village se lever pour descendre alors que je reste paralysée. Je peux le faire, il suffit de placer une jambe après l'autre. Quand j'arrive enfin au niveau du chauffeur, le bus commence déjà à avancer.
En me voyant, le conducteur me crie :
- Retourne à ta place ! Tu ne vois pas que je conduis ?
- C'était mon arrêt.
Il grommelle, mais finit par s'arrêter un peu plus loin.
- La prochaine fois, mets un réveil pour ne pas louper l'arrivée.
Je hoche la tête pour faire bonne figure.
Une fois à l'air libre, le désespoir me rattrape. Je ne suis pas comme une héroïne de roman, je ne peux rien arranger. Chaque jour, je retarde le moment de rentrer. De toute façon, il n'y a personne qui ne m'attend. Je finis par arriver devant une porte que j'ai vu des millions de fois : l'entrée de la bibliothèque. Je m’arrête devant la porte, hésitante. Je devais rentrer plus tôt aujourd'hui pour finir mes corvées. Seulement, j’ai une envie irrésistible de me reposer dans la bibliothèque… Et puis, tant pis ! Je trouverai bien un moyen de finir ce que ma mère m’a demandé à temps.
J’entre dans le bâtiment et je me sens de suite apaisée. S'il y a bien une chose qui m'a fait tenir jusqu'ici, c'est bien les livres. Comme je n'habite pas dans un grand village, j'ai quasiment fait le tour de ceux qui m’intéressent. Pourtant, avec de la patience, je finis toujours par en dénicher un nouveau. C'est un peu comme une chasse au trésor.
Je salue au passage les bénévoles qui ont le courage de venir dès qu'ils ont du temps pour faire fonctionner ce bel endroit. Je vais à l'étage, là où se trouvent les étagères consacrées aux ouvrages pour les enfants et adolescents. Je m'installe sur un tabouret et oublie une nouvelle fois le temps qui passe. Une fois, je suis restée trois heures et quart ! Ce que je ne referai plus jamais, vu le sermon de ma mère que je me suis pris. Depuis, je mets une alarme pour ne pas bouquiner trop longtemps.
Deux heures plus tard, elle sonne. J'ai l'impression que ça ne fait que 10 minutes que je lis. C'est pourtant déjà l'heure de partir. Je me lève le cœur lourd. Je n'ai pas envie de rentrer... Mais je dois faire comme toujours : continuer à survivre. J'arrive à ma maison, en ayant croisé quelques personnes enjouées. Le bonheur qui déborde d'elles me rappelle à quel point je suis seule. Depuis quand n'ai-je plus ressenti de la joie ? Je ne sais même plus ce que ça fait. Je suis devant la porte d'entrée, immobile. Une fois encore la peur me tord les boyaux. Ma main tremble pendant que je cherche mes clefs dans mon sac. À un tel point, que je mets plusieurs minutes avant d’arriver à ouvrir la porte.
Je finis par passer le seuil de cette maison de malheurs. Je retiens ma respiration, comme si par ce seul geste, je pourrais ne pas déranger ma mère. Je tends l’oreille : aucun bruit. Je soupire de soulagement. Elle ne doit pas être là. Je me dirige sans attendre vers ma chambre, et fais mes devoirs. Malheureusement, ma porte s’ouvre peu après.
- Amia, tu n'as pas fait tes corvées !
Je me force à ne pas répondre, répétant les mots associés à cette situation : obéis, baisse la tête, réponds de manière brève.
- Désolée.
Je ne la regarde jamais en face quand je parle, de peur qu'elle prenne cela pour un affront.
- Je me fiche de tes excuses à la con ! Tu as intérêt à les avoir finies d’ici une heure.
Je ne proteste pas. Pourtant, on sait toutes deux que c'est impossible de laver le linge, nettoyer la vaisselle, faire le ménage et le dîner en si peu de temps. Comme je n'ai pas le choix, je m'active. Je fais tout pour ne pas l'énerver et évite de causer trop de bruits. Dès qu'elle me rajoute une tâche, j'obtempère sans discuter.
Après cette journée harassante, je prends ma douche rapidement. Jamais je ne me regarde dans le miroir. Ce n'est pas un problème de vanité, je n'arrive tout simplement pas à soutenir mon reflet. J'ai l'air d'une fille qui s'est fait battre, ce qui me rappelle les événements de la journée.
Je me couche ensuite. J’ai à peine touché mon plat de ce soir. Je n'ai pas faim. Comme toujours, je n'arrive pas à m'endormir malgré la fatigue. La peur du lendemain est toujours plus forte. Demain, c'est samedi. Ce qui veut dire que je devrais rester faire la bonniche pendant que ma mère se saoulera avec ses amies. Je ne sais pas ce que je préfère entre aller au collège et me faisant agresser à cause de ma couleur de peau, ou de devoir rester avec ma mère. Finalement, je décide de lire pour oublier un moment ma situation. Pour certains, la drogue ou l'alcool les emmène ailleurs. Pour moi, mon moyen de m’évader est la lecture. Je suis censée prendre des médicaments pour réguler mes crises d'angoisse et un somnifère pour mieux dormir. Je ne le fais jamais, car ça ne fonctionne pas sur moi. Pour tout dire, les effets secondaires sont plus présents que les résultats. En plus, ma mère ne voudrait certainement pas gâcher son argent pour mon bien-être, et pour rien au monde je ne la contrarierais.
Je me réveille au martèlement à ma porte. Je ne me souviens plus quand je me suis endormie. Probablement vers une heure du matin, à cause de la fatigue. Je déjeune rapidement : un verre d'eau, une clémentine et j'attends que ma mère me dise le programme du jour. Je n'ose pas aller la voir de peur qu'elle ne s'énerve. Finalement après ce qui m'a paru durer des heures, elle se lève du canapé. Mais au lieu de me lister mes corvées comme à son habitude, elle me lance :
- Pourquoi rentres-tu si tard de l’école ces derniers temps ? Ne me dis pas que tu t'es trouvé une petite-amie ?
Je suis déstabilisée. Depuis mon coming-out, on n'a plus parlé de mon orientation sexuelle. Je cherche une réponse qui pourrait lui faire plaisir, mais rien ne sort. Elle éclate de rire. Ce n'est pas un rire de joie, plutôt un rire qui fait froid dans le dos et qui annonce que les ennuis arrivent.
- Je me doutais que tu n'avais pas changé.
Elle se rapproche lentement pendant qu'elle parle, une bouteille à la main. Je tressaille. La scène de la dernière fois se répète. Faites que le temps s'arrête !
- Tu te crois maligne à te considérer différente des autres ? Malgré tous les efforts que j’ai faits pour t'éduquer comme il se doit, tu décides de n’en faire qu’à ta tête.
Elle est de plus en plus près et je n'ose plus bouger, mon cerveau s'est comme arrêté. Si un Dieu existe quelque part, aidez-moi s’il vous plaît !
- Tu sais tout ce que tu me coûtes ? Je suis seule depuis que ton père m'a lâchée. Et voilà comment tu me remercies ?
Son visage n'était plus qu'à quelques centimètres du mien. Je pouvais sentir l'odeur d'alcool se dégager d'elle.
- J'aurais dû te tuer quand tu n'étais qu'un bébé !
Ces mots me firent l'effet d'une claque. Je me recule et essaie de me défendre :
- Je ne contrôle pas mes sentiments.
Malgré tout le courage que je déploie pour lui tenir tête, tout ce qui sort de ma bouche n'est qu’un murmure à peine audible. Ma mère me regarde durement.
- Tu peux au moins parler plus fort pour que je puisse entendre, vaurienne !
Cette fois, je n’arrive pas à me retenir et crie :
- Je ne contrôle pas ce que je ressens ! Et si tu voulais que je crève, tu aurais pu le faire plutôt que de m'humilier tous les jours !
Je comprends mon erreur dès que j'ai fini de parler. Son visage devient rouge de rage et je vois sa main se crisper sur la bouteille vide. Je viens de bafouer la règle n°1 : ne jamais répondre.
Elle lâche sa bouteille qui explose au sol. La peur me saisit. Mon ventre se contracte et je me mets à trembler. Les larmes brouillent ma vue, mais j’arrive à me reculer précipitamment pour m’éloigner d’elle au maximum.
- Insolente ! Tu vas regretter de t'être opposée à moi !
Elle me lance un tabouret au visage qui me rate de quelques centimètres. Je suis terrorisée, mais je réussis à m'échapper de la pièce grâce à mes nombreuses heures d'entraînement au lycée. Pendant ce temps-là, ma mère ravage tout en me hurlant d'aller mourir en enfer. Je sors en pleurant de la maison et je cours, encore et encore... Je veux oublier. Pourquoi m'arrive-t-il tout ça ? Qu'ai-je fait pour le mériter ? Pourquoi me déteste-t-on à cause de ma différence ? Je ne suis qu'une fille noire et lesbienne qui ne demande qu'à vivre ! À quoi bon vivre, si c'est pour ne ressentir que de la douleur et de la peur ? Mes pas me mènent instinctivement vers la bibliothèque où je rentre en trombe, sans prendre la peine de saluer la vieille dame à l'entrée. Je me précipite à mon étage préféré et m'assois sur le premier tabouret venu. Mille pensées me traversent, tandis que ma respiration et mes pleurs finissent par se calmer. Je me sens vidée de toute émotion. Comme si ma vie s'était mise sur pause. Je relève la tête et vois la vieille dame que j'ai croisée tout à l'heure. Elle est dos à moi et regarde les titres des livres du rayon. Depuis quand est-elle là ? M'a-t-elle vu pleurer ? Sûrement vu mon arrivée fracassante.
- Tu connais "Quand vous lirez ce livre…"? Un chef d'œuvre de la littérature !
Je mets quelques secondes à comprendre que c'est à moi que la dame parle. J'essaie de reprendre mes esprits et réussis à répondre d'une petite voix :
- Oui, j'ai beaucoup aimé.
Elle se tourna vers moi avec un grand sourire.
- Ça fait du bien de savoir qu'il est apprécié à sa juste valeur.
Je ne comprends pas pourquoi cette femme m'adresse la parole. On ne se connaît même pas !
- Je trouve que ça montre vraiment ce que peut ressentir un adolescent atteint d'un cancer, souvent on...
Elle continue à parler, tandis que je ne l'écoute que d'une oreille. Pourquoi fait-elle attention à moi ? Elle s'est peut-être trompée de personne ? Tout d'un coup, la femme s'arrête de parler et regarde l'heure.
- Tiens ! C'est déjà l'heure de fermeture !
Oh non, pas ça ! Ça veut dire que je suis obligée de rentrer chez moi ! Je me mets alors à trembler malgré moi. Que fera ma mère ? Me punira-t-elle ? Mais qu'ai-je donc fait pour qu'elle me déteste autant ? Pourquoi mon orientation sexuelle lui importe-t-elle tellement ? La femme qui me parlait depuis un long moment, ou plutôt qui disait son monologue, me lance un regard avenant.
- Je dois aller faire mes courses à la boulangerie d'à côté, mais je suis assez vieille et fatiguée. Peux-tu m'y accompagner ?
Elle ne paraît pourtant pas si fatiguée pour son âge. Je dirais qu'elle a quatre-vingt ans, et je suis probablement biaisée par ses habits vieillots. Son ensemble est composé d’un pantalon marron clair à la coupe depuis longtemps dépassée et d’un pull vert foncé aux grosses mailles à l'ancienne. Et je ne parle pas de ses ballerines qui ne la rajeunissent pas. Pourtant, même si c’est une pure inconnue et qu’elle ment certainement pour que je vienne avec elle, tout me laisse à penser qu'elle est inoffensive. Je hoche donc la tête à sa proposition, trop heureuse d'avoir une excuse pour retarder ma future confrontation avec ma mère... Je me lève et je la suis. La dame est, comme je le pensais, bien en forme. Elle parle avec un dynamisme incroyable ! Je la jalouse un peu d'être si bien dans sa tête et dans son corps... Nous sortons toutes deux de la bibliothèque, moi sans livre et elle avec deux sacs remplis ! Comment fait-elle pour les porter avec des bras aussi frêles ?
- Vous voulez de l'aide pour porter vos sacs ?
Elle sourit à ma proposition.
- Ça ira jeune fille, je te remercie. J'ai l'air peut-être faible, mais je me sens encore assez forte pour porter mes sacs !
Je rougis un peu de honte. J'espère qu'elle n'a pas mal interprété mes intentions. Elle fouille dans un de ses sacs et en ressort un porte-monnaie. Ce que je remarque en premier est sa grande usure. Il doit au moins être aussi vieux qu'elle !
- As-tu déjà mangé ? Sinon, je peux t’acheter un sandwich.
Je suis gênée par tant de gentillesse alors qu’on vient à peine de se rencontrer. Jamais personne ne m’a offert à manger sans rien demander en retour. Je suis bien tentée d'accepter sa proposition, mais je commence à avoir des doutes. Et si derrière ses airs doux cette femme était mal attentionnée ? J'ai toujours appris à me méfier et cette habitude refait surface. Après tous les coups bas que j'ai essuyés, il vaut mieux rester sur ses gardes.
- Ça va aller. Merci, madame.
- Oh, ne m'appelle pas madame, tu peux me tutoyer ! Bon, j'y vais. Je ne serais pas longue.
Elle entre dans le magasin. Je la regarde faire ses achats et je remarque que sa bonne humeur s'étend dans la boulangerie. Je n'ai jamais vu une personne capable autant de bonnes ondes ! Avec elle, je me sens protégée sans avoir besoin de prouver en permanence ma valeur. Rapidement, elle ressort.
- Merci de me tenir compagnie. Je suppose que tu vas devoir rentrer chez toi maintenant.
Je ne réagis pas. Ses paroles viennent me rappeler ma situation. Je ne peux pas indéfiniment fuir ma vie.
Voyant mon désarroi, elle suggère naturellement :
- Mais si tu le souhaites, tu peux venir avec moi. Je vais m'installer près du terrain de foot pour manger.
Un élan de reconnaissance m'envahit. Cette dame devait lire dans mes pensées !
- Je veux bien.
Elle me rendit mon sourire avant de se mettre en route. Ce que j’apprécie chez cette dame, c’est d’arriver à me sentir à l’aise sans que je n'ai besoin de parler. En effet, elle fait la conversion pour deux, et tout ce qu'elle me raconte m’intéresse. Ses sujets de discussion ne sont pas ceux de l'imaginaire collectif où toutes les vieilles dames sont grincheuses. Non, son aura resplendit de joie. Je crois qu’elle s'étend même jusqu'à moi, pourtant désespérée la plupart du temps. Une fois arrivées au terrain de foot, nous nous installons sur un banc pour voir le match amical en cours.
- Je viens les voir jouer tous les samedis. C’est fou comment on voit leurs améliorations au fur et à mesure que le temps passe ! Tu sais qu’avant le foot était mon sport favori ? Il garde une place très chère dans mon cœur !
- Vous jouiez au foot ?
Je suis si étonnée que je n’ai pu m'empêcher de faire la remarque à voix haute. Après coup, je me rends compte de mon impolitesse. J'espère qu’elle ne va pas le prendre mal. Contre toute attente, elle se met à rigoler.
- Ne sois pas si surprise ! Moi aussi j'ai été jeune pendant un temps ! Après, je peux comprendre ton étonnement. C'est peu commun qu'une femme de mon âge puisse l'affirmer à cause du sexisme incessant à cette époque. Ce serait peu dire que je suis fière d'avoir suivi mes convictions ! Il faut aussi dire que j'ai eu de la chance, la percée féminine de ce sport s'est opérée durant ma jeunesse.
En y pensant, c'est vrai que je connais peu de femmes de son âge qui aiment faire du foot. Elle sort deux sandwichs de son sac et m'en tend un. Je suis surprise qu'elle m'en ait quand même acheté un malgré mon refus. Mais je suis aussi gênée d'accepter un tel geste.
- Voyons, c'est impoli de manger devant une personne qui n'a rien pour se nourrir. Je l'ai acheté pour toi, ce serait du gâchis de ne pas le prendre !
Plus convaincue par ma faim et son entêtement que par ses arguments, je finis par céder. Pendant que nous commençons à manger silencieusement, nous regardons le match de foot en cours. Bien sûr, elle rompt rapidement ce moment de calme. Après s'être tournée vers moi pour me questionner :
- Maintenant dis-moi, qu'est-ce qui te rend malheureuse ?
Je la regarde avec surprise.
- Qui vous dit que je suis triste ?
- Je le sais, ma fille. C'est inscrit sur ton visage.
Rien que cette inconnue s'inquiète pour mon sort me réchauffe un peu le cœur. Personne ne m'a demandé comment j'allais depuis bien longtemps. Pourtant, je n'arrive pas à me décider si je dois me confier ou non. Si j'ai bien appris une chose au cours de ma scolarité, c'est que les apparences sont parfois trompeuses.
- Tu peux tout me dire. Je ne te jugerai pas.
Il ne m'en faut pas plus pour que je déballe mon sac :
- Ma mère ne me supporte plus depuis que j'ai fait mon coming-out lesbien. Elle était déjà odieuse avec moi avant ça, mais maintenant, c'est encore pire. Elle me donne plein de corvées, et je ne supporte plus d'être seule avec elle. J'ai si peur qu'elle s'énerve à nouveau et qu'elle me fasse du mal... Elle a déjà essayé deux fois de jeter des objets sur moi. Et je sais que je n'ai rien fait de mal, mais il y a toujours cette petite voix qui me dit que si je n'existerais pas tout irait mieux...
En parlant, je me mets à pleurer. La vieille femme me prend dans ses bras pour me dorloter. Je ne sais pas combien de temps s'est passé sans que quelqu'un me console ainsi. J'ai l'impression de retourner en enfance, quand j'étais encore innocente et naïve.
- Ne t'inquiète pas, tu es en sécurité avec moi, me chuchote-t-elle. Je sais à quel point c'est dur d'être rejeté par sa famille. Tu mérites de vivre, ne doute jamais de cela. Qu'importe les personnes que tu aimes, ton orientation sexuelle ne te définit pas et ne fait pas de toi un monstre.
Qu'est-ce que ça fait du bien de se sentir comprise et acceptée !
Quand mes pleurs se calment enfin, elle reprend la parole.
- Si tu veux, tu peux venir chez moi le week-end et je dirais à ta mère que tu travailles pour moi. Je sais que nous venons simplement de nous rencontrer, mais je ne peux pas rester sans rien faire après ce que tu m'as raconté.
Je hoche la tête avec enthousiasme. Je ne reviens pas qu'elle me fasse une telle proposition ! C'est si gentil et généreux.
- Au fait, je ne me suis pas encore présentée : je m'appelle Francine, dame retraitée et militante féministe, ajoute-t-elle avec un clin d’œil.
- Amia.
- J'ai été heureuse de te rencontrer, Amia. Malheureusement, je vais devoir rentrer. Je suis vraiment désolée de devoir te laisser si tôt, mais j'ai bientôt un rendez-vous important. À la semaine prochaine !
Je n'ai pas le temps de lui répondre qu'elle était déjà partie ! Quelle femme surprenante quand même ! Je finis mon repas en continuant de regarder d'un œil distrait le match de foot. Une fois mon sandwich fini, je me lève sans faire attention à ce qu'il se passe autour de moi. Aussitôt, je reçois un énorme choc sur la tête. La douleur se répand sur mon visage alors que je tombe en arrière sous la force du ballon qui m’a percutée. Je reste hébétée sur le sol. J’ai la tête qui tourne ainsi que le visage et les mains en feu pour avoir amorti ma chute. Je ne reprends mes esprits qu'en entendant quelqu'un crier :
- Ça va ? Tu ne t'es pas fait mal ?
La personne qui m'a posé ces questions arrive vers moi en courant et s'accroupit à mes côtés, tandis que je me redresse avec difficulté. C'est un garçon qui doit avoir mon âge. Il a les cheveux châtain clair coiffés en queue-de-cheval et de beaux yeux noisettes. Jusqu'alors je n'ai jamais rencontré une personne avec un visage aussi expressif. C’était au point de me demander s’il ne pouvait pas sonder mon âme.
Il m'aide à me relever en s'excusant :
- Je suis vraiment désolé. J'aurais dû faire plus attention en tirant dans le ballon. Tu n'as pas mal ?
- Ce n'est pas grave, t’as pas fait exprès.
Malgré mes paroles rassurantes, je peux voir qu’il s'en veut toujours autant. Ça me fait tout drôle d'être traitée comme si mes émotions étaient importantes. Je ne me souvenais plus de la sensation que ça procurait d'être respectée. Est-ce que ça fait cet effet d'être considéré comme dans les normes ?
- Tu n’as pas mal ? s’inquiète-t-il.
- Non, ça va.
- Pourtant, ta joue est bien rouge.
Il effleure ma joue. Je tressaille, autant gênée par son geste que par la douleur qu’il a provoquée.
- Ça fait mal ?
- Un peu.
- Si tu veux, tu peux aller à l'infirmerie du club.
- Ça va aller, merci.
- C’est le moins que je puisse faire. Au fait, je m'appelle Sacha.
- Et moi Amia.
- C'était cool de te rencontrer, même si j’aurais aimé que ce soit dans d’autres circonstances. Avec un peu de chance, on se reverra sans que tu ne reçoives un ballon dans la tête !
Sur ces mots, il repart au petit trot vers le terrain. Je ne sais pas pourquoi, je trouve sa manière de se comporter un peu féminine. Je ne sais pas si c’est un préjugé, et je ne veux pas m’avancer, mais c’est comme s’il n'était pas né dans le bon corps... Peut-être n'est-ce qu'une impression. En tout cas, j'ai eu mon lot d'émotions fortes pour aujourd'hui. C'est bien la première fois que deux personnes sont gentilles avec moi dans un si court laps de temps ! Mais cela n'empêche pas que j'ai toujours un problème à régler : ma mère. Je me dirige vers ma maison en priant pour qu'elle se soit endormie en buvant trop d’alcool. Ce serait tellement plus simple… Il ne reste plus qu'à prier.
Nathalie Agier il y a 3 mois
Je me suis d'emblée sentie proche de cette jeune fille rejetée et malheureuse. On parvient très vite à s'identifier et à sentir son désespoir. Bravo !
Lucéa Flament il y a 3 mois
Merci 🥰
Jackie H il y a 3 mois
Eh bien, quand ce n'est pas l'école, c'est la famille - enfin, la mère seule... elle n'est pas gâtée par la vie Amia, ça fait mal au cœur de voir ça 😥. Et bien sûr, son homosexualité n'arrange rien 😕. Heureusement que dans cet épisode-ci, elle a l'occasion de rencontrer des personnes sympathiques et bienveillantes 🙂. En tout cas c'est bien raconté 🙂
Lucéa Flament il y a 3 mois
Merci pour ton retour, je suis heureuse que tu aies apprécié mon histoire ^^ J'espère que la suite te plaira tout autant !