Les Retrouvailles écrit le 5/06/2022
Sur Panodyssey, tu peux lire 10 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 9 articles à découvrir ce mois-ci.
Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit !
Se connecter
Les Retrouvailles écrit le 5/06/2022
L’après- midi touchait à sa fin ; le crépuscule tombait déjà lorsque je commençais à
me demander par quel chemin je rentrerais … Un instant j’hésitais. Pourtant, je l’avais dit, je
voulais voir ce village abandonné. Continuant à marcher, j’arrivais bientôt. La pluie se mit à
tomber, une pluie crépitante comme un feu de bois, une pluie aux gouttes glaçantes qui me
coulaient le long du dos. J’étais frigorifié jusqu’aux os, je ne pouvais plus avancer. Quelle
idée stupide avais-je eue de relever ce pari ? J’étais seul et démuni au milieu de cet endroit
désert dans lequel je n’entendais pas le moindre bruit qui montrait la présence d’une vie
animale. Pour me réchauffer, j’allumai un cigare dont l’épaisse fumée noire montait jusqu’au
ciel. J’étais plongé dans mes pensées, des pensées douloureuses et en même temps, agréables.
Ce matin-là, je m’étais rendu, en compagnie de mes amis, à un banquet organisé par le
comte DUMAS. Il fêtait son mariage avec une bourgeoise de province, Mademoiselle
Pénélope LEROY, ma maîtresse. Pendant plusieurs heures, j’avais discuté de politique,
j’avais joué aux cartes et j’avais bu. L’alcool avait coulé dans les verres et l’argent glissé dans
les poches de mon partenaire. Puis, Pénélope s’était mise à chanter, d’une vox douce
enchanteresse, merveilleuse. Debout, je l’avais regardée, admiratif. Son fiancé m’avait fixé
avec des yeux vicieux, agressifs, lugubres. Au bout d’un moment assez long, la future
comtesse m’avait rejoint, et, en me tombant dans les bras, elle avait bu. Une fois ivre comme
un portefaix, je l’avais raccompagnée à son époux après l’avoir embrassée. Il m’avait alors
tendu ce pari, de me rendre dans ce village abandonné en échange de sa femme. J’avais
accepté sans me rendre compte des risques épouvantables que j’allais prendre.
Sortant de mes pensées, la pluie tombant toujours, je m’aventurai à travers ce sentier
noir, noir comme la mort. Sur les côtés, des champignons, très certainement venimeux, étaient
plantés. Leur vision me rappela tout à coup que je n’avais pas mangé depuis la veille. Je me
baissai pour en cueillir un, losrque je fus interrompu par un soupir qui venait de me passer sur
l’épaule. Malgré ma pudeur, je me levai d’un bond. Mais ce n’était que de l’air, n’est ce pas ?
Je marchais toujours sur de chemin boueux, à la terre humidifiée, comme des sables
mouvants. Je ne pouvais plus avancer, je décidai donc de retirer mes magnifiques souliers
vernis. Je me retrouvai en chaussettes de soie pour affronter les férocités de la nature.
Au bout d’un temps qui me parut infinissable, j’arrivai enfin à l’entrée de ce village
caché par le brouillard au regard impénétrable. Des ronces aux épines acérées, me coupaient
la route et se présentaient comme une muraille. Comment allais-je faire pour pénétrer à
l’intérieur de cet endroit mystérieux, effrayant, lugubre.
Pour réfléchir, je m’assis sur une pierre tranchant, tranchante comme une épée de
mousquetaire, si bien que mon superbe pantalon cigarette se déchira. Je saignais, d’un sang
qui aurait pu remplir une baignoire. Pour m’essuyer, je sortis de la poche de mon bas en
lambeaux, un mouchoir de dentelle. De celui-ci tomba ma bague de fiançailles. Comment
était-ce possible, je l’avais vendue à un joaillier, à la mort de ma femme Caroline. Je ne savais
plus, je ne pensais plus, je ne réfléchissais plus, c’était le trou noir. Mes genoux fléchissaient,
mes tempes se serraient, mon sang se glaçait.
Les arbres autour semblaient se moquer de moi. Je tournai la tête, je ne regardai plus.
J’étais un homme de sciences, j’avais formé une université, j’étais célèbre. Se pourrait-il que
cet accident nuise à ma vie, à ma réputation, à ma réussite. Je devais trouver une solution
intelligente.
Je me jetai dans les ronces, ces doigts de sorcière m’agrippaient. Je ne pouvais plus
bouger, j’étais paralysé ou même pétrifié telle une statue. Mon corps devenait mou comme
une éponge. J’étais accablé par un poids, le poids de ma peur. Un courant d’air me propulsa
de l’autre côté. D’où venait-il ? Du ciel ? Zeus aurait-il enfin voulu me venir en aide ?
Ce village comportait de petites maisons alignées et toutes identiques. Elles avaient été
construites en pierre, et le toit en chaume. Au loin, la silhouette d’un clocher se dessinait, un
clocher sombre, délabré, menaçant. Allais-je apercevoir une quelconque créature ressemblant
à Quasimodo ? Tout était entouré d’arbres, d’arbres à la végétation luxuriante, dense et
impénétrable, si bien que la lumière de la lune ne traversait pas les branches.
Un vent se mit à souffler, comme un enfant le jour de son anniversaire. Mon superbe
chapeau haut de forme fut emporté. Toutes les férocités de la nuit allaient-elles s’acharner sur
moi ?
Je déambulais à travers ces rues, tel un fantôme qui ne savait pas où aller. Au bout de
quelques heures, j’arrivai à un étang sans pont, dans lequel flottaient des os. Lugubre, un
manoir se dressait en face. C’était, au milieu de ce plateau désert, un bloc obscur, une
excroissance symétrique et hideuse, une haute masse carrée à angles rectilignes, quelque
chose de semblable à un énorme autel de ténèbres. La masure, de son côté, semblait me
regarder. Elle avait, dans cette vaste obscurité muette, deux prunelles rouges. C’étaient les
fenêtres. Plus bas, une autre ouverture se dessinait. De celle-ci, sortaient des cris, ou plutôt
des pleurs. Un enfant était assis sur le palier. Son corps me paraissait transparent, imaginaire,
imperceptible. Cette maison me parlait. De l’autre côté, un cimetière ne comportant que deux
tombes, avait été creusé.
J’étais ivre d’épouvante, prêt à hurler, prêt à mourir. C’était une sensation nouvelle. Je
ne pouvais pas rester à cet endroit sans rien faire. Je devais, au péril de ma vie, me rendre de
l’autre côté. L’orage se mit à grogner, un orage aux éclairs qui sillonnaient le ciel comme des
étoiles filantes. Les arbres étaient foudroyés par cette tempête agitée. Un tronc venait de
tomber près de moi, je voulus le soulever pour m’en servir comme pont, lorsque ma chemise
se déchira. Je la retirai et me retrouvai torse nu, affrontant le froid, la pluie, le vent. J’allais
renouveler cette action, lorsque je fus interrompu par une voix de femme qui me chuchotait :
« Meurs, meurs, … » J’étais figé. J’entendais mon cœur battre à la chamade. Cette voix
ressemblait si fortement à celle de Caroline, mon épouse morte enceinte.
Sous l’effet du désespoir, de la peur, de l’épouvante, je me jetai dans cette eau sale,
puante, glaçante. Ma tête heurta violement le sol mais je ne sentis pas la douleur. Je nageais
sans m’arrêter, essayant d’oublier les algues ressemblant à des cheveux de sirènes,
s’entortillant autour de mes membres. Soudain, je vis au dessus de moi quelque chose, une
forme, une silhouette indistincte, un corps imperceptible. Je ne sentais pas son poids. Etait-ce
un fantôme ? J’étais terrorisé, si bien que je rampai jusqu’à la rive à une vitesse qui
m’impressionna.
Derrière moi, se dressait toujours cette femme, une femme aux cheveux roux et portant
une simple chemisette. Je transpirai à grosses gouttes, mon cœur m’étouffait, j’étais proche de
l’agonie. Je ne pus dire qu’un mot : « Caroline. ». Elle me conduisit, toujours dans ce même
silence oppressant, à une tombe. A la lumière des éclairs, je pus y lire : « Caroline KANESTA
1863-1883 ». Dessous, une phrase était gravée : « Toutes les nuits, je songe à cet homme qui
m’aime mais qui n’est à chaque fois, pas tout à fait le même, pas tout à fait un autre. »
Je levai la tête, j’avais les larmes aux yeux. A son regard, je compris qu’elle me
reprochait de ne pas avoir été prêt d’elle lorsqu’elle était en train de trépasser, un bébé dans le
ventre, de ne pas lui avoir été fidèle, d’avoir couru les amantes. A gauche, une tombe d’enfant
était plantée, celle de ma fille où était écrit : « Euphrasie KANESTA 1883 ». Caroline se
coucha sur moi, comme elle aimait tant le faire autrefois. Je ne pouvais plus rester en
présence de ces deux spectres. Je courus, affrontant toutes les férocités de la vie, traversant à
nouveau ce village hanté.
Le lendemain, lorsque je me réveillai, je me trouvais dans mon petit appartement de
Paris. Je repensais au cauchemar de la veille et ris en moi-même, en me prenant pour un
lâche. La place du lit à côté de moi, était défaite. Une amante ? Je me levai et me dirigeai vers
la fenêtre. A la lueur du soleil inspirant, je vis, coincés entre mes doigts, de longs cheveux de
femme rousse. Je restai muet…