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 CHAPITRE 68 

 CHAPITRE 68 

Publié le 1 mai 2022 Mis à jour le 1 mai 2022 Culture
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 CHAPITRE 68 

La Reine des glaces – négociation âpre – de la difficulté de séduire une reine.

 

Qu’il était bon de voir les fées et les mortels danser ensemble, de les voir se mêler sans que les uns ou les autres n’en souffrent. Le roi Cernunnos contemplait ces célébrations à mes côtés. La Reine l’avait accueilli avec plaisir, Marie-Thérèse était restée subjuguée par la beauté sauvage et impalpable de la créature, mais cette Reine si digne sut ne montrer de cette fascination qu’un léger sourire. Elle l’accompagna jusqu’à moi, le Roi d’Été me félicita pour les festivités et l’admirable beauté de mes jardins, il ne fut point avare en compliments et me remercia d’avoir permis à ses courtisans de se mêler aux miens, à ses danseurs de briller sur la scène.

— J’aimerais que les vôtres se sentent toujours les bienvenus à ma Cour, tout comme vous, roi Cernunnos.

— Nous en sommes heureux, Louis, appelez-moi simplement Cernunnos.

Je le saluais d’un léger mouvement de tête, il répondit par une petite révérence.

— Je crois savoir ce que vous voulez faire, qui vous souhaitez attirer ici, fit-il en se tournant vers moi, n’ayez trop d’espoir. Tant que je serais ici, je doute qu’elle daigne vous rendre visite.

Mais mes espoirs n’allaient se tarir si aisément. Pour l’inviter ici, je me devais d’inviter l’obscurité, aussi avais-je demandé à Lully de composer des airs plus sombres pour ce soir, d’inviter les danseurs à opérer des gestes et pas plus lents et que l’éclairage des jardins soit moindre, qu’on laisse l’obscurité draper le palais, que toutes les festivités prennent une tonalité presque macabre.

Au coucher de soleil, Cernunnos comprenant mon plan me demanda si je souhaitais qu’il reste auprès de moi. Je crois qu’il était inquiet pour ma sécurité, mais je refusais poliment son aide. Nous savions, lui et moi, qu’elle ne viendrait tant qu’il serait là. La lumière devait se retirer pour permettre à l’obscurité de prendre place. Il me remercia une nouvelle fois de l’attention dont j’avais fait preuve, de mon amitié et me confia le moyen de l’appeler à l’aide si cela était nécessaire. Puis il m’étreint avant de disparaître.

Lorsque la nuit s’étira dans un ciel violacé, je sentis la brise glacée de tantôt revenir. Si les corbeaux accompagnaient le roi, ce furent les chiens qui prévinrent l’arrivée de la Reine. Un long hurlement transperça la nuit qui m’arracha un frisson. L’obscurité parut se faire au bord de ce qui devait être le canal, puis elle s’étendit et lorsqu’elle fut assez proche, nous pûmes voir qu’il s’agissait d’élégants et d’élégantes à la peau sombre tous de noir vêtu, somptueux et effrayant à la fois.

Je m’approchais de la Reine Arpia, reconnaissable à son diadème, à sa beauté fatale, et aux loups noirs qu’elle tenait en laisse.

— Madame, je vous souhaite la bienvenue à Versailles.

Elle eut un air boudeur, en contemplant les jardins glacés où les courtisans continuaient de jouer et de s’amuser. Les rires perçants et l’amusement général semblaient l’agacer.

— Vous avez tardé à m’inviter.

— Mieux vaut tard que jamais, ne pensez-vous ? répliquai-je.

— Vous avez déjà négocié avec Cernunnos, comme si ma Cour ne comptait, comme si je ne comptais. Pourquoi désirez-vous ma présence maintenant ?

Je sentais les reproches dans sa voix, mais décidai de les ignorer pour le moment et continuai sur ma lancée.

— Cernunnos est un ancien allié, j’ai simplement renouvelé les accords avec lui. Cela ne diminue en rien mon souhait de contracter une alliance avec vous.

— Qu’est-ce qui vous fait croire que j’accepterai ?

— Je crois que vous voulez être reçue à la cour, je crois que vous brûlez d’obtenir les mêmes respects que Cernunnos, que vous êtes lasse d’être toujours oubliée, reléguée aux ténèbres.

Son regard se fit perçant, me détaillant longuement. Je crois qu’elle voulait savoir de quelle trempe j’étais, et si mes paroles étaient sincères. Je soutins son regard, ce qui parut la surprendre. Elle finit par éclater d’un léger rire qui m’arracha un frisson glacé.

— C’est tout ce que je suis à vos yeux, jalouse de la Cour d’été et de Cernunnos ? Jalouse des accords que vous avez passés avec lui ?

— Non, je crois que la lumière est tout aussi utile que l’obscurité, que la Lune est tout autant admirable que le Soleil, et que l’un sans l’autre n’a autant de valeur. Je crois que mes ancêtres vous ont négligée et que vous en avez pris ombrage, que Vodiano n’est que le reflet de l’amertume que vous ressentez, je me trompe ?

— Continuez.

— Je crois que vous aspirez à la même considération, et qu’en cela je peux vous aider. Je vous propose que nous trouvions ensemble un accord qui satisfasse nos deux cours.

Sa main glacée se posa sur la mienne, ses doigts remontèrent jusqu’à ma poitrine, s'attardèrent sur ma nuque, puis se glissèrent sur mes lèvres.

— Je ne suis pas uniquement la Reine de l’obscurité et de l’hiver, Majesté, je suis également la séduction, l’été a l’amour, j’ai la passion, il a le charme des relations naissantes, j’ai celle des passions dévorantes, et vous Sire, vous brûlez de passion pour cette marquise dont vous craignez la jalousie. Je peux percevoir votre cœur battant pour elle. Je sens aussi les ténèbres en votre Cour, le goût des poisons, des messes noires qu’ont vos sujets. Je sens les aspirations de chacun aux ténèbres. En vérité, votre Cour, Majesté, est déjà sous ma coupe, pourquoi irais-je négocier avec vous et risquer de perdre mon empire sur vos corps si corruptibles ?

Il me fut difficile de masquer ma surprise et mon inquiétude, car elle semblait connaître toutes nos fragilités et pouvoir en user alors que je ne pouvais moi-même y échapper. Un frisson me parcourut à l’idée de ne pouvoir la convaincre, à l’idée qu’elle avait tant d’emprise sur ma Cour, réalisant que ma tactique allait échouer.

— Aussi je vous remercie pour votre offre, mais je me vois contrainte de la refuser.

J’attrapai son poignet alors qu’elle laissait sa main retomber le long de son corps. Nos regards se croisèrent et j’y lus un éclat surnaturel.

— Ce n’est pas terminé.

— Ça l’est, vous avez tenté, Majesté, mais vous n’avez rien que je ne puisse convoiter. Cernunnos ne cédera rien à ma Cour et la place que vous souhaitez m’offrir ne me sied guère. Je profiterais bien mieux de votre Cour sans être attachée à des accords. Vous n’avez encore saisi comment nous fonctionnons, nous les fées de l’hiver.

En ce point elle avait raison, il me faudrait encore quelques années avant de le comprendre, des décennies avant de le réaliser. Alors je la laissai partir, frustré et inquiet. J’avais aspiré à une paix avec toutes les fées et je n’avais pas obtenu celle espérée. Selon Cernunnos, j’avais eu de la chance qu’elles viennent profiter de la fête et ne fassent rien d’inconsidéré. Je n’en fus cependant heureux. L’idée de parvenir à un accord plus complet ne cessa de me questionner, bien des années après. En attendant, les célébrations s’achevaient et je restais sur ma faim, ne sachant si la Reine constituerait une menace ou pas.

Cernunnos me rassura, les fées d’hiver ne pourraient attaquer les mortels, et elles étaient bien trop indépendantes et sournoises pour attaquer aussi frontalement nos accords. Certes, j’avais l’assurance que la Cour d’Été me protégerait de la Cour d’hiver, mais cela suffisait-il à m’apaiser ? Les gobelins semblaient nourrir bien des rancœurs, et qui sait, si les fameux géants des glaces et les ondines, leurs charmantes descendantes que Cernunnos disait neutres ne finiraient pas par me causer du tort ? Je devais simplement m’en remettre aux accords comme l’avait dit Cernunnos et espérer au mieux.

La marquise me rejoignit, une fois la Reine de l’hiver partie. Elle avait une moue boudeuse aux lèvres qui n’était pas sans m’évoquer celle d’Arpia. Je ne pus m’empêcher en la contemplant de songer à ce que venait de me dire cette dernière et ses paroles empoisonnaient mon esprit. La passion ardente que nous ressentions l’un pour l’autre était-elle mauvaise ? Il est vrai que je blessais ma Reine en agissant ainsi, que je fâchais l’Église en refusant de rompre cette relation.

Comme si elle comprenait mon trouble, Athénaïs se contenta de m’enlacer, en réponse, je la serrais tendrement dans mes bras. Autour de nous, les courtisans jouaient, s’amusaient, mangeaient, dansaient dans les appartements illuminés et réchauffés par le feu de cheminée tandis que les fées avaient disparu et le jardin était redevenu solitaire, paré de son drap blanc.

Je glissais ma main dans ses cheveux et cherchais à l’entraîner, doucement, mais sûrement, vers une porte dérobée pour justement nous dérober aux regards curieux.

— Je suis désolée, d’avoir été jalouse tout à l’heure. Tu voulais te concentrer sur l’accord avec les fées, et… j’ai tout gâché n’est-ce pas ? Elle est repartie, tu n’as pu obtenir d’elle…

Je chassais son air triste en caressant sa joue.

— Ce n’est pas de ta faute, je n’ai pas réussi à lui faire une proposition qui soit suffisante à ses yeux. Et je crois qu’elle n’aurait accepté de toute façon. Il n’est pas possible de remporter toutes les batailles, et parfois, l’on croit que l’on a gagné la guerre, mais l’ennemi tient encore suffisamment debout pour nous causer du tort. Je n’aurais pu la convaincre, tu n’as rien à te reprocher.

Elle sourit, me regardant avec ses grands yeux bleus où dansait parfois un peu de la naïveté qu’elle avait autrefois. Je revis pendant un instant la jolie enfant qu’elle était, celle qui m’avait couru après sur l’étang gelé en me demandant de les attendre, elle et Philippe. J’avais alors répondu que j’étais le roi et que je n’avais besoin de personne, et qu’elle devait me laisser en paix. Elle avait joliment répliqué qu’un roi n’était rien sans ses sujets et ses alliés, et que je devais les attendre. Je l’avais remerciée pour sa sagesse.

Athénaïs avait toujours été sage, mais parfois, je l’oubliais, dans la fougue de nos ébats, je l’oubliais, dans la rage de sa jalousie, et mon appétence pour l’ordre et le calme.

— Je t’aime. Même quand tu es furieuse, en colère, terrible, capricieuse, je t’aime. Tu es la mère de mes enfants, celle qui fait battre mon cœur, même la Reine des fées l’a compris. Tu vois, tu n’as rien à craindre.

Je l’embrassais pour lui prouver mes dires et ses lèvres s’ouvrirent, accueillirent les miennes, s’unirent à mon baiser, le prolongèrent même. Pendant un instant, nous avions mis nos différends de côté, et j’étais tout à elle, nous étions heureux. Mais le bonheur ne dure jamais.

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