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Chapitre 8 : Les remparts bafoués

Chapitre 8 : Les remparts bafoués

Publié le 22 août 2024 Mis à jour le 22 août 2024 Drame
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Chapitre 8 : Les remparts bafoués

Trois semaines se sont écoulées depuis ce jour fatidique et aujourd’hui marque le début officiel de ma nouvelle vie. Pour la première fois depuis que j’ai quitté l’appartement conjugal, je vais me retrouver seule dans mon nouveau sanctuaire. Seule avec Fleur, sans aucune autre forme de rempart pour nous protéger que ces quatre murs un peu vieillis mais étonnamment réconfortants… Ce matin, une tension palpable enserre ma gorge, mes mâchoires sont crispées, et je me sens comme hantée par une insaisissable présence qui refuse de me laisser me reconstruire, comme épiée par une ombre qui se fond dans la mienne. Pourtant, ces dernières semaines, je me sentais presque en sécurité, entourée de bruit, de musique et de rires – une cacophonie joyeuse qui semblait repousser les ténèbres qui m’avaient récemment engloutie. Le déménagement s’était déroulé sans accroc et c’est soutenue par une foule d’amis, que j’avais quitté notre ancien domicile dans une atmosphère presque festive. Au moment de partir définitivement, mon cœur s’était serré en dedans, des larmes avaient coulé à l’intérieur et puis j’avais fermé la porte derrière moi, comme on tourne la page sur cinq ans de sa vie, comme on dit adieu à la terreur, aux mensonges et à la perfidie. Les voitures de mes proches attendaient en bas, Stella tapotait nonchalamment sur le volant du camion de location, et une vie toute neuve semblait m’attendre au coin de la rue. Pas le temps de m’apitoyer sur mon sort.  

Aujourd’hui, cela fait quinze jours, jour pour jour, que Fleur et moi avons investi notre nouvel appartement, et demain Stella repartira reprendre le cours de sa vie à Paris, et ce sera la toute première fois que je dormirai sans elle dans ce nouveau chez-moi. Depuis le réveil, je ressens une angoisse sourde et indéfinissable nichée au fond de mon plexus solaire, je me sens toute petite comme une gamine qui redoute le silence et l’obscurité mais qui ne dit rien de ses peurs parce qu’il parait qu’elle a grandi. 

Pourtant, j'aurais juré toucher du doigt une forme de liberté nouvelle, comme si j’étais revenue de l’enfer, comme si j’étais enfin libérée des chaînes qui m’entravait, mon esprit s’envolait vers un avenir serein, loin du tumulte, affranchi de l’emprise de mon ex-mari. Je m’occupais des heures entières à déballer les cartons, à organiser mon nouvel environnement selon les préceptes ancestraux du Feng shui et chaque mouvement était imprégné d’une énergie vitale, presque palpable. Je me sentais prête à reprendre les rênes de mon existence, à édifier un monde nouveau, un havre de paix où Fleur et moi pourrions nous épanouir. Chaque jour, je repoussais encore un peu plus les ténèbres et faisais germer des couleurs nouvelles qui n’auraient pas encore été inventées, mais alors presque par erreur la haine m’avait rattrapée. Il était presque minuit, hier soir, lorsque j’étais sortie sur le balcon pour m’accorder quelques instants de répit nicotiné, quand, soudain, un frôlement ténu, semblable au murmure d’un tissu caressant la pierre froide, s’est fait entendre juste en dessous du garde-corps. Mon cœur s’est mis à battre la chamade, la conversation insouciante que je partageais avec Stella à travers la porte-fenêtre entrouverte s’est cristallisé, pulvérisée dans l’éther. Son regard azur s’est posé sur moi, un voile de stupeur et d’angoisse voilant ses prunelles, tandis que je me pétrifiais, à l’affût de ce bruissement intrus. L’appartement, au rez-de-chaussée surplombe des garages engloutis dans les abysses de la nuit, l’oreille tendue, je ne percevais que la quiétude ambiante et le murmure atténué de la ville en contrebas. Pourtant, mon instinct me criait qu’une présence indésirable rôdait, une entité malveillante emmitouflée de noir, tapie, à portée de main de ma vulnérabilité à la lune exposée. Elle m’interrogeait d’un regard inquisiteur pendant que d’un geste muet, je lui faisais signe de me tendre mon téléphone, dont j’activai la torche dans l’espoir vain de distinguer une silhouette parmi les ténèbres. Rien.  

Le rayon lumineux se dissipait, englouti par l’obscurité vorace des portails métalliques. J’aurais donné tout ce que j’avais pour que ce ne soit qu’un animal errant, un chat, un chien, même une belette, mais alors, un nouveau frottement se fit entendre, suivi du crissement sourd de pas timides sur le gravier. Ma main se crispa instantanément sur celle de Stella, mes doigts s’agrippant aux siens alors que je luttai pour contenir la panique qui menaçait de m’ensevelir, tout entière. 

Je devinais facilement l’identité de l’ombre qui se terrait dans la pénombre, mais il me semblait fondamental à cet instant que Stella le constate de ses propres yeux. Elle qui, par moments, semblait vouloir se convaincre de l’innocence de William malgré l’accablante accumulation de preuves à son endroit, et aussi, je dois bien le reconnaitre parce que, je redoutais qu’elle me croie déjà complétement folle. Mais finalement, n’était-ce pas là l’objectif ultime de cette sinistre mascarade ? Que j'abdique, que je m’effondre, que je perde la raison, pour de bon ? 

 Du bout des doigts, tout en me penchant au-dessus de la rambarde pour essayer de surprendre un mouvement aussi infime soit-il, j’ai composé le numéro de Will... S’il répondait, cela signifierait que je m’étais trompée, peut-être aveuglée par la paranoïa, peut-être déjà perdue finalement ? Au moment précis où la première sonnerie retentissait à mon oreille, une brève lueur s’est allumée juste en dessous du balcon, avant que mon appel ne soit redirigé vers la messagerie et que l’obscurité ne revienne, simultanément. Comme dans un polar de série B, une parodie où les flics portent des chapeaux trop grands et où les indices sont aussi évidents qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine. 

Nouvel échec pour le roi, reine en danger dans sa tour. 

« Si je ne t’ai pas, personne ne t’aura… »  

Un frisson involontaire me glace et tout à coup, l’atmosphère devient électrique comme si, d’un battement de cils, nous étions revenues quelques jours en arrière dans un autre décor, comme si l’oreille de Will était collée à la porte pour épier chacune de nos conversations. Les jambes flageolantes, la nausée au bord des lèvres, je fermais la porte vitrée et observais Stella du qui, pour la toute première fois depuis son arrivée, semblait seulement effleurer du doigt ce que je traversais depuis ces derniers mois.  Cette nuit-là, j’éprouvais le besoin de m’isoler dans ma chambre. Je n’avais aucune envie de parler, de décrire ou de lire dans ses yeux mais seulement d’analyser cette situation nouvelle, en tête-à-tête avec moi-même, tout en essayant d’anticiper son prochain coup. 

Le matin venu, c’est donc le cœur lourd que nous prenons le chemin de la crèche, puis de la gare. Avec des larmes dans les yeux, je la vois grimper dans un train qui, crescendo, s’éloigne au loin et subitement, c’est comme si je prenais pleinement conscience de tout ce qui s’était déroulé ces derniers temps. Comme si la solitude me faisait le coup du lapin. Un haut-le-cœur intense me monte à la gorge, je chancelle, l’univers se met à tanguer, je sens mes jambes fléchir sur le point de me lâcher. C’est la sonnerie de mon téléphone qui me fait reprendre mes esprits, et le nom de William s’affiche en grands caractères. Je décroche, étonnée qu’il m’appelle à une heure aussi matinale : 

—  Oui, allô ? 

— Ça va, Juliette ? Où es-tu ? 

— Euh… à la gare, pourquoi ? 

Humm, Bizarre, comme question...Qu’est-ce que ça peut bien lui faire ? D’habitude, nous ne parlons que de la petite, de ses difficultés d’endormissement, très fréquentes ces derniers temps, de l’organisation des week-ends, de sa vie à la crèche. 

— Non, comme ça, pour savoir. Tu ne vas pas travailler ? 

Je marque une pause, renifle le piège, respire le vice. 

— Ben si ! J’accompagnais juste Stella à prendre son train, mais j’y vais et je suis en retard. Pourquoi veux-tu savoir ? 

— Pour rien. Tu es encore ma femme, à ce que je sache ! Tu as essayé de m’appeler hier, non ? 

— On est en instance de divorce, Will, tu te souviens, non ? Et oui, j’ai essayé de t’appeler. Tu étais où hier soir vers minuit ? 

— Dans mon lit, probablement. Pourquoi ? Ça t’intéresse ? Je croyais qu’on était en instance de divorce ? 

— Sale menteur ! Tu me prends VRAIMENT pour une conne ? 

Ma phrase se perd dans le combiné ; il m’avait raccroché au nez. Instantanément, je ressens la morsure de la rage, la brûlure de la haine et la distinctive saveur de la bile qui se déverse dans ma bouche. Une intuition aussi vive qu’indéchiffrable me hurle de rentrer chez moi plus vite. Compulsivement, je pianote un texto d’excuse au travail et regagne mon refuge pour m’y enfermer et me recroqueviller sous la couette, essorée par toutes ces émotions contraires.  

Soudain, une alarme inconsciente m’extirpe violemment des profondeurs éthérées du sommeil. Mon cœur palpite, ébranle ma cage thoracique d’une cadence effrénée, tandis que je lutte pour comprendre la raison de cette alerte intérieure, cette sirène silencieuse qui venait de déchirer net le voile du sommeil. Je crois d’abord avoir fait un cauchemar, un de ces mauvais rêves voraces qui vous happent dès que les paupières s’abandonnent. Encore engourdie par la fatigue, je m’assois sous le baldaquin de mon lit pour tenter de reprendre le contrôle de ma conscience, quand un cliquetis métallique tranche le silence. Mes sourcils se froncent, mon esprit vacille entre réalité et illusion, cherchant encore à se convaincre que ce n’était qu’un rêve éphémère, mais tandis que mes yeux rivés sur la porte s’écarquillent d’incrédulité, la poignée face à moi se met à tourner, avec une lenteur théâtrale, et la lourde porte d’entrée de bois s’entrouvre, comme mue par une volonté propre. Sans même m’en rendre compte, je saute sur mes pieds et un cri strident jaillit de ma gorge, brisant le calme atomisé. Un de ces hurlements, animal, bestial, que l’on ignore même être capable de pousser jusqu’à ce qu’il ne s’échappe. 

D’un bond agile et déterminé, je franchis la distance qui me sépare du sas d’entrée. Mon cœur bat la chamade, une peur sourde s’empare de moi, mais c’est l’adrénaline qui prend le dessus, me harponnant de sa force vive et impérieuse. L’intrus, quant à lui, semble décontenancé par ma présence inattendue qui venait de perturber un plan minutieusement orchestré, et marque un temps d’hésitation. La poignée de la porte se fige, les quelques secondes qu’il perd me laissent le temps d’atteindre la porte bafouée, de faire rempart de toutes mes forces pour la bloquer et d'aventurer un œil à travers le judas. Juste à temps pour apercevoir les cheveux bruns d’un homme retenus en une frêle queue de cheval, tourner à l’angle de l’escalier et disparaître de mon champ de vision. J’entends les pas de l’homme qui détalent dans les escaliers, la porte du bas de l’immeuble claque avec fracas alors que je me précipite déjà à la fenêtre de ma chambre pour tenter d’apercevoir son visage de face, mais il est déjà loin. Je ne distingue plus qu’un pan d’une chemise sombre qui claque au vent, s’éloignant rapidement. Une chemise pourtant que je suis persuadée de reconnaître, pour l’avoir achetée il y a plusieurs années. 

William, évidemment… quel salaud ! Mon intuition ne m’avait pas trompée ce matin ; son appel de courtoisie était bien trop louche pour ne pas cacher de basses vilénies… quelle enflure ! 

Mon corps est secoué de spasmes nerveux et je lutte pour assimiler les implications de la scène qui vient de se dérouler, submergée par un flot de questions. Comment a-t-il pu entrer chez moi ? Comment cela était-il tout simplement possible ? Chaque battement de mon cœur résonne comme un tambour de guerre dans ma poitrine, amplifiant à chaque mesure la peur qui s’empare de moi. Les hypothèses fusent dans mon esprit, rapides et tranchantes comme des lames acérées. Mes yeux papillonnent encore d’incertitude mais cette putain de porte entrebâillée ne laisse aucune place au doute. Je n’avais pas rêvé, "on” avait bel et bien tenté de violer mon intimité, quelqu’un était entré chez moi avec une clé que je n’aurais jamais confiée à âme qui vive, pas même à Johana. Un éclair de lucidité traverse mon esprit endolori et je me précipite vers la cuisine. Mes mains tremblantes fouillent frénétiquement le tiroir où j’avais jeté le double de mes clés, mais il n’y a rien, seulement le vide et quelques babioles sans importance qui répondent à ma vaine quête désespérée. Bien sûr, il les avait subtilisées, ce fumier ! Probablement lors d’une de ses brèves et “innocentes” visites pour voir notre fille. 

En pensées, je remonte à revers le fil des jours, revivant les éphémères moments où j’avais naïvement ouvert les portes de ce sanctuaire à William, espérant bêtement préserver un semblant d’unité familiale pour apaiser les angoisses de Fleur. La prise de conscience de ma négligence me frappe à la manière d’une gifle auto-infligée. 

Mais quelle crétine ! 

Pourtant, quelque chose clochait, une note sonnait faux dans cette mélodie dissonante que l’on m’imposait brusquement… Comment aurait-il réussi à me piquer ce foutu trousseau dans un tiroir de la cuisine alors que Stella et moi étions à ses basques en permanence ? Mais qui est-il réellement ce type : un fou, un spectre, un passe-muraille ? Comment aurait-il, matériellement, eu le temps de faire un truc pareil alors que nous ne l’avions pas lâché d’une semelle ? Comment aurait-il pu savoir avec précision où je cachais le jeu de clés inutilisé ? Il n’aurait eu que quelques poignées de secondes pour faire son coup sans qu’on ne prenne en flag’ ? Pas le temps de fouiller tout l’appart’, il SAVAIT, obligatoirement ! Se pouvait-il, alors, que Stella lui ait donné un coup de main, en le subtilisant à sa place et lui glissant en douce, par exemple ? Aurait-elle pu me faire une chose pareille ? À moi ? Après tout ce qu’on avait vécu ensemble ? Non, ça ne pouvait pas être possible ! C’est elle qui m’avait soufflé l’idée de l’adresse IP, elle ne pouvait pas être sa complice… Si ? 

Nauséeuse, je me fige, le souffle court. La porte d’entrée, entrebâillée a l’air de se moquer de mon fragile sentiment de sécurité assassiné. L’air frais du palier s’infiltre dans l’appartement, tel un fantôme glacial, me murmurant que ces murs, que j’ai pourtant choisis, ne sont qu’un fragile rempart contre les fantômes de mon passé. J’avais cru pouvoir échapper à l’emprise de mon ex-mari, dont l’ombre paraît déterminée à me poursuivre, à la vie, à la mort. Submergée par une colère intérieure d’une force inouïe, une révolte viscérale contre cette panique froide qui m’étreint et me colle à la peau, et plus que tout lasse de cette paranoïa qui grignote encore du terrain, je décèle du coin de l’œil un éclat de lumière qui danse sur le miroir fixé face à moi. Ce miroir, cadeau de mes parents, venu du bout du monde pour atterrir, comme par erreur, dans mon enfer personnel, me nargue en me renvoyant cruellement mon reflet terrifié. Mon regard se heurte à cette image et j’y déchiffre la peur, une peur trop familière, cette ennemie intime dont je connais les contours pas cœur et que j’exècre du plus profond de chacune de mes cellules. Emportée par une rage sourde, une fureur folle, sans limite, je lève le poing et frappe de toutes mes forces le visage de cette fragile Juliette que je méprise pour tous les souvenirs qu’elle me renvoie. La glace éclate en mille morceaux scintillants, comme une myriade d’étoiles déchues, tombées du ciel. 

Le silence retombe, assourdissant et je contemple les débris qui jonchent le sol, comme autant de vestiges éparpillés de mon passé. Chaque fragment est une réminiscence, chaque éclat un écho de douleur. Mais alors que je m’attends à être ensevelie sous le poids du désespoir, je ressens de l’intérieur comme le balbutiement d’une émotion inattendue renaître de ses cendres : une étincelle de rébellion contre ma propre vulnérabilité. Et c’est presque comme si, à cette minute précise, ma conscience contemplait la scène de l’extérieur, spectatrice hors de mon corps de ce moment décisif, celui où je m’élève des profondeurs de l’incertitude pour me hisser, avec détermination, sur le rivage de la reconstruction. Seule. Pour moi, pour Fleur, pas ou plus de choix. La résistance ou l’hystérie, pas d’autre alternative. Je refuse d’être, à nouveau, cette femme paralysée par la terreur. Je refuse que mes démons continuent d’entraver mes pas. En ramassant chaque morceau brisé, c’est comme si se recollaient en moi les pièces de ma détermination. La résilience prend racine, une force nouvelle germe doucement. Je me fais intérieurement la promesse de ne plus jamais être la victime. Je vais devenir l’architecte de ma renaissance, la forgeronne de mon destin. Et je me jure qu’à partir de maintenant, chaque pas que je ferai sera un pas vers la liberté, vers la lumière, vers la personne que j’ai toujours voulu devenir. Mais tandis que je me penche pour saisir un nouvel éclat translucide, un frisson parcourt mon échine. Un faible murmure, presque imperceptible, s’élève du silence. Je me fige, à l’affut, cherchant à discerner si ce son vient de l’intérieur ou de l’extérieur de mon crâne. Les murs semblent vibrer d’une présence insaisissable, et je me demande si je suis vraiment seule. La réalité se brouille, la folie me guette, tapie dans les recoins de mon esprit, chaque opacité devient suspecte, chaque soupir, un cri étouffé. Je me demande si ces brisures de verre sont les vestiges de mon miroir pulvérisé ou les tessons de ma propre psyché fragmentée. Je me tiens là, au milieu des décombres de ma vie, oscillant sur le fil ténu entre raison et déraison. La peur, cette vieille ennemie change imperceptiblement de couleur et flirte dangereusement avec la démence. Je dois choisir : céder à la paranoïa ou reconstruire sur les ruines de ma confiance trahie. 

La béance de cette maudite porte n’est désormais qu’un reflet de mon esprit fracturé. Je dois la fermer, la verrouiller, et sceller les brèches de mon âme pour ne pas m’y perdre sans retour. Avec chaque morceau de verre ensanglanté que je ramasse, je cherche à recoller les bribes de ma conscience, espérant que la lumière qui s’en échappe me guidera hors de ce labyrinthe mental où je risque de m’enliser pour l’éternité. Debout sur le seuil, les mains souillées par les éclats aiguisés de ma vérité disloquée, je m’efforce de retrouver la sérénité et de barrer la route à la psychose qui menace mon sanctuaire intérieur. À tout prix, je dois me déclarer gardienne de mon histoire, en écrivant chaque chapitre avec une plume trempée dans l’encre de ma détermination. 

Le sang goutte lentement sur le lino de l’entrée et dessine des pétales écarlates sur le sol jadis immaculé, me tirant de ma torpeur hallucinée. Je me secoue, jette les vestiges du miroir dans la poubelle de la cuisine, puis nettoie la scène du drame avec une précision méthodique. Si Will ne me tue pas, il est possible que ce soit moi qui finisse par avoir sa peau, dans un acte de survie désespéré. 

Une fois que tout est remis en ordre, que la normalité de mon décor semble restaurée et que mes mains ont enfin cesser de trembler, je cherche un serrurier pour une intervention urgente, mais celui qui se présente m’informe que ma serrure, spéciale, doit être commandée et ne pourra être remplacée que le lendemain. Le coût annoncé est de 700€, une somme dépassant de loin le montant de mon loyer mensuel. Ce qui signifie que je dois creuser encore plus profondément mon découvert bancaire et, plus inquiétant encore, que Fleur et moi devrons passer la nuit sans verrou, vulnérables, exposées à un éventuel retour de Will. Malgré mes tentatives répétées pour le confronter tout au long de la journée, ce lâche n’a pas donné signe de vie. Le petit diable posé sur mon épaule ne peut s’empêcher d’espérer qu’il a péri dans sa fuite effrénée de ce matin, mais, je ne peux me permettre de céder à la colère. Je dois rester calme et réfléchir à la meilleure manière de nous mettre en sécurité. 

J’ai beau tordre la situation dans tous les sens et griffonner les pages du cahier où je m’efforce laborieusement de faire mes comptes, je ne parviens pas à trouver comment émettre un chèque du montant exorbitant que me réclame le serrurier sans qu’il soit de bois. Résignée, je décide de contacter mon banquier. Armée de courage et d’une de mes fidèles cigarettes, je compose son numéro. Cet homme, bien qu’à des années-lumière de mon univers, est l’une des rares personnes fiables dans ma vie. Même si, sous couvert du secret bancaire, il a longtemps dissimulé la situation financière de William, contribuant ainsi à l’effondrement de notre mariage, il est toujours là quand j’en ai besoin. Il prend systématiquement le temps de me répondre et je le soupçonne même d’avoir parfois fait mentir les chiffres pour me tirer d’affaire. À cette minute, je ne vois pas d’autre allié vers qui me tourner.  

Il répond après quelques secondes, me laissant à peine le temps de tirer sur ma cigarette, sa voix masculine et profonde remplit mon oreille, et m’apaise déjà par sa tessiture. Je m’efforce de contrôler la mienne, cherchant à exposer ma problématique le plus calmement possible, sans laisser transparaître angoisse, affect ou perturbations, totalement focalisée sur la manière d’éloigner l’orage qui grogne encore au-dessus de moi. Et comme par magie, le banquier, en prestidigitateur, extirpe de son chapeau une solution cousue main : mon assurance couvrira intégralement l’intervention du lendemain. Il me suffit de déformer légèrement la réalité sur les circonstances de l’intrusion et de signaler la perte de mes clés à la police. Un petit compromis avec la vérité, mais nécessité fait loi… Et soudain, c’est presque comme si le soleil perçait les nuages et que le grondement du tonnerre s’éloignait à l’horizon. 

 

 

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