[Pow-Wok] #8 feuilleton d'Heroic Fantasy
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[Pow-Wok] #8 feuilleton d'Heroic Fantasy
Je suis né dans la fange du dépotoir où convergent tous les canaux qui traversent la ville, jusqu’au marais. Ici, les cadavres des victimes qu’on veut oublier côtoient les fonds de poubelles et les relents de casserole. Un dieu noir est venu roder près d’ici. Il m’a trouvé, s’est penché sur moi. J’ai reçu son baiser de pouvoir, qui m’a ramené à la vie, ou devrais-je plutôt dire : à l’envie. Mon âme reposait sur mes ossements comme un vieux vêtement. Il m’a relevé. Je marche parmi vous, les vivants, sur ce plan d’existence. Près de vos maisons, de vos remparts et de votre Tour tue-magie. Votre cité, j’en ai bu tous les rebuts, j’ai batifolé avec vos excréments, toutes vos salissures, tous vos abandons. Votre cité, banlieue de mon nouveau foyer : les enfers ! Autrefois nous sommes tombés là, avec deux de mes compagnons d’armes, dans cette marre, durant la première guerre de conquête. Une vie courte, faite de rage, de déprédation et de désespoir. Une flammèche dans la longue liste de mes vies antérieures. Le dieu noir a du bien renifler mon patrimoine karmique. J’ai tout pour moi. Mon âme est souillée à point. Je suis un méritant. Ces deux derniers millénaires, mes incarnations ont causé l’ignorance et la souffrance de milliers d’individus. J’ai freiné à souhait la roue de leur évolution. Aujourd’hui je comprends. Désormais je n’aurai plus à m’incarner pour causer le désordre. Mon vice est éternel. Aujourd’hui je déploie mes ailes de cuir noir, mes mains se referment et deviennent des griffes, mon cœur se resserre sur mes dernières illusions. Ma peau transpire et mon poil se hérisse à l’idée de cette renaissance. J’exulte de cette condamnation ! Mes cuisses velues s’écartent pour faire mes premiers pas. Des rats ont fui quand ils ont vu mes cornes, ma sanglante ramure émerger du nuage de brume qui s’émancipe à la chaleur du soir. L’odeur entêtante de soufre et de bête morte que je dégage fait s’écarter même les insectes. Je suis la mort qui bouge. Je suis le feu de la vengeance qui vole et qui marche. Je suis le mal prêt à servir à tout. Je suis invisible.
Seuls les vrais prêtres ou ceux qui sont tellement familiers de la magie qu’ils la voient, ont la capacité de m’apercevoir. D’ailleurs voici une jeune âme qui me dévisage. Dommage. Je ne peux l’approcher. Les chamanes ont formé une sphère d’énergie pure en consacrant le lieu de leur rassemblement. Cette chaîne de lumière attire les créatures de l’au-delà, ici, comme des lucioles. Nous sommes des dizaines à les observer depuis l’extérieur du cercle : des âmes en peine ou en transition, des dormeurs, des êtres du Petit Peuple, des anges gardiens, des démons. Une lutine ailée s’est un peu trop approché de moi. Presque machinalement, je l’attrape et la dévore. Pendant que ma langue rabat ses ailes entre mes crocs, je pense à mes nouvelles capacités et à l’appétit que suscitent en moi des proies plus grosses. Pour l’instant seules les âmes des aînés des tribus présentes franchissent le seuil et viennent se placer aux côtés des chamanes de leur lignée. Les plus inspirés des cérémonieux voient leur clarté blafarde et les saluent avec déférence. Le son des tambours et les chants de communion renforcent la paroi de la sphère. Bientôt seuls des êtres majeurs pourront entrer dans le cercle.
- Toutes les délégations sont arrivées pour le Pow-Wok. Il est temps d’activer les totems.
Chacune plante un poteau dans la tourbe, en périphérie du feu. Dolto, en maîtresse de cérémonie, invite les chefs à s’avancer à tour de rôle pour présenter leur tradition.
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Celui-ci est surmonté des attributs du culte de la tribu. Vient le tour de Gramush Nab Odib qui s'attarde peu en protocole :
- Mon totem a la figure de la Vouivre. Parfois on le nomme la Tarasque. Mon clan chamanique cultive le pouvoir des serpents, des saures et des dragons. Nous sommes les soigneurs de notre peuple mais aussi les vengeurs. Nous acceptons des apprentis de toutes les races car nos sages ont décrété que la sagesse contenue dans nos totems doit être partagée par tous. Mon cœur est triste, car en venant ici je pensais trouver de nombreux clans et une forte voix portée au culte des ancêtres. Je constate que notre cercle se restreint. Chez nous à l’Ouest, la lumière décroît également, mais pour des raisons différentes. Les humains de l’Empire ont entraîné les elfes dans une guerre d’anéantissement contre le Royaume de Gutrak. Nous devons aider notre Roi à sauver son peuple. Ici, vos clans se cachent. Les tribus se tournent vers les villes des humains, se laissent gagner par leurs mœurs dissolus et leur cœur de pierre. Mais comme chez nous, le gibier se raréfie, la magie s’échappe, le Peuple féerique a commencé son exode. Je n’aime pas exclure, mais quand la gangrène s’installe, il est nécessaire de trancher le membre. Si je n’avais qu’un seul message à vous adresser, le voici : les Druides, même s’ils se revendiquent de notre tradition, sont nos ennemis ! Les blancs autant que les noirs. Les blancs qui sont entrés en résistance contre le Sombre Royaume, les noirs qui cultivent le rameau calciné dans la Fellagarrigue. Tous dévoient le Peuple féerique à leurs propres fins, alors que nous, nous nous contentons de le vénérer. Les uns ne veulent former qu’un seul clan et entraînent chacun à la guerre. Les autres veulent faire fléchir le rameau, au service d’un seul maître. Est-ce qu’ils honorent nos traditions ? Non, ils les foulent aux pieds. Ils entraînent dans leur démence jusqu’aux animaux sauvages et le Petit Peuple. J’ai dit.
Elle remet le bâton de parole à son voisin et revient en arrière près de son esclave, enchaînée à son grand sac de voyage.
- Avant de vous apporter les nouvelles du Clan des Montagnes de l’Est, je tiens à faire couler mon eau dans la rivière des dires des sacrées vieilles et vénérables Gramush et Dolto. Nous sommes occupés de donner raison à une génération de fils élevés par des mères. Ils n'ont pas été à la chasse avec leurs pères. Vous savez comme moi qu’un bersek qui devient père perd définitivement son pouvoir de rage rituelle. Ce sont tous les peuples barbares qui deviennent ainsi comme des enfants face aux humains des cités. Et nous qui vivons perchés entre l’ancienne colonie de l’Empire et le Sombre-Royaume nous contemplons cela des deux côtés de la montagne. Nos villages…
La nîs flèche du regard Gramush qui se gargarise des paroles de soutien qu’elle vient d’entendre en gonflant la poitrine, les babines relevées.
- Elle m’a posée là avec ses affaires. Je ne suis guère plus qu’un objet qu’elle trimbale avec son barda. Un ustensile de plus dédié à sa profession. Je deviens folle. Je crois qu’avec toutes ces épreuves et désormais loin de mes sœurs, mon esprit vacille. L’autre orque les a probablement vendues ou il a pris la route de l’Est pour les amener au Sombre-Royaume ? Je vois ce démon qui me regarde. Son apparence est grotesque mais la lueur dans ses yeux, ce que je ressens qui émane de lui, me glace le sang. J’aimerais fuir, courir, courir jusqu’à épuisement. Rejoindre la forêt. Et pourquoi semble-t-il que je sois seule à le voir ?
Elle s’essuie le front, se ravise.
- Dans ces marais, tout ce que je pourrais atteindre, c’est la noyade. Et la morsure de ce démon.
L’Être cornu continu de la dévisager parmi la foule des autres êtres de l’invisible qui s’agglutinent contre les parois de la sphère d’évocation des chamanes.
- Elle m’a vu. Elle en tremble de frayeur. Elle cherche un regard ami, une échappatoire, elle se tasse sur elle-même. Quel délice de te savoir ainsi ma belle. Tu ne sais pas ce qu’est la souffrance et pourtant tu trembles. Tu sais à peine sentir la douleur. J’aimerais te voir gémir… Mais. Mais on m’appelle. Quels sont ces mots qui me hachent, me découpent, me lient et qui enfin me convoquent ? Je me sens partir, mes ailes se déploient et me portent vers Toi qui m’appelle. Tu m’envoies dans ta maison. Drôle de demeure : un chariot en mouvement surmonté d’une main de bois. Tu es près de ton lit. Tu es belle, coupable, triomphante. Et c’est mon nom que tu viens d’attraper dans l’Ether, entre tes doigts délicats. Tu me fais surgir de l’invisible dans un pentacle. Tu es protégée par le cercle des sorciers que tu as tracé avec de la poudre d’argent. Tu as prononcé mon nom dans une langue étrange que pourtant je comprends et je reconnais ce nom. C’est la première fois que je l’entends et je réalise que c’est bien de moi dont il s’agit. Je suis là, docile, prêt à te servir Ma Demoiselle.
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