

Chapitre 37 : Changement et éveil (Fin : partie 1)
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Chapitre 37 : Changement et éveil (Fin : partie 1)
Tout était devenu si sombre en l’espace d’un instant que l’on ne voyait ni l’horizon, ni les étoiles, ni même la lune. L’eau et la terre tremblaient de plus en plus, comme s’ils ne formaient qu’une seule et même étendue, vibrants sous les agitations du cœur de la planète. Ce n’étaient pas seulement les deux royaumes qui changeaient mais le monde entier avec eux. Il s’agissait du grand renouvellement dont parlaient les dieux protecteurs : un mal nécessaire pour faire renaître, revivre la planète. D’où la prophétie tenait-elle tous ses pouvoirs ? De l’amour des âmes-sœurs et des enfants de la lune réunis, de leur connexion sur le plan spirituel, et de la disparition des plus grands sorciers maléfiques de la surface de la terre. Si un jour le mal revenait, l’énergie si puissante qui changeait le monde en ce moment l’arrêterait, énergie aussi infinie et pure que l’amour qui réchauffait le cœur des hommes. Un amour si fort qu’il traversait les vies et les générations, scellant le pacte conclu par nos amis durant leur précédente incarnation terrestre.
Mais ce changement avait beau être bénéfique, il n'en était pas moins effrayant. Blake, Poema et les autres savaient très bien que pour réunir les deux royaumes, il fallait plonger la terre sous l'eau pour retransformer les hommes en sirènes et tritons... Mais... Cela ne revenait-il pas au même que le plan du roi triton et de Morgan, qui voulaient inonder la terre ? Ou bien était-ce la partie marine du royaume qui allait être asséchée ? N'était-ce pas dangereux, était-ce seulement possible à réaliser sans blesser les humains ? Allaient-ils se rappeler de leur origine marine, ou le choc de leurs souvenirs risquait-il de leur briser l'esprit comme le craignait le jeune mage ?
Rien de tout cela, enfin du moins pas aussi violemment que le pensaient nos amis.
Tout commença par un tremblement de plus en plus fort, si fort que les habitants durent s'accrocher les uns aux autres par peur de se faire emporter par les vagues et le vent. Ensuite, le ciel commença à s'éclairer petit à petit après être devenu complètement noir durant quelques secondes. Pleins d'espoir, les habitants encore dehors durant la tempête levèrent la tête vers l'astre céleste, qui pointait enfin le bout de son nez après être resté en retrait durant si longtemps. Malgré la perte de la notion du temps, les heures commençaient à se faire longues, ce qui faisait sens comme en réalité, plusieurs jours s'étaient écoulés depuis que le dernier lever de soleil.
Une dernière fois avant le calme, les vagues et le vent augmentèrent en puissance, comme pour renouveler l’air et l’eau de la planète, un signe de renaissance et de renouveau.
Puis enfin, le silence se fit.
Étrange. Les deux royaumes étaient toujours séparés.
Quelque chose n'avait-il pas marché ou nos amis s'étaient-ils trompés sur la prophétie ? Elle affirmait pourtant pouvoir "réunir" les deux peuples... Parlait-elle d'une connexion physique ou mentale ? Le jeune mage et ses compagnons eurent rapidement la réponse : l'eau montait. D'abord inquiète, la princesse sirène se tourna vers son bien-aimé, échangeant avec lui un visage perplexe. Enfin, ils se rendirent compte que ce n'était pas vraiment l'eau toute entière qui montait, mais seulement un mur.
En effet, une sorte de voile aquatique très scintillant accompagné par une fine pluie fraîche semblait désormais recouvrir la terre. Comme c’était impossible à clairement distinguer depuis le fond des eaux, Lohan les téléporta à la surface afin de satisfaire leur curiosité. Avant de partir, il indiqua cependant aux habitants du monde marin de ne pas quitter les eaux protectrices de la mer. Il ne serait pas capable de protéger tout le monde s’il se passait quelque chose.
Sortant la tête hors de l'eau, nos amis furent aspergés par la pluie, légère et brillante, qui s'écoulait de l'amas de nuages colorés que l'on voyait dans le ciel encore à demi endormi. Les timides rayons de soleil avaient une teinte orangée, propre à l'aube et au crépuscule de ce monde. Quelque chose d'intemporel se dégageait du moment, voulant enrober la terre d'eau. La végétation, elle, semblait encore plus belle et luxuriante sous la pluie, même si nos amis ne pouvaient pas l'admirer de là où ils se trouvaient.
Enfin, ils comprirent ce qu’il se passait.
La terre n’allait pas être inondée pour ne faire qu’un avec la mer. C’était la mer qui entourait la terre, transformant celle-ci en île, la détachant du reste du monde. Les deux royaumes ne devaient former qu’un, et protégée par le voile aquatique, la terre put enfin rejoindre la mer.
Quelle ne fut pas la surprise des humains peuplant le royaume terrestre lorsqu'ils se rendirent compte que la mer les entourait ! Les tritons et les sirènes eurent une réaction similaire quand ils virent l'ombre du royaume des hommes flotter au-dessus d'eux... Mais leur dégoût fut vite remplacé par un sentiment de bien-être et d'union. Il n'y avait pas besoin de choisir où vivre, tout s'était connecté de lui-même, comme si les deux royaumes n'avaient jamais été séparés. Ce fut si évident dans le cœur des gens que ceux-ci ne ressentirent presque aucun choc en se souvenant du passé.
Si les créatures aquatiques pouvaient devenir des hommes, et que ces derniers avaient autrefois été eux-mêmes des habitants du monde marin, pourquoi continuer à se haïr ? Et même si ce n’était pas le cas, l’eau ne paraissait-elle pas aussi douce qu’une pluie de fleurs ? Pourquoi la craindre ? Pourquoi ressentir de l’effroi envers ceux qui habitaient dans cette eau si agréable ? De même, pourquoi avoir peur de cette ombre si chaleureuse qui planait au-dessus du château des mers ? Pourquoi craindre un endroit que l’eau caressait de ses vagues, et que la pluie embrassait de ses gouttes ?
Cette évidence était pourtant si naturelle… Jamais ils n’auraient dû se haïr. Mais c’était arrivé, et les uns avaient rejeté les autres. Comment effacer tout ce mal, ou du moins le guérir ? Les hommes comme les créatures marines ne savaient pas quoi faire pour en finir. Les souvenirs qui les assaillaient étaient revenus avec une vitesse alarmante et une facilité déconcertante, mais cela ne changeait en rien les évènements passés. Alors que chacun se posait des questions, leur lien les mena à une seule et unique conclusion : se rendre entre terre et mer, là où les deux royaumes se touchaient et s’étaient toujours touchés même avant leur réunion.
Cela se passa comme dans un rêve embrumé.
Les hommes, les femmes, les sirènes et les tritons se rejoignirent là où les vagues et le sable se touchaient. Certains touchèrent du bout des doigts leurs semblables, muets d'étonnement. Cet étonnement était encore plus grand chez ceux qui étaient nés après la séparation des royaumes : ils n'avaient jamais vu de près ces créatures inconnues pour eux, et humains comme sirènes étaient fascinés par leurs différences. Différences qui les rendaient encore plus beaux et uniques. Ce moment fut lui aussi piégé dans le temps, enveloppé d'une lumière de plus en plus forte qui finit par les endormir les uns les autres.
Le changement s’était passé en douceur car la douleur et le choc avaient en partie quitté le cœur des habitants des deux royaumes. Malgré le long chemin qu’il restait à parcourir en quête d’une paix totale, le plus grand pas avait déjà été fait : la promesse de faire des efforts afin d’en guérir et d’accepter pleinement la situation venait d’être prononcée.
C’est le contact entre terre et mer qui avait joué le rôle le plus important, car en se voyant, chacun avait immédiatement ressenti la bêtise du mal qu’il avait causé. Ils se demandèrent mutuellement d’accepter leurs excuses, et comme les peuples avaient tous deux fait des erreurs, ils se comprenaient et promirent d’y réfléchir, car une telle chose ne se faisait pas du jour au lendemain.
C'est à ce moment-là précisément que la lumière s'était faite aveuglante, plongeant le monde dans un sommeil réparateur, y compris nos amis qui les observaient de loin.
Enveloppés par une bulle de coton et de lumière, ils dormirent ainsi très longtemps, jusqu'à ce que le soleil se couche de nouveau à l'horizon, baignant la terre et la mer de ses lueurs orangées.
Personne n'avait compris que le soleil s'était levé pour la deuxième fois quand ils s'éveillèrent le lendemain, persuadés de ne pas avoir dormi une journée entière. Même les mages, pourtant plus sensibles au temps, n'avaient rien ressenti de différent en s'éveillant.
Seuls les dieux s’en souvenaient, mais quelques siècles auparavant, le royaume aquatique remontait parfois à l’air libre !
Durant certaines phases lunaires, le royaume devenait terrestre, voici comment les créatures marines avaient acquis le pouvoir de se transformer en humains. Cela expliquait aussi la structure du château des mers, qui possédait des traces humaines, comme par exemple ses escaliers ! Le royaume marin n'était plus revenu à la surface depuis longtemps, perdant petit à petit la connexion qu'il avait avec la terre. Même les vies antérieures qu'avaient vécues nos amis ne remontaient pas à si longtemps.
C’est ce manque de connexion entre terre et mer qui a facilité la séparation du royaume en deux, envoyant la plupart des sirènes encore un minimum liées à leur forme humaine sur terre. Effectivement, le hasard avait fait que les membres du clan de la lune (qu’avait voulu éradiquer le vieux magicien) étaient ceux qui aimaient le plus la surface, même si ce n’était bien sûr pas le cas de tout le monde. Ainsi, certains développèrent un lien avec la terre, et d’autres ne firent que le renforcer.
N’était-ce maintenant pas au tour des sirènes restées au fond des eaux de découvrir le monde, et aux humains de se rappeler de leurs origines marines, afin de souder les habitants comme le voulait la prophétie ? Peut-être, mais ça allait prendre du temps et des efforts. Est-ce que ça en valait le coup ? Absolument ! Alors pourquoi ne pas essayer ? Les dieux étaient sûrs que ça allait finir par fonctionner, surtout avec des dirigeants aussi parfaits, nés pour régner.
Le monde venait enfin de s’éveiller du long cauchemar qui l’avait envahi depuis des années, pour renaître de ses cendres tel un phœnix. Il était temps de vivre pleinement, et de se tourner vers un avenir plein d’espoir, non, d’un présent déjà plein de promesses !
***
Jack se réveilla en sursaut. Surpris, il se rendit compte qu’il se trouvait dans sa chambre, à l’auberge des pirates. Coralia dormait encore près de lui, accrochée à son bras.
- Hein…? avait-il murmuré, sans comprendre ce qui s’était passé.
Le pirate se releva à demi, et passa sa main libre dans les cheveux sombres de Coralia, baignés par les reflets du soleil couchant. Il soupira en la regardant, puis posa sa main sur son propre front : il avait le sentiment d’être un peu perdu, ou d’avoir dormi trop longtemps. Sûrement était-ce dû à la magie qui les avait transportés ici, sinon, il ne se sentirait pas si déboussolé. Dehors, c’était déjà le soir, combien de temps avaient-ils dormi ?
Soudain, son regard fut attiré par une enveloppe rouge écarlate sur la table de chevet. Un ruban doré en sortait, et le sceau du royaume terrestre y brillait. Il tendit le bras vers la lettre et l’ouvrit sans un bruit : il était persuadé que c’était Blake qui lui écrivait. Effectivement, Jack ne s’était pas trompé.
- Mmm, marmonna la sirène près de lui.
- Tu es réveillée ?
- Oui… Que lis-tu ? Et… Où sommes-nous ?
Jack rougit en entendant la question, gêné.
- Non, ne dis rien. C’est ta chambre ?
- Comment as-tu deviné ?
- Ta réaction te trahit, et puis, il y a des objets rappelant la mer un peu partout ici... Il est vrai que ça aurait pu être la chambre d'un de tes frères, mais je ne sais pas... Je ressens une atmosphère qui te ressemble. Je ne peux pas l'expliquer, mais c'est pile comme j'imaginais ta chambre.
- Je vois…
- Cette pièce ressemble un peu à ta cabine, sur votre bateau. La seule différence, c’est que le sol ne tangue pas. Nous sommes sur la terre ferme, n’est-ce pas ?
- Oui, la magie a dû transporter chacun à sa place, ou alors, quelqu’un nous a portés jusqu’ici, mais j’en doute, vu l’état dans lequel on se trouve… Tu te sens bien ? Tu n’as mal nulle part ? Ma tête tournait quand je me suis réveillé, alors je m’inquiète…
- Je vais bien, ne t’en fais pas. Et… Cette enveloppe ?
- Ah, oui ! Apparemment, nous sommes les derniers à nous réveiller, car Blake m’a déjà envoyé un message. Et il est tard, le soleil se levait durant la prophétie, et là, il se couche déjà… Je ne me rappelle pas bien ce qu’il s’est passé, mais j’ai une image en tête : les hommes et les sirènes réunis, faisant enfin connaissance après de longues années de séparation.
- Oui, je m'en souviens aussi. C'était très beau. Et ce n'est qu'une des choses incroyables qui sont arrivées la nuit dernière. J'ai du mal à penser que ce qu'il s'est passé n'est pas qu'un rêve. Que dit Blake ?
- Il m'aurait envoyé cette lettre dans l'après-midi. Il dit s'être lui aussi réveillé par miracle dans sa chambre au palais terrestre... Petit à petit, chacun se réveille à son rythme au royaume, mais ce n'est pas tout. Viens avec moi, j'aimerais regarder par la fenêtre pour savoir si ce qu'il dit est vrai.
Coralia hocha la tête et Jack l’aida à se lever. Ensemble, ils s’approchèrent de la fenêtre ouverte dont les rideaux blancs flottaient.
Grâce à la prophétie, le royaume terrestre était désormais entouré par la mer, et protégé par un voile aquatique qui allait et venait, puis disparaissait et réapparaissait dans le ciel telle une aurore boréale, mais ça, ils le savaient déjà. Autre chose avait changé durant leur sommeil : le royaume, jadis construit sur une colline, avec le palais terrestre en son sommet, était devenu complètement plat, au même niveau que la mer ! Aussi, de nombreux bateaux étaient apparus de nulle part, entourant l'île.
- Incroyable ! Je n'ai rien senti en dormant alors que la terre a dû continuer de trembler... Je me demande d'où viennent ces navires... souffla Jack.
- Cet endroit est encore plus beau que dans mes souvenirs... Ce voile aquatique est lui aussi magnifique. Est-ce pour encore rapprocher les deux royaumes ?
- Sans doute... Et tu ne connais pas encore la suite ! Quand Blake est sorti de sa chambre, tous les habitants du palais déjà réveillés l'ont acclamé en héros : ils ne savaient encore rien des faits exacts, mais ils ont compris immédiatement que le retour de leur prince avait aidé à faire la paix entre les deux royaumes. C'est pourquoi il invite tout le monde demain soir au palais pour fêter son retour, et pour relater aux gens les évènements qui sont survenus au cours des derniers jours. Et aussi pour faire le point sur la tragédie d'il y a quelques années, vu que chacun semble avoir retrouvé la mémoire, du moins en partie.
- Oh, je vois !
- Il m’a d’ailleurs précisé que quand il dit qu’il invitait "tout le monde", il parle aussi du peuple marin et des mages ! Ces derniers ont longtemps été mis à l’écart, tout comme les sirènes.
- Je suis très heureuse pour mon frère, il n’aura plus besoin de vivre reclus si Blake explique à son peuple l’intérêt de collaborer avec les mages, au lieu de les éloigner à cause de la peur de leur magie. C’est un peu la même chose qu’avec les sirènes. L’inconnu et les différences ont tendance à effrayer inutilement les gens : il faut y remédier !
- Exactement. Je savais que Blake ferait un souverain excellent. Je suppose qu'il sera enfin couronné prince officiellement demain par la même occasion, si le peuple est de son côté comme il le dit dans sa lettre. Et je le crois. J'espère juste qu'il saura trouver les bons mots : tout ne s'est pas encore totalement arrangé. Il a fait mention de la partie marine du royaume, et comme tu le sais, c'est son frère et le fils du roi triton qui sont les nouveaux souverains. Ce qui a d'ailleurs permis à la prophétie d'enfin se réaliser, si j'ai bien compris...
- Cette prophétie attendait que toutes les conditions soient appliquées, et agissait sûrement petit à petit sans que l’on s’en rende compte… Mais que dit Blake à propos du peuple des sirènes ?
- Morgan se comporte encore comme son bras-droit, et lui a rapporté les faits. Selon lui, c'est la même chose sous l'eau que sur terre : les gens sont soulagés de ne plus être sous l'emprise du roi triton, et voient son fils comme un sauveur. Et avoir le frère du prince terrestre comme second souverain les a ravis encore plus après la réalisation de la prophétie, comme si cela marquait, non, scellait la paix entre les deux royaumes. Je suis même étonné que les sirènes aient écouté les conseils de leur princesse, avant même que la paix ne se fasse, choisissant un humain ainsi que le fils du roi triton comme chefs...
- Tant mieux, mais j’ai tout de même peur qu’après ces années de haine, des traces en subsistent encore.
- C’est sûr que certains doivent encore être contre l’unification des royaumes, mais que peuvent-ils faire ? Ne pas accepter, c’est renier ses origines, vu que les hommes sont d’anciennes créatures marines et que celles-ci peuvent aussi prendre forme humaine.
- Il va probablement falloir instruire les gens sur les changements à venir…
- J’y viens, Coralia. Blake m’a dit qu’il en parlera lors de la fête, il veut même faire écrire de nouveaux livres d’histoires, comme ceux qu’on a sur terre sont tous incomplets ou inexistants. Aucun n’a l’air de faire mention du passé commun de nos deux royaumes, mais cela fait sens…
- Oui, si mon frère a effacé la mémoire des habitants, il a aussi effacé les traces de ce passé dans les livres... Les documents que possède le royaume marin sont plus anciens, mais il doit aussi manquer des parts importantes de notre histoire, c'est certain.
- Si les mages nous aident, je pense qu’on pourra sans mal récupérer et retranscrire notre histoire et celle de ce monde. Mais bref, nous verrons cela plus tard, pendant la fête.
Disant cela, il prit Coralia dans ses bras, et s’assit avec elle sur son lit.
- Tu veux rester encore un peu ici, ou veux-tu qu’on descende voir ma famille ?
- Allons voir s’ils vont bien…
- D’accord, suis-moi. J’avais hâte de te montrer notre auberge, fit-il en souriant.
Ils se changèrent dans l’armoire de Jack, et la sirène enfila des habits plus confortables elle aussi, lui empruntant chemise et pantalons de pirate.
- Vous êtes enfin réveillés ! Vous dormiez tellement profondément que même en vous secouant, vous n'avez pas ouvert les yeux. Je failli m'inquiéter ! s'écria Derreck, venant les rejoindre depuis la cuisine, les entendant descendre les escaliers.
Jack s’empourpra de plus belle en entendant les paroles de son frère : il les avait vus dormir ensemble tout à l’heure !
- Je t’avais dit de ne pas entrer dans ma chambre sans demander !
- Désolé, mais j'avais peur qu'il te soit arrivé quelque chose, j'ai vraiment attendu longtemps avant d'entrer, crois-moi. Comme chacun avait l'air de s'être réveillé dans sa chambre par je ne sais quelle magie, j'étais obligé de venir vérifier. Je te signale que je suis le premier à m'être levé dans notre famille, c'était assez inquiétant de vous voir tous dormir ainsi. En plus, je devais t'apporter la lettre de Blake que j'ai trouvée sur le pas de la porte, il t'en avait envoyé une rien que pour toi, séparément de l'invitation qui est arrivée pour notre famille ! Et ne t'inquiète pas, je n'ai rien vu du tout, ajouta-t-il en ricanant.
- Mais oui, bien sûr ! Vu ton sourire, tu es clairement en train de mentir.
- C’est pas ma faute ! Je ne pouvais pas te louper : quand je t'ai secoué, non seulement tu m'as repoussé, mais en plus, tu t'es accroché à elle comme si ta vie en dépendait !
Leur mère les coupa en criant depuis la cuisine :
- Jack est enfin réveillé ? Je vous entends vous chamailler même à l’autre bout de la maison.
- Oui, il va bien, maman ! lui répondit Derreck.
- Parfait, dans quelques minutes, le dîner est prêt. Aidez-moi à mettre la table !
Le dîner se passa avec animation, et chacun témoigna de son excitation par rapport à la grande fête qui allait avoir lieu au palais terrestre. Des affiches avaient été mises un peu partout en ville, et des invitations envoyées à tout le monde (grâce à l’aide des mages).
Tout avait été organisé en à peine quelques heures : il ne fallait pas perdre de temps et donner des explications au peuple au plus vite.
Après avoir fini de manger, Coralia et Jack partirent se promener pour la soirée, sentant la brise agréable de la mer leur effleurer les bras. Une fois la nuit tombée, comme l'avaient prédit les dieux, il n'y eut pas de lune, seulement des milliers d'étoiles.
Même si personne ne le savait, c'était en réalité la deuxième nuit sans lune, et cette absence allait se prolonger encore quelques jours, contrairement à ce qui était prévu afin de punir les hommes. Cette nuit aurait dû leur rappeler leur sombre passé, mais la lumière des étoiles était si forte que l'absence de lune passa inaperçue. Pourquoi atténuer la punition ? Sûrement parce que Porteur de la Terre devait tant aimer sa planète qu'il ne put s'empêcher de rendre la soirée plus belle que jamais en illuminant le ciel d'étoiles, afin d'éviter d'effrayer les hommes. Ou bien le Messager l'avait convaincu. Oui, c'était probablement le cas : un seul baiser du garçon suffisait à le faire changer d'avis, il ne pouvait rien lui refuser.
Jack ne lâchait pas la main de Coralia, et lui souriait tendrement lors de leur promenade. Ils se rendirent compte que le peuple terrestre avait organisé un marché à l’improviste, d’où les belles décorations et les lanternes. L’air estival, les gens qui se promenaient autour d’eux, la douceur du parfum des fleurs : tout les obligeait à rester dehors malgré leur fatigue due à tous ces évènements.
Ils s’arrêtèrent pour nourrir quelques chats errants, acheter des boissons fraîches à déguster, et finirent par trouver un coin tranquille où s’asseoir à la plage ensemble (celle-ci était pleine de monde car les humains n’avaient pas l’habitude d’y aller à cause de leur peur du monde marin). Le pirate aida la jeune fille à s’installer sur un rocher à demi plongé dans l’eau, et s’y assit à son tour.
- J’ai vraiment hâte d’aller à la fête, murmura Jack en lui faisant un baise-main.
Coralia lui sourit, le visage éclairé par les étoiles.
- Moi aussi…
Jack l’embrassa doucement, posant sa main sur la joue de la sirène.
- Allons t’acheter une robe au marché pour la fête, j’ai un peu d’argent de côté, lui dit-il.
- Tu n’es pas obligé…
- J'insiste, je veux vraiment te faire découvrir la ville où j'ai grandi et ses coutumes. Tu es d'accord ?
Elle ne répondit pas mais se leva et le tira par le bras pour qu’il la suive. Enfin, elle lui chuchota, le fixant de ses yeux couleur émeraude :
- Je suis vraiment heureuse d’avoir fait ta connaissance, c’est toi qui m’as permis de ressentir toutes ces émotions et de voyager… Je suis d’accord avec tout ce que tu dis, tu peux en être certain.
Jack allait l’embrasser à nouveau mais elle l’éclaboussa et partit en courant vers le sable. Il la rattrapa très vite et la serra dans ses bras, avant de déposer un baiser sur ses lèvres en riant.
- Je te trouverai la plus belle robe de la ville, promis.
- Merci, Jack.
***
Lohan et Aliénor s’étaient éveillés bien plus tôt, sûrement en premiers, en fin de matinée.
La fille adoptive du vieux magicien s'était levée avant lui, ne reconnaissant pas la pièce. Alors qu'elle observait de part et d'autre les étranges objets qui remplissaient la pièce, Lohan se releva et posa sa main sur l'épaule de son âme-sœur.
- Ne t’en fais pas, nous sommes chez-moi, dans ma tour.
- Je me disais bien que c'était la chambre d'un mage, sourit-elle en se tournant vers lui.
Le jeune sorcier s'étira, puis se leva pour aller chercher quelque chose dans son armoire. Il tendit une robe d’ensorceleur rouge à Aliénor, et s'assit à nouveau près d'elle.
- Ah, j’ai bien dormi ! Tu devrais te changer, il fait froid, ici.
- Merci, Lohan. Tu as choisi une robe de la même couleur que mes cheveux ?
- Oui, le rouge te va bien. Mais je peux t’apporter autre chose si tu le souhaites, ou faire apparaître n’importe quel autre habit, je suis un magicien, après-tout.
- Non, celle-ci me va très bien. J’aime ce tissu, il est aussi doux que le velours.
Lohan tendit le bras en l’air, et ses lunettes dorées s’envolèrent vers lui toutes seules. Il finit par prendre les mains d’Aliénor, et les porta à ses lèvres.
- Qu’est-ce que tu fais ? lui demanda-t-elle en le sentant souffler sur ses mains, curieuse.
Il lui sourit.
- Ouvre tes mains, et tu comprendras.
Elle fit ce qu'il lui disait et vit un peigne brillant entre ses mains, sur lequel était posé un papillon aux ailes bleutées vibrantes. Elle adorait quand Lohan utilisait sa magie pour l'émerveiller, comme la fois où ils volaient ensemble au-dessus du navire des pirates, portés par le vent.
- Tu peux me coiffer, Lohan ?
- Bien sûr.
Il se plaça derrière elle, et se mit à brosser ses courts cheveux rouges aux boucles scintillantes. Après avoir terminé, il toucha du bout des doigts les mèches d’Aliénor, surpris par leur douceur irréelle.
- Est-ce que je peux coiffer les tiens ? demanda la jeune fille.
- Tu n'as pas besoin de me demander l'autorisation. Fais de moi ce que tu veux.
Ce fut à son tour de coiffer les longs cheveux blonds de Lohan, qu'elle releva en queue de cheval, utilisant l'un des rubans de la robe du sorcier pour fixer le tout.
- Restons un peu ainsi, murmura le mage en installant Aliénor contre les coussins de son lit, posant sa tête sur sa poitrine.
Elle caressa la tête de son amant et le laissa se reposer.
Après quelques minutes, Lohan se releva et fit apparaître un petit-déjeuner délicieux sur un plateau.
- Oh, je n’ai jamais pris de petit-déjeuner au lit ! s’exclama Aliénor, les joues roses de plaisir.
- Heureux que ça te fasse plaisir, lui répondit-il simplement.
Sur le plateau, de nombreux fruits étaient posés : des myrtilles, des fraises, des cerises, des pêches... Il y avait aussi des bols remplis de crème chantilly, de sucre, de miel, ainsi que des crêpes, des pancakes, des gâteaux... Des tasses remplies de thé, de café, de lait et de chocolat chaud s'y trouvaient également : il n'y avait qu'à choisir ce qu'on voulait !
- Dis-moi si tu veux autre chose, ma princesse, ajouta-t-il en déposant un baiser dans son cou.
- C’est déjà parfait, j’ai rarement vu tant de sucreries à la fois, et pourtant, mon beau-père savait utiliser la magie… J’aurais bien voulu partager plus de moments avec lui, même si…
- Oublie-le. Il n’en vaut pas la peine. Il avait beau nous aimer à sa façon, il nous a fait plus de mal que de bien… Si tu peux réussir à le pardonner, moi, je ne pense pas en être capable, pardon…
- Non, ne t’excuse pas ! Je ne veux pas le pardonner, je disais ça parce que… En fait, j’ai toujours voulu avoir une vie de famille normale, et si lui n’a pas vraiment pu me l’offrir, ce n’est pas grave. Tu es ma famille, maintenant, et je n’ai plus besoin de lui.
- Vraiment ? N’es-tu pas triste ?
- Non. En revanche, j’aime garder en mémoire les bons souvenirs, et je me rappellerais quand même des quelques moments agréables que j’ai passés avec lui. Pour ce qui est des mauvais moments, je vais les remplacer par des souvenirs de toi. De nous. Je n’ai jamais été si heureuse qu’en ta compagnie…
- Tu penses vraiment que nous sommes une famille ?
- Bien sûr ! Tu es l’unique personne qui compte pour moi, lui sourit-elle.
Elle prit une fraise, la trempa dans du sucre, et la porta à la bouche du magicien. Il avala le fruit, puis embrassa Aliénor, la serrant dans ses bras. Leur baiser avait le goût des fruits, de la crème, et du sucre.
- J’avais une question…
- Oui, Aliénor ?
- C’est délicat, et tu peux refuser, mais j’ai toujours voulu passer un matin entre filles… Je veux dire, se maquiller, s’habiller, parler… Je sais bien que tu es un homme, mais j’ai adoré te coiffer… Peut-on…?
- N’en dis pas plus, j’ai compris. Cela n’a rien avoir avec le genre d’une personne, et je veux vraiment faire tout ça avec toi… On commence quand tu veux !
- Chouette !
Aliénor se leva à toute vitesse, et ouvrit l’armoire du magicien. Dedans, des habits apparaissaient et disparaissaient toutes les secondes. Il se leva à son tour et ouvrit sa coiffeuse : elle était remplie de flacons de tous types, de parfums, de baumes à lèvres, de maquillage.
- Tu vois ? Moi aussi, j'aime être soigné, et ça ne change rien au fait que je suis un homme. Je ne sais pas si tu l'as remarqué, mais je me suis toujours un peu maquillé, d'autres mages aiment cela, je t'assure que je ne suis pas le seul. Je pense qu'ils aiment suivre mon exemple. Peux-tu m'aider pour le maquillage ? Je ne suis sûrement pas aussi doué que toi...
- Avec plaisir ! Je me suis justement demandée si tu n'étais pas la personne idéale pour faire ça avec moi... Tu n'avais pas l'air de détester le ruban que je t'ai noué aux cheveux, et tu es très élégant.
- Après cela, nous irons au palais terrestre, pour aider Blake. Je suis sûr qu’il a besoin de ma magie. Et je ne dois pas oublier de tout raconter aux mages. Je suis leur chef, et j’aimerais leur parler des résolutions que j’ai prises, notamment concernant l’interdiction de la magie noire. Je dois également leur raconter tout ce qui s’est passé à propos de l’ancien maître des mages, et s’ils veulent toujours que je sois leur chef…
- Rassure-toi, tu es le meilleur chef que ce clan a connu, tu aimes la magie et celle-ci t’a même reconnu comme son maître. Je suis certaine qu’ils prendront ton parti.
- Merci, Aliénor. Je proposerai à Blake d'organiser une fête en l'honneur de la paix. J'ai l'impression qu'énormément de temps s'est écoulé, mais je sais qu'il ne s'est en réalité passé que quelques heures depuis le lever du soleil après la prophétie. Enfin, je crois. Je me demande si le temps ne s'est pas rallongé pour nous laisser dormir, ou autre chose du genre...
- Bonne question... Il faudra vérifier en lisant ce que nous disent les étoiles, pour se repérer.
- Quoi qu'il en soit, qui dit fête dit bal. Cherchons des habits aussi beaux qu'élégants pour aujourd'hui pour commencer, ensuite, cherchons quelque chose de royal et d'encore plus impressionnant pour la fête : je veux que nous soyons plus beaux que tous les autres dans la salle.
- Parfait, j’ai toujours voulu essayer ce genre de choses ! Serons-nous assortis ?
Lohan l'enlaça par derrière, regardant leur reflet dans le miroir, et répondit :
- C’est une évidence. Nous DEVONS être assortis : pour rendre l’effet de nos tenues plus prononcé, et rendre les gens incapables de parler à notre passage, mais aussi pour leur montrer que nous sommes en couple.
- Oh, est-ce par jalousie ? le taquina-t-elle.
- Je m’en veux, mais oui. Tu es si belle que j’ai peur qu’on t’emmène loin de moi.
- Aucun risque, tout le monde a bien trop peur d’énerver le maître des mages et sa magie surpuissante, fit-elle en riant, ajoutant une couche d’huile parfumée sur les lèvres de son amant.
Ils s'amusèrent à changer de nombreuses fois de tenues, se firent mille et une coiffure, et appliquèrent des soins pour visage aux parfums sucrés et aux couleurs douces.
Une heure entière s’écoula, et cela aurait pu durer encore plus longtemps, mais ils furent contraints de s'arrêter pour aller voir les mages. Comme l'avait dit Aliénor, ceux-ci ne manifestèrent que de la joie en le voyant enfin rentrer chez lui, et de l'admiration à propos de la magie qui lui obéissait au doigt et à l'œil. Lohan et sa bien-aimée purent se téléporter en toute sérénité directement au palais terrestre, soulagés.
Une seule chose les avait étonnés : la tour de Lohan, ainsi que la partie principale du territoire des magiciens (comme vous le savez, ils changent souvent l'emplacement de leurs marchés noirs de magie) avaient été transportés sur une nouvelle île, très proche du royaume terrestre ! Loin de s'en attrister, les mages et nos deux amis avaient trouvé cela très convenant. Il était bien mieux d'être plus près des autres, et vivre isolés avait été plus une punition qu'une bénédiction pour eux. Leur solitude avait été rayée d'un coup du destin, et Lohan était sûr que leur ami prince allait réintégrer les mages dans la société.
Toutes ces nouveautés en déboussolaient certains, mais nul doute que les derniers allaient finir par s’y habituer : c’était évident que les dieux étaient de leur côté.
Le soleil était haut dans le ciel, et le début de l’après-midi commençait avec allégresse pour les deux amoureux. Lohan se sentait épanoui en compagnie de sa bien-aimée : il pouvait être lui-même, et visiblement, c’était aussi le cas pour Aliénor. Comment pouvait-il ne pas l’aimer ? Elle le rassurait, lui donnait toutes sortes de conseils, et ne le jugeait pas. Lohan savait qu’elle pensait de même à propos de lui : c’était maintenant à son tour d’être digne de l’amour qu’elle lui portait.
Il l'avait prouvé en parlant au clan des mages, et le prouvait une fois de plus en partant aider Blake : mais pour elle, il le lui avait prouvé il y a bien longtemps déjà, quand enfant il ne la quittait pas des yeux. Le regard du petit garçon brillait si fort qu'il n'y avait pas besoin de mots : il l'aimait sincèrement, et ils étaient dignes l'un de l'autre, partageant des sentiments aussi purs que la neige.
***
Poema avait ouvert les yeux sur le torse de Blake. Elle les referma et les rouvrit plusieurs fois pour être sûre de ne pas être en train de rêver : elle se trouvait bel et bien dans la chambre du prince, au creux de ses bras. Elle se sentait si perdue !
Les rayons du soleil l’éblouissaient, ce qui la força à se couvrir les yeux de ses bras.
Blake la sentit bouger et l’enlaça, encore endormi.
Il devait être environ midi vu la position du soleil.
Quand le prince s’éveilla, il sentit le regard de Poema posé sur lui.
- C’est un rêve ? demanda-t-il d’une voix ensommeillée.
- On dirait que non… Qu’est-ce qu’on fait ici ?
- Bonne question. Peut-être que la prophétie y est pour quelque chose ?
- Si tout est rentré dans l’ordre, peut-être avons-nous tous regagné "notre place" ?
- Je ne vois pas d’autre explication, tu dois avoir raison… Quand la prophétie a eu lieu, le soleil venait à peine de se lever. Est-ce seulement midi ? Je pensais avoir été inconscient plus de temps que cela…
- Lohan devrait pouvoir nous éclairer à ce sujet.
- C'est sûr que lui n'a pas eu de problèmes de ce côté-là en tant que magicien, enfin normalement. Il doit savoir combien de temps s'est passé, et doit se sentir mieux que nous... Toi aussi tu as cet affreux mal de tête ?
- Oui… Mais ça va un peu mieux, maintenant.
Disant cela, elle effleura les cicatrices sur le torse de Blake, sans le regarder dans les yeux.
- Hm ? marmonna-t-il en souriant.
- C’est rien. Je pensais juste à tout ce qu’il s’est passé. Tu crois que les gens au palais seront heureux de me revoir ?
- S’ils ne sont pas heureux, ils goûteront à ma colère, n’y pense plus.
- En tout cas, je pense qu’ils seront d’accord sur le fait que ton retour a été bénéfique à tout le royaume.
Blake soupira et serra Poema dans ses bras.
- Je sais que je leur dois des explications, mais je ne veux pas me lever. Toutes ces aventures et ces révélations m’ont fatigué au plus haut point. J’espère que mon frère s’en sort mieux que moi au royaume marin…
- Reposons-nous d’abord. Ta santé passe avant le reste. Pour aider quelqu’un, il faut être soi-même en forme.
- Je ne pensais pas que tu allais me dire ça. Je croyais que tu allais essayer de me pousser hors du lit pour que j’aille prévenir mon peuple au plus vite, sans me laisser le temps de dormir encore un peu, fit-il en riant.
- Il est vrai que je suis plutôt énergique d’habitude, je ne me suis pas rendu compte que j’avais tendance à t’épuiser, dit-elle en rougissant légèrement.
- Ce n’est pas ce que je voulais dire : tu ne m’épuises pas, au contraire, tu me donnes de l’énergie. C’est pour toi que je fais tant d’efforts. Même si j’aime mon royaume, j’ai besoin de motivation, et tu es la meilleure pour ça. Mais si tu me dis de me reposer, alors c’est que je dois avoir l’air bien fatigué !
- C’est surtout que je suis fatiguée, moi aussi, et je ne veux pas quitter tes bras, avoua-t-elle en se blottissant contre lui.
Blake fixa le plafond longtemps, heureux de se trouver près de celle avec qui il souhaitait passer le reste de sa vie.
- Si je suis nommé prince officiellement, voudras-tu être ma princesse ?
- Je crois t’avoir déjà répondu, et ma réponse n’a pas changé.
- Mais je veux l’entendre de ta bouche !
- Bon… Oui, je veux être ta princesse.
Le jeune homme lui jeta un regard, mais Poema se détourna, gênée.
- Après tout ce que nous avons fait ensemble, tu es encore timide pour ce genre de choses ?
- Ne te moque pas de moi ! Tu sais bien que j’ai du mal à ne pas rougir quand tu me poses des questions aussi romantiques.
Il voulut l’attraper mais Poema se leva d’un bond, incapable de le regarder en face. Il dut la retenir par le bras pour qu’elle ne s’échappe pas.
- Reste encore un peu !
- Non…! Allons-nous changer, les habitants de ton palais doivent sûrement t’attendre !
- Tu as changé d’avis si vite ? Tu viens pourtant de me dire que tu voulais passer plus de temps dans mes bras, la taquina-t-il en se levant à son tour, un sourire espiègle sur le visage.
Il se rapprocha d’elle doucement, avant de la serrer contre lui, prenant le mur comme appui. Elle caressa les cheveux noirs du prince, résignée.
- Comment se fait-il que tout se passe toujours comme tu le souhaites ? soupira-t-elle.
- Tu dis ça, mais tu sais bien que je suis d’accord avec le moindre de tes désirs. J’ai bien le droit à une récompense, non ?
Elle l’embrassa très rapidement, puis s’écarta pour ouvrir l’armoire.
- Mais j’ai à peine senti tes lèvres !
- Plus tard, promis… J’ai peur que si je me laisse aller, nous allons rester ici pendant des heures.
- Oh. Tu n’as pas tort, rit-il en passant la tête par-dessus l’épaule de Poema afin de regarder le contenu de l’armoire.
Il se râcla la gorge, puis passa ses bras autour de la taille de la sirène.
- Que cherches-tu, exactement ? ajouta-t-il.
- Quelque chose de convenable… Nous sommes dans ton palais, après tout.
- Tu ne trouveras rien de bien ici, suis-moi.
- Eh ! s’écria-t-elle quand il la souleva et sortit dans le couloir avec elle.
- Moins fort, tu n’aimerais pas qu’on nous voit ainsi, n’est-ce pas ?
Blake n’était absolument pas présentable avec sa chemise ouverte, et Poema portait une robe de nuit plutôt révélatrice. Depuis quand possédait-elle ce genre d’habits ? Une mauvaise plaisanterie de la prophétie ? Ou un coup de leur ami magicien ? Incapable de se retenir plus longtemps, elle éclata enfin de rire.
- Qu’est-ce qui te fait tant rire ? Mes habits ?
- Tu n’as pas peur que…? finit-elle par dire.
- Non. Dans le pire des cas, ils comprendront que toi et moi, c'est du sérieux. Et ça, ça m'arrange. Et si tu parles de mes cicatrices, j'en suis fier. Je n'ai jamais été une femme, même avec mon ancien corps.
- Bon, si c’est ça, tant mieux… Où allons-nous ?
- Explorer les chambres pour invités, il y a de tout !
Un serviteur les vit passer, bouche bée, mais Blake lui fit signe de se taire en lui faisant un clin d’œil. Poema cacha son visage entre ses mains, rouge comme une tomate.
- Ne t’inquiète pas. Tout le palais est au courant de mon caractère, hum, pas très royal.
- Il était tellement choqué qu’il n’a même pas eu le temps de réagir sur le fait que tu es rentré !
- Au moins, grâce à ça il ne nous a pas posé de questions ennuyantes, rétorqua le prince en riant à nouveau.
Il la regarda, et soupira :
- En revanche, il va sûrement aller raconter à tout le monde que je suis rentré !
- C’est pas comme si leur prince venait d’apparaître de nulle part au palais, traversant les couloirs à demi habillé, tenant une fille en otage dans ses bras !
- Effectivement. Mais comme on n'a plus rien à perdre, je ne vois pas le problème. Et puis, je t'ai cachée de mes bras, il n'a rien vu de ton magnifique décolleté.
- Tu arriveras toujours à me faire rire, pouffa-t-elle, l'étreignant un peu plus fort.
Ravi, Blake accéléra et s'arrêta enfin devant l'une des portes du palais. Il fallait bien reconnaître que la robe de nuit rouge et noire allait très bien à Poema, mais il voulait être le seul à la voir comme ça.
- Dans celle-ci, il me semble qu'il y a de nombreuses tenues, fit-il en la posant au sol.
Ils entrèrent sans un bruit, même s’il était trop tard pour être discrets.
Il ne s’était pas trompé : l’armoire était encore plus grande que dans sa chambre, étant donné qu’il y avait à la fois des vêtements masculins et féminins.
Poema choisit une douce robe bleue, et Blake enfila une chemise sobre blanche.
- Celle-ci est moins froissée que la mienne, ça fera l’affaire, dit-il en refermant les boutons d’argent.
Poema arrangea la coiffure de son prince, puis la sienne, et se regarda dans le grand miroir de la salle aux murs luxueux.
- Ça me va bien ? s’enquit Blake.
- Tout te va. Mais c’est vrai que le blanc te correspond mieux que les autres couleurs : cela fait ressortir tes cheveux noir ébène.
- Je retiens l’information. Je porterai du blanc plus souvent, acquiesça-t-il en l’embrassant sur la joue.
- Tu ferais mieux de mettre d’autres pantalons…
- Pourquoi ? Il y a un problème ?
- Hum, comment dire… On voit que tu as dormi avec, ce n’est pas digne d’un prince.
- Si tu le dis…
Il fouilla dans l’armoire, et en sortit un bas noir élégant.
- Ceux-là semblent à ma taille…
Il baissa d'un coup son pantalon devant la jeune fille, qui voulut se détourner, mais il l'en empêcha.
- Cette fois-ci, je ne te laisserai pas te détourner de moi. Tu as déjà tout vu de toute façon.
- Mais…?! Ce n’est pas pareil ! s’offusqua-t-elle sous le rire du prince.
- Ne t’inquiète pas, je me dépêche de les enfiler.
Alors qu’il se penchait pour l’embrasser, ils entendirent du bruit dans le couloir.
- Ils doivent être en train de nous chercher… murmura la sirène.
Mais Blake la retint par le bras, puis l’étreignit en douceur, plongeant son visage dans les cheveux de la sirène.
- Attends, reste un peu comme ça.
Elle sourit en silence et enveloppa les bras de Blake de ses mains.
Après un moment, le prince l'embrassa, puis s'écarta à contrecœur.
- C’est bon, je suis prêt à les affronter. Merci, Poema.
- Je dois aussi te remercier. Sans toi, j’aurais eu bien trop peur d’apparaître devant les gens de la cour après les rumeurs à mon sujet.
- Ils n'oseront pas continuer, encore moins lorsque je suis présent. Surtout qu'ils ont bien vu où leurs rumeurs les ont menés : j'ai dû abandonner le royaume pour rester avec toi. S'ils recommencent, je n'hésiterai pas à partir à nouveau. Mais j'espère que maintenant que le peuple de la mer et le nôtre se sont réconciliés, il y aura moins de problèmes.
- Je l'espère aussi. De tout mon cœur. Mais évite quand même de leur dire que tu les quitteras encore pour moi, je ne crois pas qu'ils vont apprécier.
- Ha, je ne peux rien te promettre de ce côté-là, je t'aime bien trop pour ça. Et puis les effrayer un peu ne leur fera pas de mal. Ainsi, ils ne recommenceront pas à t'embêter.
Blake ouvrit la porte, passant devant.
- Alors ? Vous nous cherchez ? s’écria-t-il.
Immédiatement, les quelques personnes qui discutaient activement dans le couloir s’arrêtèrent de parler.
- P-Prince Aaron ?!
- Ah, oui. J’avais oublié ce détail. Je vais devoir changer de nom dans les documents… Bref, je suis de retour, et je vous dois à tous des explications. Réunissez tout le monde dans la grande salle, j’ai des annonces à faire… Vous déciderez vous-mêmes si vous voulez encore de moi comme souverain après cela.
- Quelle question ! Votre retour nous a ouvert les yeux à tous. La plupart d’entre nous est coupable d’avoir répandu de mauvaises rumeurs sur votre bien-aimée. Vous n’êtes pas le seul en tort, et nous le savons, affirma l’un des hommes, un soldat.
- Tu fais bien de me le rappeler, prince ou pas, j'ordonne que la cour terrestre lui offre ses plus sincères excuses. La voici, avance-toi, Poema.
- Ce n’est pas…
- Si, c’est nécessaire. Ils t’ont accusée à tort, et t’ont fait vivre des moments terribles.
- Nous insistons, jeune dame. Pardonnez-nous, commença l'une des servantes en s'approchant tête baissée.
- Oui, pardonnez-nous, future princesse.
Imitée par les autres, chacun s'excusa personnellement envers la sirène, regrettant sincèrement ses actions.
- Je vois que vous êtes de bonnes personnes. J'espère que cela se passera aussi de cette manière avec le reste de la cour. Maintenant, allons dans la grande salle pour mon discours.
Il prit la main de Poema tel un gentleman et lui adressa son plus beau sourire semblant dire "Tu vois ? Je savais que ça se passerait bien.", c'était si rassurant d'être avec lui qu'elle ne put que lui sourire en retour.
Le prince semblait avoir retrouvé toute sa confiance et son air royal à l'instant, s'appuyant sur la présence de sa bien-aimée. Il ne savait même pas s'il aurait vraiment réussi à régner sans elle pour l'épauler.
- Avec moi à tes côtés, même les personnes au mauvais cœur n’oseront pas te faire de remarque, chuchota-t-il à son oreille tandis qu’ils marchaient.
En chemin, l’une des servantes leur conseilla de faire une halte en cuisine, et le chef leur prépara quelques plats, plus qu’heureux de revoir le petit garçon qu’il connaissait depuis si longtemps : il cuisinait pour Blake depuis des années, et était l’un de ceux qui n’avaient jamais douté de lui, même après sa fuite.
D'ailleurs, nombreux étaient ceux qui comprenaient les fugues constantes de leur prince : être un bon dirigeant était parfois étouffant, et s'échapper par moments lui était nécessaire pour se sentir libre. Il revenait toujours très vite, et l'on fermait les yeux sur ses fugues, qui n'avaient jamais été sérieuses. Il n'était alors qu'un enfant encore trop jeune pour avoir tant de responsabilités, mais l'amour pour son royaume avait toujours été sincère. Sa dernière fuite, elle, avait été forcée. Leur prince n'avait pas eu le choix, et n'aurait sûrement jamais quitté le royaume sans ce qu'il avait dû subir. Poema était sa liberté, et le séparer d'elle l'avait brisé, rendu fou.
Arrivés dans la grande salle, une fois les gens réunis, Blake commença son discours, expliquant en partie ce qu’il s’était passé durant son voyage, et promettant de mieux en parler lorsque tout le monde, y compris le peuple de la mer et les mages, serait présent.
Il expliquait aux habitants du palais son changement de prénom, évoquant son frère, quand une nuée de papillons les enveloppa : Lohan et Aliénor étaient arrivés !
- N’ayez pas peur. Comme je vous l’ai expliqué, les sorciers sont nos alliés. Je vous présente l’un de mes amis les plus proches, Lohan, le maître des mages.
Lohan s'inclina, époustouflant dans ses habits pourpres, blancs et dorés, constellés d'étoiles et faits de velours de qualité. Sa cape et son col le rendaient plus majestueux encore, et des fleurs rouges étaient incrustées dans ses longs cheveux. Aliénor, elle, portait une robe de magicienne blanche et dorée, et ses cheveux rouges étaient ornés de fleurs d'or. Ils étaient complètement assortis, faisant une entrée fracassante pleine de style comme ils l'avaient tous les deux voulu. Et encore, ce n'était pas là leur plus belle tenue, qu'ils réservaient pour la fête.
- Enchanté de faire votre connaissance. Je vous assure que moi et les autres magiciens n’allons plus utiliser la magie noire. J’ai réparé mes erreurs, et je compte bien continuer à le faire dans le futur. Je vois que j’arrive au bon moment. Que dis-tu d’organiser une grande fête, voir un bal, pour tout expliquer à ton peuple, au mien, et au peuple marin, cher prince ?
- Je suis parfaitement d'accord. Je cherchais justement une occasion de faire part des derniers évènements aux habitants de notre grand royaume. J'ai expliqué les parties importantes à ma cour, mais il me faut plus de temps, et surtout, que tout le monde soit présent, pour continuer mes annonces.
- Je vois que nous sommes sur la même longueur d’onde. Je peux aider de ce côté-ci : que dis-tu d’organiser tout ça pour demain soir ? Laissons cette journée à chacun pour s’éveiller et se reposer : demain sera un grand jour.
- N’est-ce pas un peu tôt ?
- Je te rappelle que je peux utiliser la magie, et le plus tôt sera le mieux : les gens ont besoin d’explications au plus vite.
- Bon. Tout le monde ici présent est-il d’accord pour faire une fête demain soir, en l’honneur de la nouvelle paix et de l’union de notre royaume, autrefois séparé ?
Les acclamations qui suivirent furent sa réponse : demain soir, une grande fête, suivie d’un bal, allait être organisée avec l’aide de la magie.
Soudain, Lohan les fit taire en frappant dans ses mains.
- Un peu d'attention, mes amis ! J'ai une dernière chose à vous offrir. Comme vous le voyez, nous sommes au beau milieu de la mer, et personne n'a de quoi se déplacer, comme il y a très peu de bateaux chez vous. Venez à la fenêtre et admirez le spectacle ! s'exclama-t-il en entraînant Aliénor avec lui.
Tous s'approchèrent des grandes baies vitrées donnant vue sur le grand balcon de la salle de bal et sur la mer qui brillait en bas.
- Mais... La terre est plate ? Le palais a toujours été au sommet du royaume, s'étonna Blake, remarquant enfin le changement.
- Incroyable ! renchérit Poema, s'accrochant au bras de son prince.
- Eh bien, vous en avez mis du temps pour vous en rendre compte ! Mais ce n'est pas ce que je voulais vous montrer, fit Lohan en ouvrant la porte de verre.
Le magicien s'avança sur le balcon, observé par les habitants du palais, et commença son sortilège. Il utilisa le même sort que Morgan avant lui, avec pour seule différence qu'il n'eut presque rien besoin de faire, aidé par la magie qui l'accompagnait, et répéta ses gestes de nombreuses fois.
Stupéfaits, les gens de la cour, mais aussi le peuple qui se trouvait dehors à ce moment-là, se tournèrent vers la mer : Lohan était en train de remonter toutes sortes d'épaves de bateaux en ruine (certaines venant de très loin), et les restaurait sans efforts, le sourire aux lèvres. Bientôt, leur île fut entourée de dizaines de bateaux et de navires de toutes tailles, aux voiles colorées et en bois aux teintes claires. C'était absolument magnifique à voir.
- Maintenant, nous n'aurons plus de problèmes pour voyager même si notre royaume n'est pas rattaché à la côte. Encore vous faudra-t-il apprendre comment naviguer sur ces bateaux, mais là aussi, je crois que ma magie saura vous être utile, leur dit le magicien avec gaieté.
La joie se lisait sur le cœur des habitants, désireux de voyager, et d'explorer la mer qu'ils avaient toujours rejetée.
Il fallait désormais se concentrer sur les préparatifs de la fameuse fête.
Une fête dont tout le monde allait se rappeler encore longtemps.
Une fête "Entre Terre et Mer".

