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Chapitre 6 : Perfide arachnide

Chapitre 6 : Perfide arachnide

Publié le 22 août 2024 Mis à jour le 22 août 2024 Drame
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Chapitre 6 : Perfide arachnide

Mon cerveau crépite, mes synapses explosent et, frénétiquement, je me mets à pianoter sur mon portable, envoie des messages à droite et à gauche, pour réquisitionner, en urgence, les talents de plusieurs de mes connaissances, douées en informatique. Parce qu’il y a des choses que l’on ne peut pas régler toute seule, surtout quand on n'y connait rien, je me rends compte à cette minute qu’en voulant cacher la boue dans laquelle je me noie, je n’avais fait que m’y enliser. A peine quelques secondes après l’envoi de mes brefs messages, mon portable joue un concerto de notifications. Tous mes contacts répondent à l’appel, demandent des précisions, s’enquièrent de la “mission” dont je les charge, aussi subitement. Je me sens emplie de gratitude face à ces amis que j’avais délibérément laissés à distance mais, bien décidée à ne pas dévoiler l’intégralité de la toile d’araignée dans laquelle je suis engluée, je reste factuelle, concise, me focalise sur la localisation de la machine ennemie et sollicite leur venue chez moi avant d’exposer le moindre détail. Je continue à croire qu'il est impératif d’en révéler le moins possible, parce que notre harceleur se cache peut-être derrière un de ces prénoms familiers. 

Ça pourrait même être Ronan. 

Avant de devenir flic et travailler au Centre du contrôle Automatisé, il était développeur informatique dans le privé. Alors que mon travail consiste principalement à écouter se déverser la bile des contrevenants épinglés, le sien, en amont, est de relever les excès de vitesse des conducteurs et les leur faire payer. En un mot, je suis son service après-vente. Nous avons plus ou moins le même âge et il existe entre nous, depuis notre première rencontre, un lien un peu étrange, assez difficile à définir, une forme d’amitié amoureuse, un attachement un brin ambigu.  Je sais que cet homme a un faible pour moi depuis mon premier jour au service de la République ; je ressens l’intensité de l’azur de ses yeux sur ma chute de reins, sur mes jambes ou sur ma bouche, mais je n’ai jamais vraiment pu l’envisager comme un amant ou un amoureux. Déjà, parce que nous n’avons jamais été célibataires en même temps mais aussi parce qu’en le regardant, c’est un peu comme si je percevais, sous ses traits masculins, le jumeau jamais-né de mon amie Stella, comme si je le reconnaissais d’avant sans jamais l’avoir rencontré dans cet espace-temps. Lui et moi, en un sempiternel rendez-vous manqué ; lorsque je m’accorde le droit de tendre une main vers lui, il fréquente déjà une autre femme et vice-versa. Et puisque dans la vie, tout est question de timing, on peut dire que nous n’avons jamais eu notre moment. On se connait depuis très longtemps, depuis bien avant Will et autrefois, dans ce qui était alors une autre vie, nos corps se sont frôlés, il y a eu quelques soupirs, quelques baisers volés et puis un ange est passé. Aujourd’hui, malgré les années qui s’enfuient, cet homme continue à me troubler, même si, depuis ma rencontre avec mon mari, j’essaie de me comporter en amie avec lui, il perdure toujours cette forme d’attirance dont j’étouffe le nom. Je crois avoir toujours eu une réticence à me rapprocher de lui de manière irrémédiable parce que je m’étais juré de ne jamais avoir de liaison avec un homme armé. Je ne supporte pas les armes à feu et j’ai peur de ceux qui en portent à la ceinture, comme des cowboys des temps modernes. Ce bout de métal assassin semble leur conférer une autorité dangereuse, une suprématie imaginée qui galvaude leur personnalité. J’aurais sans doute pu faire une exception pour lui, mais la vie ne l’avait pas décidé ainsi. Ensuite, j’avais rencontré Will et tout mon monde s’était mis à graviter autour, jusqu’à ce que la mélodie déraille et que mon cœur manque un battement puis sorte de son orbite. Ronan toujours là mais jamais vraiment tout contre moi, ses prunelles d’acier qui me surveillent de loin, comme un gardien silencieux, un protecteur tacite, une éternelle possibilité maquillée en ami, fidèle, auquel je n’ai pas jugé bon de me confier sur ce qui me tourmente depuis des semaines parce qu’un fragment de moi se méfie de lui, malgré ce que je peux ressentir, presque à mon corps défendant. 

Et si c’était lui ?  

Il avait les capacités techniques mais avait-il le mobile ? 

Lorsque je lui avais annoncé mon mariage tout proche, il avait pris ma main dans la sienne, avait vrillé l’intensité de son regard dans le mien et m’avait chuchoté d’une voix grave, solennelle : 

“ tu es sûre que c'est vraiment ce que tu veux ?” 

J’avais laissé mes doigts et mes yeux dans les siens pendant quelques secondes. Juste assez pour y lire un éclat de tristesse, un nuage de frustration et une infime nuance de colère. Dans cette question, je percevais tout ce que l’on n'avait jamais été, tout ce qu’il aurait peut-être voulu que je sois, tout un monde de possibles que je fermai avec un anneau d’or à l’annulaire.  

Aurait-il pu, alors, me faire subir l’enfer pour m’éloigner définitivement de celui que j’avais choisi ?  

Je ne le pense pas... parce que Ronan est fondamentalement quelqu’un de bien. Mais les meilleures intentions nous conduisent parfois sur les voies ténébreuses de la cruauté.  Il aurait sans doute pu infiltrer n’importe quel ordinateur, s’était clairement montré hostile à mon union avec Will et peut-être avait-il tenté de me faire douter de mon mariage tout frais en se dissimulant derrière les traits flous de celui qui s’était, un jour, présenté comme cet “ami qui me voulait du bien” ?Parmi tous les messages que j’avais reçu, certaines tournures semblaient dessiner son visage en filigrane et même si je refusais d’y accorder plus d’importance qu’une légère impression, certains soirs ma petite voix intérieure l’accusait avec véhémence. Cet après-midi-là, il est le premier à me dire qu’il arrive au plus vite. Il y a aussi Nolwenn, ma copine de longue date et Erwan, son petit frère nul à l’école mais ultra calé en informatique, Aurélie, ma collègue de bureau et Ziad, son petit ami geek. En lui je n’ai aucune confiance et si je le fais venir aujourd’hui c’est en espérant secrètement qu’il ne se trahisse. Je sais qu’il ne m’aime pas malgré ses sourires de façade ; je le vois dans ses yeux, je l’entends à la froideur butée de ses silences.  

A une époque, Aurélie et moi avons été très proches, sans doute un peu trop aux yeux de son compagnon, très jaloux, voire carrément possessif.  Et puis quelques temps avant que ne commence mon pugilat virtuel, j’avais vu cette amie se rapprocher dangereusement d’un de nos collègues masculins. L’attirance entre eux était visible, palpable, ça me faisait sourire un peu. Je croyais alors, que l’histoire en resterait là, qu’elle avait juste envie de se rassurer sur son pouvoir de séduction, comme ça nous arrive à toutes, parfois. Elle avait rencontré Ziad au lycée, vivait avec lui depuis des années, lui avait fait une petite fille et je me disais alors qu’elle ressentait peut-être le besoin d’être courtisée, pour se sentir femme, sans être seulement maman, sans être épouse ; juste elle, comme une bouffée d’air sans conséquences, des bulles de champagne qui enivrent un peu. Je n’avais pas compris qu’elle se laisserait charmer au point d’aller plus loin. Jusqu’au jour, où elle n’est pas venue au travail. Son soupirant du moment, Antoine, était absent aussi, leurs téléphones éteints renvoyaient les appels sur messagerie. J’ai su plus tard qu’ils avaient passé la journée ensemble, à jouer les amants maudits lors d’une journée buissonnière. Trois jours après cette escapade, ce Roméo de pacotille avait démissionné sans explications. Aurélie semblait malheureuse, comme rongée de l’’intérieur, visiblement en prise avec un conflit de loyauté entre Ziad et cette comète qui avait, négligemment, fait exploser toutes ses certitudes. J’ignore précisément ce qu’il s’est passé dans l’intimité de son appartement et je ne tiens pas vraiment à le savoir mais elle me confia rapidement qu’elle avait avoué, à Ziad, son infidélité. En la regardant me parler, je sentais qu’elle était en train de me mentir, son regard était fuyant, elle regardait avec obstination ses chaussures comme si elle s’attendait à ce qu’elles lui soufflent ses répliques, je percevais son malaise alors que rien dans ce que je disais ne pouvait lui laisser entendre que je la jugeais de quoi que ce soit.  

—  Aurélie, je vois bien que tu me caches un truc là ! Faut que tu me dises...qu’est-ce qu’il y a ? Il t’a frappée ? Il t’a fait du mal ? 

—  Non... c’est pas ça Juliette... 

—  Ben dis-moi, alors, bordel Tu me fais peur ? Tu es amoureuse de l’autre c’est ça ?  

— Non !! C'est Ziad que j’aime... 

—  Ben quoi, alors ? Il t’a quitté ? 

—  Non, mais...je ne sais pas comment te dire ça... 

—  Ben dis comme ça te vient ! 

—  Je lui ai dit que c’est ta faute... 

A cet instant, j’ai cru tomber à la renverse, ainsi c’était de MA FAUTE si elle n’était pas capable de garder sa petite culotte !  

—  Non mais tu te fous de moi c’est ça ??? 

— Non mais j’ai eu peur de le perdre, tu comprends ? Alors j’ai dit que, de te voir dans cette situation avec Will m’avait fait douter, que toi tu ne te poses pas de questions, tu suis tes envies et que j’ai eu envie, un moment, de faire pareil... 

Ainsi c’est comme cela qu’elle me voyait : une fille qui n’en fait qu’à sa tête, qui consomme les hommes comme des bonbons et incite ses copines à l’infidélité, quelle belle image !  

La nausée m’était montée à la gorge et, à cet instant, l'amitié profonde que j’éprouvai pour elle s'éclatait au sol en milles éclats. J’ai bien tenté de faire comme si je ne me sentais pas insultée, comme si je ne venais pas de me rendre compte de l’intolérable lâcheté de celle qui se prétendait mon amie, la déception traçait un chemin acide entre nous, jusqu’à un autre incident.  

Il y a environ un mois, alors que Johana était en week-end chez sa mère à St Malo, que j’étais en pleine tempête avec Will et que les cris pleuvaient, j’avais appelé Aurélie à la rescousse. J’avais besoin de partir, de m’offrir une respiration, n’importe où ailleurs... Elle me proposa de venir passer la nuit chez elle, en m’assurant que Ziad était d’accord, que tout était apaisé, que l’orage avait filé au loin. Malgré ma réticence à le voir, je devais impérativement me mettre en sécurité avec Fleur, l’espace de quelques heures, le temps que mon mari se calme, alors j’ai accepté. Lorsqu’elle est venue me chercher, je me suis sentie soulagée de mettre de la distance géographie entre Will et nous. Nous avons passé un moment au parc avec nos filles, Laly et Fleur, avons diné, pris un verre de vin, discuté longtemps. Ma petite Fleur s’était endormie, exténuée, sur le canapé qui avait été déplié pour nous. Epuisée par la journée, je m’étais ensuite allongée près d’elle, en regardant les étoiles, par la fenêtre entrebâillée. Même si j'étais hors de danger pour le moment, une partie de moi n’arrivait pas à se détendre totalement. Comme chaque nuit, je passai en revue toutes les étapes à venir, l’avocat, le déménagement, le divorce, la reconstruction. En pensées, j’analysais les messages, les mails anonymes, étonnamment absents ce soir-là. Alors que d’ordinaire, j’en recevais au moins deux ou trois par jour, mon portable restait étrangement silencieux depuis le matin. Se pouvait-il que “l’ombre inconnue” se soit lassée ? Qu'elle ait décidé d’arrêter son manège ? Avait-elle eu ce qu'elle cherchait ou simplement trouver une autre proie ?  Pas de messages, non plus, de Will qui devait cuver sa colère et ses tristes bières, avachi sur le canapé... Je ne m’étais pas sentie sombrer dans un sommeil aussi léger qu’agité, jusqu’à ce que j’entende une sorte de grattement, un bruit de petite souris ou de chat qui me sortit instantanément de ma torpeur aussi sûrement qu’une décharge électrique. J’entrouvrais alors les yeux pour observer discrètement et réagir en conséquence, mais découvris Aurélie à genoux en train de fouiller dans mes affaires étalées sur la table basse, l’écran de mon téléphone allumé dans l’obscurité. 

—   Tu cherches quoi, là ? 

Elle a eu un sursaut, prise par surprise, car elle me pensait plongée dans le sommeil. 

—  Je cherchais mes cigarettes, a-t-elle murmuré. 

— Et tu avais besoin de fouiller dans MON téléphone pour ça ? 

— NON ! Je l’ai juste allumé pour mieux voir dans l’obscurité ! 

Je ne pouvais pas croire à une telle excuse. J’ai tenté, en vain, de percer les ombres de la pièce pour capter son regard et comprendre ses véritables intentions. Finalement, avec une pointe de scepticisme, j’ai concédé : 

—  Très bien, alors… bonne nuit. 

— Bonne nuit, ma chérie ! 

Une fois le silence revenu et la porte de sa chambre fermée, j’ai pris mon téléphone pour vérifier l’historique des activités. J’avais récemment changé mon mot de passe, mais il était possible qu’elle l’ait mémorisé à mon insu, guettant l’occasion de l’utiliser. Rien ne semblait avoir été modifié ou consulté, aucune trace de Will ou de l’ombre inconnue, juste un message de Ronan qui s’inquiétait pour moi, s’excusant de ne pas avoir répondu à mon appel plus tôt, évoquant des complications avec sa compagne actuelle. Ses mots résonnaient avec une certaine mélancolie, soulignant l’impossibilité d’un “nous”. J’avais tenté de le contacter avant de me résoudre à appeler Aurélie. Ce jour-là, plus que jamais, j’aurais souhaité entendre sa voix. J’avais besoin de sentir la présence rassurante de quelqu’un, de me blottir contre une épaule solide et d’entendre des mots apaisants. Peut-être aurais-je pu croire en un avenir différent, peut-être même aurais-je pu m’ouvrir à l’amour… Mais il n’avait pas répondu, et ma voix s’était perdue dans le silence de l’absence. 

Le matin suivant, Ziad et Aurélie affichaient une attitude défensive, comme s’ils étaient pressés de me voir quitter les lieux. Je ne pouvais m’empêcher de repenser à l’incident nocturne. Que cherchait-elle réellement ? Tentait-elle d’introduire quelque chose dans mon téléphone ? L’épuisement me gagnait, lassée par cette méfiance constante, fatiguée de suspecter même ceux que je considérais comme des amis. Dès que Fleur eut terminé son petit déjeuner, je m’étais éclipsée, une nausée sourde me nouant la gorge, l’esprit assailli de questions sans réponses et de pistes encore inexplorées. Le sentiment d’avoir ouvert une boîte de Pandore pesait lourdement sur moi, transformant ceux que j’avais tant aimés en potentiels bourreaux. L’image d’Aurélie, prise en flagrant délit de fouille, obsédait mes pensées. Et si son invitation n’était qu’un piège pour accéder à mon téléphone ? Pour y trouver une arme à utiliser contre moi, un message compromettant, quelque chose de répréhensible ? 

Ma conscience me criait de rester sur mes gardes, de feindre l’insouciance tout en restant alerte. Aurélie seule ne pouvait orchestrer une telle machination, mais Ziad ? Expert en informatique, il avait déjà résolu un problème technique pour moi par le passé. Il me tenait pour responsable de l’infidélité d’Aurélie. Aurait-il pu profiter d’une occasion pour installer un virus sur mon ordinateur ? Était-il en train de me surveiller, tapi dans l’ombre, attendant le moment propice pour frapper ? Je regrettais d’avoir ignoré mes premières impressions concernant Aurélie. Ce soir, en les invitant tous les deux, ainsi que d’autres, à examiner mon ordinateur, je cherchais surtout à observer leurs réactions, à détecter un éventuel signe de complicité ou de triomphe qui pourrait confirmer mes soupçons. J’attendais une erreur, un indice de manipulation. C’était comme si je pouvais presque sentir le masque de cire fondre sous mes doigts, révélant le visage de mon ou de mes ennemis, quand soudain, l’interphone de mon appartement retentit, me faisant sursauter de surprise. 

 

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