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Chapitre 7 : Une vérité dévoilée

Chapitre 7 : Une vérité dévoilée

Publié le 22 août 2024 Mis à jour le 22 août 2024 Drame
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Chapitre 7 : Une vérité dévoilée

Que l’homme est prompt à accourir lorsqu’il est éperonné par la curiosité, le mystère et peut-être une once de désir, en ce qui concerne Ronan tout du moins, qui s’annonce dans le combiné m’arrachant, un involontaire sourire en coin malgré l’intensité du moment. Pendant que j’attends dans l’entrée qu’il grimpe en vitesse l’escalier menant au premier étage de notre résidence, je sens Stella qui m’observe en silence. Je pivote alors pour la regarder et tenter de percevoir si elle lit en moi aussi facilement que je le crains. Un sourire, un brin goguenard, étire ses lèvres. Je me sens rougir, m’insulte intérieurement et ouvre la porte à la volée. Ronan parcourt, en courant, les dernières marches de l’escalier, tandis que mon cœur cogne fort dans ma poitrine. Je refuse d’écouter ce tempo qui choisit très mal son moment, essaie de rester de marbre et lui adresse un clin d’œil qui se veut amical. Avec douceur, Il m’attire vers lui pour me serrer dans ses bras, je respire son odeur masculine et enivrante, les effluves de sa peau sublimées par les notes fraiches de son parfum iodé. Un moment le temps s’arrête, puis, la sonnerie vrombit à nouveau, je m’arrache à cette étreinte pour ouvrir à mes visiteurs en chassant au loin la nostalgie de cette impossible idylle qui n’existe que dans mes rêveries le plus enfouies.

“Pas le temps pour ces bêtises, Juliette !”. 

Et c’est une valse en trois temps qui débute ; Nolwenn et Erwan, puis Aurélie et Ziad font leurs entrées, la présentation de ceux qui ne se sont jamais vus, les retrouvailles de ceux qui se connaissent, je propose à boire, pressée d’écourter les préliminaires et de commencer la chasse au fantôme qui me hante depuis trop longtemps. Ça piaille, ça jacasse, je trépigne intérieurement, ferme délicatement les portes du salon et de la chambre d’enfant pour que Fleur ne soit pas réveillée par ce vacarme puis ronge mon frein en attendant que se fasse le silence. Enfin, tout le monde finit par s’assoir et me regarde, interrogatif. D’un coup, je doute, bégaie un peu, éclaircis ma voix et me jette à l’eau. 

—  Voilà, je vous ai demandé de venir ce soir, parce qu’en fait...depuis plusieurs mois maintenant, Will et moi recevons des mails anonymes, vraiment bizarres. Je pense, enfin, je suis sûre que c’est quelqu’un qui nous connait et j’ai besoin que vous m’aidiez à tracer l’IP...  

Un silence de plomb s’abat sur la pièce, les secondes semblent durer des heures et puis d’un coup, des phrases fusent de toute part :  

— Ben, pourquoi t’en as pas parlé avant ? 

— Et tu as une idée de qui c’est ? 

— T'aurais pu m’en parler quand même... 

— C'est quoi cette histoire, t’étais au courant toi ? 

Fallait s’y attendre mais pas de temps à perdre avec ces considérations vides de sens. 

— Oui je sais... j’aurais dû en parler, mais au début j’ai pensé que c’était une mauvaise blague et puis j’ai cru pouvoir gérer le truc toute seule...mais là, entre Will et moi ça devient vraiment très tendu et à cause de ça, entre autres...on va divorcer. 

Les exclamations cessent, les yeux s’éberluent, le silence s’installe de nouveau... Je viens de jeter un pavé dans la mare. Je marque une pause et plonge mes yeux dans ceux de Ronan pour le supplier, télépathiquement de m’aider. Sans un mot, il se lève prestement, effleure mon bras nu et se dirige vers le bureau. Puis, il s’assoit, commence à pianoter, ouvre des fichiers étranges et explore devant moi tout un univers inconnu. Quand je le vois ainsi, à tenter de faire son possible pour m’aider, je sais au plus profond que ce ne peut être lui mon ennemi ; je m'en veux d'avoir pu le croire coupable du harcèlement dont je suis l’objet même s'il ne le saura jamais. Le petit Erwan, en qui j’ai une confiance absolue, me lance un sourire enfantin et me glisse : 

—  t’inquiète on va trouver ma grande - avant de rejoindre Ronan qui s’affaire, visiblement très concentré.  

Quant à Ziad, il traine avec nonchalance sur le canapé à côté d'Aurélie. Je m’approche, me baisse vers la table basse pour m’emparer de mon paquet de cigarettes et tenter de déchiffrer les traits de leurs visages.  Je crois y voir planer l’ombre d’un sourire mauvais, un éclat métallique planqué derrière une empathie grossièrement feinte, quand enfin, il daigne se lever et rejoindre d’un pas nonchalant les garçons en pleine intervention. De mon côté, je me faufile sur la terrasse accompagnée par Nolwenn pour apaiser mon envie de nicotine et tromper l’attente en observant, depuis l’extérieur, mes cavaliers informaticiens déployant des stratégies pour faire tomber la tour ennemie. Aurélie nous rejoint quelques instants plus tard et me submerge de questions teintées de reproches derrière lesquelles je sens poindre l’envie de se repaître de potins et de secrets bien croustillants, comme un besoin malsain de savoir, une soif à étancher. A présent, je vois clair dans son jeu de petite voyeuse. Lasse de l’entendre pérorer, je plante les filles dehors et me glisse à l’intérieur puis près de Ronan, qui, imperturbable continue à fouiller dans tous les recoins de cette foutue machine et parler avec les autres dans un dialecte inconnu. Un logiciel bizarre tourne laborieusement, le ventilateur hurle, mon PC semble à l’agonie, tandis que Ronan tape des codes à toute allure, soucieux de détisser de ses doigts la toile de mon araignée. Je ne comprends rien à ce que je vois sur le terminal, me ronge les ongles pour me donner une contenance, tourne en rond et finis par aller m’assoir pour vérifier mon téléphone toujours silencieux. Aucun nouveau message. 

Soudain, une clameur éclate, un cri presque triomphal puis des murmures précipités. Je saute sur mes pieds, aiguillée par l’adrénaline et m’élance vers les garçons qui se tournent vers moi, la mine contrite.  A quelques pas à peine, de l’écran, je tente de m’approcher encore peu plus pour arracher un pan de vérité.  Je vais pouvoir affronter ce démon qui s’acharne dans l’anonymat, je vais enfin savoir ! L'instant est décisif, le temps suspend son vol, mais avant que je ne puisse discerner quoique ce soit, Ronan bondit comme un diable hors de sa boîte, s’avance vers moi et m’attrape le poignet. Ça m’agace presque, Pas le temps pour ça, merde !  

Pas de câlins, pas de douceur, je veux du cash, de la vérité brute, je VEUX SAVOIR ! c’est qui ce salopard ? dites-moi bordel ! Que je lui fasse la peau ! 

Il ressent mon mouvement d’humeur, l’incandescence de l’impatience impossible à juguler, pose sa main puissante sur mon menton et me force à le regarder dans les yeux. Ça me fait peur. Sur la défensive, j’essaie de me dégager, et comprends alors qu’il essaie de me préparer au pire, mais c’est quoi le pire, hormis ne pas savoir ? 

— Ma puce...on a trouvé l’adresse de la machine émettrice et ça risque de ne pas te plaire...” 

Subitement, Erwan semble fasciné par ses baskets et évite mon regard, tandis que Ziad me fixe droit dans les yeux sans sourciller, en un regard de défi. Je le sens jubiler, mes poings se serrent tant j’ai envie de le cogner, mais je fais un pas vers le bureau, Nolwenn et Stella sur mes talons. Il y a tout le monde autour de moi et, pourtant, je me suis rarement sentie aussi seule ; mon cœur bat à tout rompre, j’avance encore, déterminée, me penche vers l’écran et essaie de comprendre ce que j’y déchiffre, écarquille les yeux, les fait papillonner pour être sûre à 100%.  

Localisation : Canal tv Rue Jean Froment 35000 Rennes 

Une bombe éclate dans ma conscience : L’ennemi(e) vient de Canal je m’attendais à tout sauf à ça ! C’est là où j’avais passé les meilleures années de ma vie professionnelle, là où j’avais rencontré William, là où je m’étais fait des amis, où j’avais vibré, aimé, rit, partagé. Qui pouvait donc nous détester autant là-bas ? Un trombinoscope géant défile à toute vitesse dans mon esprit en ébullition mais Ronan ne me laisse pas le temps d’encaisser l’information et murmure, le souffle court : 

  On a découvert autre chose, Juliette... 

Un silence de cathédrale cristallise l’air, chacun semble suspendre sa propre respiration, comme pétrifié en statue de sel. Ronan, la main sur mon épaule, reprend d’une voix douce : 

—  Est-ce que tu sais ce qu’est un “keylogger” ? 

UN QUOI ???c’est quoi ça ? 

Je fouille dans mon propre disque dur cérébral sans y trouver la moindre définition...non, jamais entendu parler d’un truc comme ça. Aucun son ne trouve la sortie, je reste muette, figée, scotchée et me contente de secouer la tête en signe de dénégation.  J’ai, subitement, envie que cet écosystème gravitant autour de moi se volatilise, que le bruit sourd qui cogne dans ma tête disparaisse par magie, j’ai l’impression de couler à pic dans un océan de questions. Je ne veux plus sentir tous ces regards braqués sur mon visage, je ne veux plus percevoir toutes les couleurs de leurs émotions, je ne supporte plus d’être face à tous ces gens qui semblent en savoir tellement plus que moi, sur moi. Ma gorge est si nouée que je dois m’y reprendre à plusieurs fois pour réussir à croasser : 

—  Non, c’est quoi ce truc ? 

J’aurais aimé trouver une réplique piquante ou un tant soit peu intelligente. Une de ces phrases d’anthologie qui serait restée dans les mémoires des témoins de cette triste scène, une punch line de reine qui aurait donné l’impression que je maitrise la situation mais je n’étais, à cet instant, qu’une petite fille qui tente, en vain, de comprendre une langue étrangère. 

— Un keylogger, ma puce, c’est une sorte de programme espion qui enregistre absolument tout ce que tu tapes sur ton ordinateur...tes mots de passe, tes messages, tes conversations privées, tes photos, tout et les renvoie sur une adresse mail. 

Euh... ça existe ça ? Dans la vraie vie ? 

—  c’est une sorte de cheval de Troie ? Un virus ? 

—  Non, c’est plutôt une sorte de programme. Un logiciel si tu préfères. Celui-ci est assez complexe puisqu’il se déplace parmi tes fichiers donc il n’était pas simple à localiser... 

Tout ce flux d’informations se brouille dans mon esprit contusionné tandis que j’essaie, le plus froidement possible, de décortiquer les éléments pour les corréler. Les mails viennent de mon ancien centre d’appels, c’est un fait. Quelqu'un a infiltré mon ordinateur, c’est un autre fait...mais qui ? Il y a 350 personnes qui travaillent là-bas et j’en connais la grande majorité. 

— d’accord. Mais ça s’installe comment ? J'ai reçu un mail piégé ou un machin comme ça ? 

Je le vois hésiter. Pour la première fois, il semble mal à l’aise et, pour se donner une contenance, se replonge dans ses manipulations informatiques comme pour vérifier une énième fois ce qu’il s’apprête à me répondre puis il pivote à nouveau vers moi : 

— Non, Juliette. Pour installer ce type de keylogger, il faut accéder à la machine PHYSIQUEMENT...je suis désolé. 

Ben, pourq....ohhhh punaise ! 

Ces dernières phrases se fraient un chemin dans mon esprit engourdi. Il fallait un accès direct à l’ordinateur...la personne qui a installé cette saloperie sur mon pc était donc, forcément, venue chez nous ! Il n’y avait, pourtant, jamais eu aucune intrusion, aucune serrure fracassée, ce qui voulait dire qu’on lui avait ouvert la porte. Si c’était Ziad, la trace ne déboucherait pas à Canal ! Ça n'avait pas de sens ! 

 Un éclair de lucidité me frappe de plein fouet. Étais-je aveugle ou idiote au point de ne pas avoir compris avant ? L’adresse IP qui renvoie à Canal+, un logiciel installé sur mon ordinateur, l’épicentre de ce tsunami c’était Will ! mon mari si abattu, si malheureux, mon mari : la “victime” d’un ou un sinistre anonyme qui s’acharne sur lui encore plus violemment que sur moi. Celui qui reçoit de la haine par caractères alphanumériques...se pouvait-il que la réponse à la question qui me taraude depuis tout ce temps soit à la fois si simple et si cruelle ?  

C’était lui depuis le début ? Tout ça, c’était lui ? L’enfoiré, le traite, LE SALAUD !!! 

La suite de la soirée se noie dans un brouillard épais. Je ne sais plus comment les autres ont pris congés, je ne me souviens pas... comme si sous l’effet de cette bombe virtuelle, mon propre cerveau avait buggé. Je me rappelle vaguement que, sur le pas de la porte, Ronan avait glissé d’un ton grave : 

— On l’a mis en quarantaine Juliette, tu ne devrais plus être embêtée, mais c’est coriace ces machins-là ! Il faudrait vraiment tout nettoyer, on fera ça quand tu veux...Et puis, on peut tracer l’adresse mail aussi, mais ça mettra plus de temps. Appelle-moi à n’importe quelle heure, ok ? 

J'ai sans doute bredouillé quelque chose en réponse à leurs phrases de commisération à tous, j’ai peut-être souri ou étouffé un sanglot de rage. Toutes ces lignes de codes qui me semblaient n’être qu’indéchiffrable fouillis venaient de me dévoiler l’impensable, l’inimaginable, l’ultime trahison, la plus vile tartufferie. Je revoie en accéléré tous les moments où nous recevions Will et moi ces phrases lapidaires et nauséabondes. Je ressens encore la brûlure de l'angoisse, la morsure de la honte lorsque j’avais lu la première missive et que je m’en étais ouverte à mon “mari”, le cœur au bord des lèvres, me sentant alors comme celle qui fragilisait notre famille déjà vacillante, me remémorant, sans cesse, l’éclat dans ses yeux qui me jugeaient sans mot dire et qui m’accusaient de tous nos maux alors que c’était peut-être William ! Ce soir, tout semble le désigner, pourtant, je n’ose encore m’y résoudre tout à fait tant cette révélation me fait l’effet d’une déflagration en plein cœur. Était-ce lui seul qui se cachait depuis tout ce temps, derrière les traits flous de celui que j’appelais, hier encore “l’ombre inconnue” ou le stalker ? Avait-t 'il un complice qui se terrait dans ses pas, pour prendre le relais dans ses filatures ? 

Et ce regard chargé de rancœur que j’avais nettement perçu dans les yeux de Ziad ?  

Est-ce qu’il pourrait, lui aussi, être mêlé à tout ça, comme mon intuition le hurle à mes oreilles ? Se pouvait-il que Will et lui soient de mèche alors qu’ils se connaissaient à peine et semblaient si peu s’apprécier ? 

Et, après la peur, c’est la haine qui s’infiltre dans chacune de mes veines. La haine, tour à tour, poison et antidote au chagrin, la haine dont je connais par cœur chacune des nuances pour l’avoir côtoyée de près, pour l’avoir abritée en mon sein.  La haine écarlate, incandescente, qui évapore le sel des larmes et laisse un goût de sang dans la gorge, la haine noire, glaciale, qui sent le soufre et réclame la vengeance en tribut. Et tandis que j’entends rugir, en moi, cette bête féroce que je croyais pour toujours endormie, je tourne comme un lion en cage dans cet appartement vide de lui, dans cet univers vide de sens. William ne rentrera pas cette nuit alors que je crève de ne pouvoir le confronter, droit dans les yeux.  

Stella longe les murs et attend l’accalmie, Muffin qui sent mon orage intérieur, file dans son panier pendant qu’inlassablement je piétine, ronge mon frein, essaye d’endiguer ce flot de rage, cette colère torrentielle. En une danse incessante, diabolique, les scènes tournent et retournent dans mon esprit. J’assimile chaque mot, chaque fragment de regard, chaque nuance des silences gênés de mes amis rassemblés plus tôt autour de moi et de cet ordinateur maudit. Cette nuit, tapie derrière l’amertume cruelle d’une trahison présumée, c’est la honte qui résonne le plus fort, l’humiliation de ne pas avoir vu, de ne pas avoir su que Will tirait peut-être les ficelles de l’infamie depuis le tout premier e-mail, le premier jet de boue. Le déshonneur d’un pantin désarticulé, aveuglé par la confiance offerte, un jour, à un homme qui sous couvert d’amour l’avait manipulée, comme jamais personne ne l’avait fait auparavant. Les remords en écho, d’avoir accusé, en mon for intérieur, toutes les personnes venues pour m’aider ce soir, imaginant, des nuits entières durant, les milles et une façons dont je pourrais me venger de chacune. 

Etais-je un monstre de cruauté et de rancœur pour avoir ainsi réfléchi à toutes les manières de pouvoir les atteindre au plus profond ? Ou simplement une idiote de ne pas avoir reconnu Machiavel dissimulé sous les traits de William ?  

Depuis le tout premier courriel, j’avais émis de nombreuses hypothèses au sujet de l’identité de « l’ombre inconnue » sans jamais croire mon mari coupable de cette supercherie. Pourtant, je le savais fourbe, capable de beaucoup pour ne pas me perdre, nous perdre Fleur et moi, mais, malgré la violence verbale et physique, malgré ses coups bas, ses menaces et perfidies je ne l’avais jamais réellement suspecté puisqu’il était, au même titre que moi, pris pour cible de ce jeu malsain. Sauf si, bien sûr, comme tout le laissait croire, il avait revêtu un masque d’imposteur... 

Alors que d’ordinaire je suis plutôt méfiante, j’avais ouvert en grand les fenêtres de mon âme, je l’avais laissé franchir mes murailles en fer forgé et il m’avait blessée de l’intérieur, m’avait fait douter de celle que j’étais devenue et de celle que j’avais toujours été, m’avait conduite au bord de la folie sans ciller. Il s’était joué de moi comme on sacrifie sa dame pour se sauver du déshonneur de l’homme quitté...Pourtant, alors que tout semble l’accuser, une part de moi refuse l’évidence.  

Et si c’était encore un piège ?  

Une nouvelle manipulation de cette ombre inconnue ?  

Je savais maintenant que le mal s’enracinait encore plus profondément que ce que j’imaginais il y a seulement quelques heures. Mon ordinateur était infesté en son sein, mon téléphone aussi peut-être. Tout mon univers virtuel se retournait contre moi. La seule option qui s’offrait maintenant était de confronter William au plus vite, de faire enfin la lumière sur tous ces mois d’angoisse aveugle pour en avoir le cœur net quitte à ce qu’il se brise en un millier de fragments. Les heures s’étirent, Fleur, Stella et Muffin dorment à poings fermés et j'attends, figée, en priant le ciel de me réveiller de ce cauchemar éveillé qui semble ne jamais vouloir prendre fin, en guettant un bruit de clefs dans la serrure et le retour d’un homme qui ne sait pas encore qu’il a été démasqué, puis, au paroxysme de l’épuisement, aux premières lueurs de l’aurore, après ces longues heures de vaine attente furieuse, je tombe, net, dans un sommeil trempé de sueur, des larmes de rage et de rimmel noyé sur mon oreiller. 

 

C’est une petite fille sautillant sur mon lit qui me réveille quelques heures plus tard, son sourire et sa joie de vivre chassent les nuages et les mauvais rêves, ma journée se rythme au son de ses rires d’enfants. Je souris, l’enlace, la fait tournoyer en dansant, pourtant, une tout autre mélodie continue de résonner en moi, une de ces musiques entêtantes qui n’a de cesse de se faire entendre et qui réclame la vérité qu’importe son prix. 

William finira par rentrer deux jours après s’être lâchement enfui. En le voyant pénétrer dans l’appartement, comme si de rien n’était, alors que Stella et moi sommes en train de jouer avec Fleur sur le tapis du salon, mon cœur manque un battement puis cogne à tout rompre comme pour se rattraper d’avoir pris du retard sur son métronome personnel. Il se penche vers la petite qu’il soulève dans ses bras en la couvrant de baisers qui claquent, échange quelques mots avec Stella en me montrant bien qu’il m’ignore avec véhémence. Mes lèvres restent scellées, mes ongles s’enfoncent dans mes paumes serrées tandis que je me concentre sur ma respiration en cherchant à éviter un nouvel esclandre devant notre fille, trop petite pour comprendre les conflits d’adultes. Je m’efforce de ne pas lui sauter à la gorge pour lui arracher de pénibles aveux mais patiente, attends le moment propice. J’ai eu le temps de canaliser ma haine, d’apprivoiser ma colère pour l’aiguiser, la forger en une arme tranchante plutôt qu'elle ne me brise de l'intérieur. Dans un semblant de vie normale où chacun joue sa partition pour donner le change, nous essayons tous de faire semblant que tout va bien, du moins, jusqu’à ce que Fleur ferme ses yeux pour la nuit. A l’instant-même où je quitte sa chambre aux couleurs douces et pastels, je sens la fureur, contenue jusqu’alors, se répandre en moi. A chaque pas qui m’éloigne de la chambre d’enfant, elle se diffuse en grondant de plus en plus fort, hurle à mes oreilles au rythme pulsatile des battements de mon cœur. Tentant de maitriser les tremblements de mes jambes pour ne pas trahir les émotions contraires qui me submergent, j’entre dans le salon, cherche William du regard, le localise dans la cuisine ouverte et vais me camper sous son nez. Il semble surpris de cette soudaine proximité physique. Stella qui sait que j’attends ce moment depuis plus de 51h47minutes et 32 secondes, se lève du canapé dans lequel elle s’était installée pour lire et file à pas feutrés dans ma chambre en prenant soin de fermer derrière elle toutes les portes de communication. Le bruit mat de la dernière charnière embrase la sourde colère que j'étouffe depuis trop longtemps. Je sais qu’une confrontation directe ne conduirait qu’à le braquer encore davantage et provoquer une nouvelle fuite, une nouvelle tentative de manipulation, alors je décide de jouer les candides et lui faire croire que je ne le suspecte aucunement. J’ai besoin de lire dans ses yeux, de déchiffrer son âme, de percevoir les affres de la peur et l’oscillement de ses sentiments. Je tempère ma voix et lui glisse comme s’il s’agissait d’une confidence et non d’une accusation :  

—  Des potes à moi ont tracé l’IP des mails anonymes Will, ils viennent tous du même endroit, faut qu’on aille porter plainte ! J'attendais que tu rentres pour venir avec moi parce que tu es concerné... 

Il pâlit un instant puis tente de se reprendre en murmurant : 

— et donc, ça vient d’où ? 

— de Canal. De ton centre d’appel, faut qu’on aille chez les flics, William et il faut aussi qu’on contacte les RH et qu’ils enquêtent pour trouver ce salopard...faut qu’on porte plainte contre la boîte et contre cette personne, qui de toute façon se fera virer, c’est clair ! viens on y va, il n’est pas encore trop tard pour aller au commissariat je pense. Je vais prendre mon sac, Stella va garder la petite... 

Je pivote sur moi-même, faisant mine de me diriger vers le vestibule lorsqu’il saisit violemment mon poignet à la volée. Le contact de ses doigts contre ma peau me révulse le cœur, j’ai envie de le cogner, de lui faire mal, d’éclater de mes poings ces lèvres qui m’ont jadis embrassée et tant de fois menti. Avec toute la force de mon mépris, je me dégage comme on sort sa main des flammes. Il s’exclame, acculé : 

— Tu...tu ne peux pas faire ça Juliette...  

— Ah et pourquoi ? T’as pas envie de savoir ? De punir celui qui nous fait ça ? Tu te rends compte que c’est forcément quelqu’un qui nous connait ? Peut-être même un de tes amis ? Ben moi j’en ai besoin !  

Blême à faire peur, il s’affaisse dans un fauteuil et prend sa tête entre les mains, sous le coup d’une émotion trop forte à juguler. 

— Tu ne peux pas faire ça Juliette parce que... 

 C’est à moi que tu ferais du tort...c’est moi qui serais renvoyé... 

Ce n’était pas l’aveu que j’espérai, je voulais plus, je savoir tout savoir :  

— QUOI ? Explique-toi, je t’écoute ! 

Un court instant, il lève son regard vers moi, me dévisage et je peux lire toute l’immensité de sa détresse au fond de ses yeux noirs. De là où je suis, debout face à lui, raide comme la justice, c’est presque comme si je voyais la sueur glisser le long de ses tempes, comme si j’entendais son cœur tachycarder, avant qu'il n’enfouisse à nouveau sa face d’imposteur derrière ses faibles remparts de chair et d’os. A cet instant, je sais que le jeu est fini puisque les masques sont tombés. C’était bien lui, l’ombre inconnue, l’anonyme intime, ce stalker qui me poursuivait depuis tout ce temps, mais j’ai besoin de l’entendre se confesser, qu’il justifie enfin ses actes pour une fois sans s’enfuir. 

— C'est toi qui as manigancé tout ça ? C'était toi depuis le début ? Mais dis quelque chose, MERDE ! 

Pendant un long moment, il reste figé, comme mort. Seules ses mains tremblantes, dissimulant son visage montrent qu’il est toujours en vie. A cet instant je m’exhorte au calme, espérant un aveu franc, une explication sincère, sans fard, comme une ultime miette de respect, le courage d’un perdant qui reste bon joueur, mais soudain il brise le silence d’une voix d’outre-tombe et profère :  

— Je ne te dirais rien de plus, Juliette...ce serait me tirer une balle dans le pied mais s’il te plaît ne contactes pas le boulot, j’ai déjà tout perdu... 

C'est tout ce que j’aurai en guise d’aveu mais le lendemain matin, les papiers du divorce parés de sa plus jolie signature m’attendaient sur la table du petit déjeuner... 

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