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En suspens - Mercredi 12 décembre 2007

En suspens - Mercredi 12 décembre 2007

Publié le 15 août 2024 Mis à jour le 15 août 2024 Famille
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En suspens - Mercredi 12 décembre 2007

La veille, le service de réanimation néonatale m’a laissé un document avec un numéro de téléphone qui me permet d’appeler 24 heures sur 24 pour avoir de vos nouvelles. Je n’ose pas trop appeler, mais à 6 heures, je me lance. La « nounou » qui me répond me dit que la nuit a été calme pour Cyrielle et Robin. Les nounous vont être nos interlocuteurs privilégiés pendant la durée de l’hospitalisation.

On m’a laissé des documents ce matin, j’y jette un œil. Il y a entre autres une ordonnance pour une location de 10 semaines pour un tire-lait. Je ne sais pas ce que c’est mais vu le nom, je suppose que je vais devoir tirer mon lait pour mes bébés, et qu’une machine existe pour ça.

Je vais voir mes jumeaux. Ils ne sont plus l’un à côté de l’autre. La couveuse de Robin se trouve juste après les deuxièmes portes coulissantes, à droite. Je m’attarde un peu à côté de lui, des infirmiers, qu’on appelle nounous dans le service de néonatologie, s’activent dans la salle autour des couveuses. Ils prodiguent les soins aux bébés de réanimation néonatale. Ils travaillent 12 heures d’affilée, à s’occuper de nouveau-nés très fragiles. Ils seront exceptionnels tout au long de notre parcours, malgré un ou deux accrochages inévitables.

J’aperçois une femme qui s’approche de moi tandis que je me dirige vers l’incubateur de Cyrielle. Elle n’a pas de blouse, mais semble quand même travailler dans cette maternité.

« Bonjour Madame. Je me présente : je suis la psychologue de la maternité. Comment allez-vous madame ? »

Question piège : c’est évident que ça va mal, mes bébés font à peine plus de 750 grammes, ils ne savent pas manger, ni respirer seuls, ils n’ont aucune autonomie et sont très fragilisés par tous les phénomènes extérieurs qu’ils n’auraient pas eu à vivre si j’avais pu les garder au chaud dans mon ventre encore pendant quelques semaines… Pourtant, je m’entends répondre :

« Ça va, merci. » 

Là-dessus, Isabelle, la psychologue, continue à me parler. Elle m’explique que son bureau n’est pas loin, et que tous les jours elle passe dans ce service. Si ce n’est pas elle, c’est sa collègue. Elle me questionne ensuite sur ma grossesse, sur le papa, sur mon travail… Toujours avec une voix douce qui me met en confiance. Je réponds à ses demandes. Mais je ne suis pas vraiment à mon aise. Je suis quelqu’un de très pudique, qui ne dévoile que rarement ses sentiments et veux rester forte en toute circonstance. Je ne peux pas me permettre de perdre pied maintenant, mes enfants ont besoin de moi.

« Merci Madame, mais pour l’instant ça va. Je n’hésiterai pas si je ne me sens pas bien. »

La psychologue acquiesce d’un mouvement de tête, et se dirige vers une maman en fauteuil qui est en larmes devant l’incubateur de son fils. J’ai l’impression de me retrouver moi, hier soir, devant les couveuses de Cyrielle et Robin. Un air très récent de déjà-vu.

Je détache mes yeux de cette scène qui semble habituelle aux yeux du personnel, et j’arrive près de Cyrielle. Je ne peux pas ouvrir les portes de l’incubateur car sa température corporelle baisse. Elle est placée sur un coussin rempli d’eau chaude. Je la regarde. Je la trouve superbe.

Beaucoup de visiteurs viennent vous voir aujourd’hui, vous êtes de vraies stars alors que vous n’avez qu’un jour ! Dans le service, il n’y a que les parents qui peuvent entrer dans la salle de réanimation néonatale. Les autres personnes, qu’elles soient de la famille ou des amis, ne peuvent vous voir qu’au travers les vitres installées le long du couloir. Il y a des petits fauteuils pour que les gens puissent discuter ou boire un café.

Avec ma mère, on s’occupe de la paperasse : assurances, mutuelle, et ce fameux tire-lait. Je ne veux pas quitter mes enfants, je veux rester au maximum auprès d’eux, je me dis que si je pars pour aller à la pharmacie chercher ce satané tire-lait, et qu’il arrive quelque chose aux jumeaux, ce sera de ma faute car je n’étais pas là. Alors on s’organise autour de moi pour m’aider dans les démarches administratives, et le tire-lait arrive le lendemain. C’est maman qui est allée à sa pharmacie habituelle et qui a pu en obtenir un aussi rapidement.

Avant que Nicolas ne reparte en fin de journée, un des pédiatres nous explique un peu ce qui va ou ce qui risque de se passer ces prochains jours.

« Vos bébés vont très certainement avoir la jaunisse. Pour un enfant né à terme, tout se passe facilement, mais vos jumeaux font partie des bébés prématurés les plus à risque, ils sont nés à la limite du seuil de viabilité acceptable. On parle d’extrême prématurité lorsque l’accouchement a lieu avant la vingt-sixième semaine. On ne peut donc rien vous promettre à ce stade, il faut vous dire que chaque jour est une lutte contre la mort. A chaque minute, vos bébés luttent pour rester en vie. Vous comprenez ?

-Oui.

- Ils se battent comme jamais, et l’équipe pluridisciplinaire est là pour les aider. Mais rien n’est jamais certain en réanimation néonatale. Leur état va osciller en dents de scie pendant des semaines. Vous devez vous y préparer. Si vous avez la moindre question, n’hésitez pas à discuter avec les infirmiers qui s’occupent de vos enfants.  Allez, bon courage. »

Et il repart comme il est venu. Au moins, on est fixé. On va jouer au yoyo des émotions les semaines à venir. Il faudra être forts, et solidaires.

Il est déjà 19 heures. Tout le monde est reparti, je me retrouve seule et triste, dans une chambre qui devrait être envahie de pleurs de joie et de cris de bébés. Je repense aux deux derniers jours. Ma vie a été complètement transformée depuis l’annonce de la naissance prématurée de mes jumeaux. Je ne suis plus dans la vraie vie. Je vis dans l’attente : l’attente d’un mieux, l’attente d’un moins bien, au rythme des bonnes et des mauvaises nouvelles distribuées à toute heure du jour ou de la nuit. Je ne dicte plus la cadence de ma vie. Je suis en suspens.

 

 

 

 

 

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Commentaires (2)

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Jackie H il y a 4 mois

On ne maîtrise plus sa vie, on dépend d'événements sur lesqiels on n'a aucun contrôle et on doit s'adapter en permanence, y compris sur le plan émotionnel... c'est dur. "En suspens" est exactement l'expression qui convient...

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Annaële Bozzolo il y a 4 mois

C’est vrai. Nous n avions aucune prise sur rien. Sentiment assez frustrant.
Merci pour les commentaires!
Bien à vous,
Annaële

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