CHAPITRE 14
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CHAPITRE 14
Enquête sur un empoisonnement – Crainte d’une vengeance.
Personne dans mon entourage ne fut dupe, mais tous mirent mon état physique et mental sur le compte de la douleur de cette perte. Bontemps me scrutait, vigilant et inquiet comme à son habitude. Colbert me demanda si j’avais besoin de quelque chose, et à son ton, je savais qu’il aurait réalisé n’importe quel miracle pour moi. Lionne ne dit rien, mais il fut durant tout le conseil dans la retenue. Aucun de mes ministres n’alla contre mes volontés et tous reportèrent au maximum ce qui pouvait l’être. Le plus frappant fut à quel point tous évitèrent de prononcer le nom de Guillaume d’Orange. Nous étions tous convaincus qu’il avait un lien avec la mort d’Henriette.
À ce propos, d’Artagnan m’instruisit d’une nouvelle organisation afin que chaque plat soit goûté au moins deux fois, lors de leur départ de cuisine puis lorsqu’ils m’étaient présentés à leur arrivée à ma table. Je lui indiquais que de telles mesures devaient être prises également avec Madame de La Vallière ainsi que Madame de Montespan et bien sûr mes ministres dont je ne saurais me passer. S’en prendre à ma famille c’était m’attaquer, mais s’en prendre à mes ministres c’était attaquer l'État. Je faisais encore la distinction entre le roi et moi dans l’intimité. Bientôt, une telle distinction ne sera plus possible.
Nous fîmes ensuite venir La Reynie afin qu’il nous donne des nouvelles de l’autopsie d’Henriette rendue obligatoire avec le soupçon d’empoissonnement.
— Malheureusement, Votre Majesté, messieurs, il est encore trop tôt pour se prononcer. De la bile noire a été retrouvée dans l’estomac de Madame, mais pour le moment, pas de trace de poison.
Le premier lieutenant général de la police se tourna vers moi, en baissant les yeux par respect avant de les relever.
— Nous allons devoir mener des interrogatoires, Votre Majesté, sur le personnel et les dames de compagnie de Madame.
J’acquiesçais. Même si l’une de mes maîtresses faisait partie de ces dames de compagnie, l’enquête devait être faite et je savais que La Reynie et ses hommes sauraient faire preuve de délicatesse.
— Soyez précis et discret, monsieur, comme vous l’êtes toujours.
Le lieutenant fit une révérence.
À la minute où il partit, Lionne se rengorgea.
— Pas de trace de poison… ils n’ont pas bien cherché.
Comme moi, il soupçonnait des espions de Guillaume d’Orange de s’être mêlés à la Cour afin d’avoir accès à des informations confidentielles ainsi qu’à des personnalités importantes. Le fait d’avoir envoyé Henriette nous avait assuré d’un traité d’alliance avec l’Angleterre qui nuirait beaucoup aux Pays-Bas d’autant que ces derniers étaient supposés s’être allié avec les Anglais. J’avais réussi à infliger un coup terrible à mon ennemi et il semblait presque attendu qu’il y réponde en m’infligeant un tort comparable. Aurait-il été jusqu’à tuer Henriette ? À bien y réfléchir, sa mort, si elle était imputable à un poison, pourrait menacer cette alliance, son royal frère pourrait me reprocher de n’avoir su protéger sa sœur, à juste titre d’ailleurs.
— Peut-être que sa mort est naturelle, suggéra Colbert, véritable voix de la raison au sein de ce conseil. Madame était souffrante ces derniers temps, Ses Majestés lui ont fait remarquer à plusieurs reprises qu’elle ne mangeait pas assez et qu’elle paraissait fort pâle.
À son habitude, Colbert parlait juste. Henriette avait toujours été fragile de santé, et souffrait de son estomac. Elle n’arrêtait pas de s’en plaindre et mangeait peu en conséquence, picorant tel un moineau. Philippe comme moi, nous en étions inquiétés, mais les médecins n’avaient rien vu et mis cela sur le compte de l’épuisement des grossesses. Il faut dire qu’elle en avait eu huit en huit ans, ce qui aurait tué des femmes bien plus résistantes que ne l’était Henriette. Et peut-être que le voyage l’avait achevé. À cette pensée, je me rembrunis.
— Avertissez mon frère qu’une enquête va être menée et des questions posées à son personnel et à celui de son épouse.
Je me tournais vers Bontemps, qui me semblait être le mieux placé pour porter un tel message. Depuis la mort d’Henriette, je n’avais vu mon frère. Je savais qu’il m’en voulait, et plus encore, il était profondément affecté par le trépas de sa femme. La nouvelle de l’enquête pourrait lui apparaître de bon augure, mais l’idée de policiers posant des questions allait l’épuiser.
— Dites-lui également que je souhaite le voir, quand il s’en sentira la force.
Nous ne pouvions rester en froid, je me souciais qu’il demeurât seul trop longtemps. Philippe avait l’âme trop mélancolique pour que je ne sois pas inquiet.
En songeant à mon frère et à sa solitude, je pensais évidemment au Chevalier de Lorraine, favori de mon frère, et manipulateur hors pair. Cet homme ambitieux et dénué de scrupule effrayait Henriette qui m’avait demandé de l’exiler à Rome. Le fait qu’il soit loin de mon frère à cet instant me rassurait, je n’aurais aimé qu’il puisse profiter de son état de faiblesse pour l’influencer plus encore.
Le soulagement fut cependant de courte durée, car il me vint la pensée que le Chevalier était un suspect bien plus intrigant encore que ne l’était Guillaume d’Orange. Ce fut cette fois-ci à Colbert que je m’adressais, je le savais prêt à me rendre service et capable d’agir discrètement et promptement comme il l’avait fait pour les enfants que Louise m’avait donnés et que j’avais dû cacher.
— Colbert, il y a un autre suspect sur lequel il faudrait enquêter. Le Chevalier de Lorraine. Henriette avait peur de cet homme.
Bien sûr que Colbert s’en souvenait, il avait rédigé les papiers et s’était occupé de faciliter l’exil dudit favori.
— Je m’en occupe, Sire.
— Transmettez également cette information à La Reynie. Qu’il sonde parmi le personnel de Madame et de Monsieur ceux qui auraient pu être loyaux au Chevalier ou regretter son exil.
Colbert avait soutenu la candidature de La Reynie, et ils étaient restés assez proches. C’est cette amitié d’ailleurs qui me faisait croire que le premier lieutenant devait être l’homme le plus juste du royaume, après Colbert évidemment.
J’avais toute confiance en ces deux hommes pour faire la lumière sur la mort de ma chère Henriette. J’espère que mon frère me pardonnerait, son cœur ne portait longtemps de la rancœur. S’enfermer à Reuil comme il le faisait ne lui ressemblait pas, la Reine m’avait prévenue qu’il s’était même entouré de ses enfants, lui qui n’avait jamais compris mon attachement aux les miens ! S’inquiéter ne changerait rien toutefois, je devais attendre qu’il se remette.
À présent je devais m’occuper des interrogations soulevées par le spectre qui n’avait quitté mes pensées depuis le lever du soleil. Mais il me fallait y réfléchir et non agir précipitamment comme je l’avais fait après la découverte du corps au Sanctuaire. Bontemps était suffisamment inquiet pour moi, inutile de lui ajouter des raisons supplémentaires de s’en faire.