Le paradoxe de Sardanapale
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Le paradoxe de Sardanapale
Essai philosophique sur le tableau d’Eugène Delacroix "La mort de Sardanapale" (1827)
Je marche rapidement et me protège de la pluie battante et des rafales de vent, l’orage gronde. Mon rendez-vous n’est pas là. Je viens de traverser le Jardin des Tuileries désert, de passer l’Arche du Carrousel et j’avance d’un pas alerte vers la cour Napoléon. Je fais maintenant face à cette magnifique pyramide de verre. L’averse ne me permet pas d’admirer l’œuvre de Pei. Je prends sur ma droite pour me diriger vers l’aile Denon du Louvre, afin de m’y abriter. Après avoir pénétré le bâtiment et ébroué mon pardessus, je grimpe au premier étage sans en connaitre ma destination. Je me dirige vers une première salle, une deuxième pour arriver à la salle 77… Mes yeux s’arrêtent brusquement sur une peinture d’Eugène Delacroix « La mort de Sardanapale ».
Mon regard reste fixé sur cette toile aux tonalités tranchées et à la scène si particulière. Je ne sais ni pourquoi, ni comment je suis arrivé dans cette vaste pièce et qu'elle est cette fascination qui m’a attiré vers ce tableau. Complètement subjugué, je me sens entraîné par le romantisme du peintre face à cet acte d’une violence inouïe. Progressivement je m’évapore, aspiré par la magie picturale de l’œuvre. Je traverse ostensiblement le voile pour me retrouver dans un indicible mouvement derrière ce singulier miroir… Mon miroir ! Je crois devenir le peintre devant son œuvre à l’écoute de son inspiration et des couleurs qui caressent sa pupille. Je viens de pénétrer les terres de Ninive en Assyrie, voyant, à le toucher, cet étrange Roi allongé sur sa méridienne. Je ne connais aucunement son histoire, mais il me semble déjà l’habiter, partager sa curée. Je me trouve sur le sol de son émotion et je vibre des mêmes influences de cette action à la violence éprouvée. Je fais un pas, puis un deuxième, j’avance vers cette représentation humanisée par la main du maître et sa pensée m’impressionne.
« Les révoltés l’assiégèrent dans son palais... Couché sur un lit au sommet d’un immense bûcher, Sardanapale donne l’ordre à ses eunuques d’égorger ses femmes, ses pages, jusqu’à ses chevaux et ses chiens ; aucun des objets qui avaient servi à ses plaisirs ne devait lui survivre. »
La semence de l’instant ne voit pas le temps qui passe ! Je n’ai pas vu le temps passer !
Il est pourtant là, bien présent, ce temps qui s’écoule d’un vaste sablier retourné chaque année, et le sable qui coule en est le bras séculier. Mais cela est-il vrai ? Jamais le temps ne passe car c’est nous qui passons, c’est nous qui faisons un tour de passe-passe qui, comme de raison, requiert que tout au bout, à la fin en soit l’impasse.
Ce jour-là une toile de maître enivra de ses huiles mon irréelle vision. J’avais vécu ce passé pour vivre mon instant, citant le présent au moment de l’écrire dans la mémoire de mon devenir… Mais quel devenir ? De cette évaporation surgit d’un rendez-vous manqué, il ne me restait plus que le souvenir de cette agression artistique sur la courbe du temps. Mon esprit se régénérait progressivement. J’avais l’impression de crever la surface des eaux, ma perception se fixa sur cette œuvre.
Puis un grand brouillard m’enveloppa… Et se dissipa.
Je marchais maintenant sur les chemins creux, au bord des rus aux ondes claires. Les rameaux frémissaient sous le souffle du vent ! Puis vint la pénombre des bois, la clarté des clairières dans lesquelles pour rêver… Je m’arrêtais soudainement. Je contournais les collines, et me promenais sous les longs peupliers. J’étais attentif aux risées qui léchaient les bruyères et qui contaient la pierre jusqu’à la lauze des toits…J’étais loin de mon rendez-vous rue de Rivoli, et pourtant j’étais aux Champs Elysées, tout au bout de la terre des Enfers où la plus douce des morts est offerte aux vertueux. Seul dans ce décor où les arbres sont rois et la pierre est reine. J’aimais les vieux layons, les hautes frondaisons, grisailles, soleils fous, surprises d’arc-en-ciel, aquilons, doux zéphyrs, alternant les saisons, macrocosme de paix, infini essentiel…
Aspiré par le tourbillon du temps, la mutation signifiait ses contours. J’étais arrivé au terme d’un voyage de 140 millions d’années ou peut-être seulement de 9 mois.
Un deuxième voyage se préparait. J’étais isolé dans cet espace par la boucle d’un fleuve impétueux et sauvage lové en cordon l’ombilical. Il venait de ce nouveau relief, rugissant de ses mètres cubes de vie et creusant la colonne vertébrale de mon écosystème. Au moment ou l’homme est né, il signait de ses nécropoles la ronde du temps puis s’organisait au travers de structures de plus en plus complexes pour favoriser les échanges. La Protohistoire avait vu naître ses premiers élus. Ceux qui ont laissés leurs empreintes sur cette terre maternelle et les jours, et les ans, et les siècles ont découlé du cadre d’un boulier pour compter les pages de ce calendrier. Qui d’autres que nous, demeurons dans nos châteaux, sur nos divans comme ce roi sacrifiant ses sujets sur ce bûcher funeste.
J’étais assis sur cette herbe grasse les yeux rivés sur l’eau frissonnante. Une petite brise s’était levée. Je ne m’aperçu même pas que je venais de refermer mon livre de vie, celui qui me fit tant rêver. Plus d’ombres au tableau, Sardanapale venait de renaitre de ses cendres. J’avais entamé ce formidable voyage au centre de la beauté pictural pour me plonger dans le reflet éthérique de ma vie. Maintenant il s’agissait de comprendre et aussi d’avancer. Toutes ces images si différentes m’ont mené à la connaissance. Elles étaient comme ce pinceau peignant mon existence sur ce bûcher où l’on vit du présent… En s’inspirant du passé…
J’étais loin des tempêtes parisiennes, des ossatures de verre et des grands musées, loin de ces espaces tumultueux qui ne sont pas « capitales ». J’ai appris à rêver. Et je m’exprime, aujourd’hui, dans une même interrogation :
Peut-on naitre à ce même instant où la mort fait son apparition ?
Paradoxe de la vie et existence de ce mystérieux jour ou tout a basculé…
Serge Leterrier Auteur