CHAPITRE 19
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CHAPITRE 19
En compagnie de la Reine – Promenades nocturnes – Terreurs boisées
J’avais rassuré mon confesseur, mais pour autant je n’étais d’humeur à rejoindre la couche de ma maîtresse. Athénaïs me pardonnera, pensais-je en me trompant évidemment.
Ma nouvelle favorite était aussi capricieuse qu’elle était jalouse, mais cela je l’ignorais encore. Nous goutions la jeunesse de nos amours, et comment aurais-je pu deviner que des nuages s’accumuleraient aussi rapidement ? J’imagine que c’est le prix de la passion. Lorsqu’on aime aussi fort, il faut s’attendre à ce que les sentiments vous fassent chavirer tout entier.
Mais à cet instant, j’en ignorais les remous. Tracassé par l’échange avec l’abbé et les révélations de La Reynie, ce fut vers la Reine que j’allais.
Sa chambre était assez semblable à la mienne, j’avais conçu nos appartements dans une parfaite symétrie, chez elle il y avait la chambre d’apparat servant au lever et au coucher, même si son cérémonial était infiniment moins complexe que le mien, il n’en restait pas moins que ma chère épouse dormait assez peu dans ce vaste lit quand je n’étais avec elle. Elle préférait celui de la seconde chambre, plus simple et moins sujette aux courants d’air et aux apparitions spectrales.
C’est dans cette modeste chambre que nous nous trouvions, observant les peintures au plafond, chose impossible dans la chambre d’apparat puisque le lit à baldaquin était recouvert de tentures, surmontées de dorures et de plumes d’autruche, ainsi que d’animaux fantastiques figurant la royauté et la beauté céleste.
— Mon Roi, vous avez l’air soucieux.
Sa main caressa ma joue, s’attarda sur mon front et toucha cette ride du lion qui se creusait au fil des années.
— Vous connaissez mon cœur, ma Reine, je redoute cependant de vous livrer le secret de mes pensées.
À ces mots, elle fronça les sourcils, presque indignée.
— Vous m’avez déjà partagé vos craintes. Dieu vous a placé en mon cœur pour que je vous soutienne et que je vous aide.
Je ne voulais l’accabler de honte et de chagrin à l’idée que l’Église qu’elle chérissait tant soit corrompue. Mais les rumeurs finiraient par courir et ses dames de compagnie lui rapporteraient cela si ce n’est la gazette au moment des arrestations. Mieux valait qu’elle l’apprenne de moi.
— Je viens de parler avec mon confesseur, il semblerait que nous ayons des apostats qui participent à des messes noires.
Ma Reine eut la même réaction que l’abbé et se signa avec indignation et fureur. Comme je la comprenais.
— Que me dites-vous là, mon tendre époux ? Où de telles horreurs ont lieu ?
Mon réflexe fut de prendre ses mains et de les serrer contre les miennes, mon regard répondait déjà à ma place. Toutefois, je lui comptais ce que j’avais appris. Son indignation finit par céder face à sa peur pour moi. Je lui promis la plus grande prudence et la berçais jusqu’à ce que nous nous assoupissions.
Marie-Thérèse au sommeil plus lourd que le mien sombra assez vite dans les bras de Morphée. Je résistais à son appel en songeant combien elle avait raison, bien des dangers m’attendaient. Je ne comptais repousser mon projet, la Cour s’installerait à Versailles dès qu’il y aurait suffisamment d’appartements pour l’accueillir. Naturellement, certains s’y opposaient. Mais allaient-ils jusqu’à pratiquer des messes noires ?
Peut-être n’y avait-il de but si grandiose derrière ces horreurs, peut-être était-ce simplement le sombre reflet de l’humanité, d’un obscurantisme trop enraciné. J’avais cru avoir discipliné avoir discipliné la noblesse, mené mon peuple vers la lumière et l’ordre après le chaos de la Fronde, mais j’avais négligé la tentation des ténèbres.
Je tremblais à l’idée qu’il puisse y avoir des messes noires à Saint Germain ou à Saint Cloud ? Mon frère était seul là-bas. D’affreuses rumeurs courraient au sujet du Chevalier de Lorraine qui aurait fait appel à des empoisonneurs pour se débarrasser d’Henriette, qu’il voyait comme une rivale. La peur noyautait mes pensées et m’empêchaient de trouver le repos.
Cette nuit-là encore, j’eus de la visite. Ne parvenant à m’endormir, je finis par entendre des bruits de petits pas courant sur le parquet. Il s’était écoulé une heure, peut-être plus, et la lumière de la lune projetait des ombres allongées dans la petite chambre aux tentures bleutées. Je repoussais les draps et les couvertures, pour poser mes pieds nus sur les lattes qui craquèrent aussitôt.
Je ne me souviens si j’ai allumé une bougie, il me semblait voir comme en plein jour bien que tout autour de moi était teinté d’un gris bleuté. Les ombres se mouvaient devant moi, comme la créature dont j’entendais les pas sans pouvoir la discerner dans l’obscurité. Était-ce l’une de celles que j’avais vues enfant, était-ce les fées dont parlaient les contes de Perrette ? Une partie de moi voulait les contempler, une autre redoutait de voir mes doutes confirmés.
C’était probablement un rêve, car, sans que je me souvienne d’avoir fait le parcours, je me retrouvais dans les jardins. Les jeux d’eaux auraient dû être coupés à cette heure-là, pourtant, des créatures dansaient dans l’eau et sous l’effet de leur ballet les fontaines s’agitaient. J’assistais à une magie puissante et ancienne dont la beauté fascinante m’avait attiré enfant et manqué de me noyer.
Je ne ressentais pas le froid, en dépit de ma simple chemise de nuit, et n’avais l’impression d’être dans l’obscurité même si les torches laissées au soir étaient éteintes depuis bien longtemps. La lune me suffisait amplement comme éclairage, maîtresse des songes, déesse lointaine.
Bien que ces ondines chantantes étaient d’une beauté époustouflante, je continuais mon chemin, remontait le long du grand bassin qui n’était encore achevé. Dans mes songes, le palais les travaux étaient achevés et la galerie des Glaces s’offrait au regard d’innombrables visiteurs. Je quittais ces compositions florales qu’aimait tant Henriette, pour gagner les sous-bois qui ceinturaient les jardins.
Ma progression me parut naturelle, et même dans la forêt, je ne manquais de lumière. J’étais guidé par une force supérieure, mais ne voulais reconnaître celle qui m’avait déjà emmené jusqu’au sanctuaire. C’était là que mes pas nimbés de songe me menaient. L’être qui me guidait daigna enfin paraître. Ce n'était ni un humain ni une créature féérique, c’était un cerf aux bois impressionnants. Même lorsque je reconnus les ruines écrêtant la nuit, je continuais jusqu’à me retrouver pour la troisième fois devant cet endroit à la fois maudit et sacré.
Là, dans la pâle obscurité, je distinguais des silhouettes affairées que ma présence ne parut troubler. Je voyais leurs gestes sanguinaires et meurtriers, un nourrisson aux cris à vous briser le cœur était sacrifié sous mes yeux. J’imaginais que ce fût ma petite Louise, ma dernière-née, et je ne pus retenir un hurlement.
— Arrêtez ! Je vous en prie, arrêtez ! hurlais-je à l’intention des maudits commettant ce crime.
Je tremblais alors, non de froid, mais d’émotions.
Mais j’eus enfin chassé les larmes de mes yeux embrumés, il n’y avait personne là si ce n’est Bontemps terriblement inquiet. Reprenant conscience, je réalisais que j’avais encore une fois quitté le palais durant mon sommeil, entraînant mon Valet et mes mousquetaires en promenade dans les bois. Bontemps avait posé sur mes épaules ma robe de chambre, je ne sais quand il l’avait fait. Mon cri avait dû l’épouvanter, plus encore l’endroit où je m’étais rendu, car nous étions bel et bien dans le sanctuaire.
— Majesté, je ne vous trouvais plus, madame la Reine ne vous a entendu vous réveiller. Fort heureusement vos mousquetaires vous avaient suivi, je vous ai retrouvé… vous étiez en train de hurler comme si quelqu’un vous assassinait.
Pouvais-je lui dire que quelqu’un était mort, non pas moi, mais un nourrisson ? Non, bien sûr que non, cette promenade dans les bois l’alertait déjà suffisamment.
— Vous m’avez retrouvé, Bontemps, je vous en remercie.
Mon valet était éprouvé, et je lisais le trouble dans le regard de mes gardes. Mes médecins préconisaient de ne pas m’empêcher d’aller quand je marchais en dormant, de ne pas m’éveiller sauf si je paraissais particulièrement agité ou me mettais en danger. Ils avaient donc pour ordre de me suivre sans agir, seul Bontemps prenait la décision de m’arrêter ou pas. Mais pour cela ils avaient dû traverser les jardins jusqu’ici et sans cheval… cela expliquait pourquoi j’avais mal aux pieds.
— Qu’avez-vous vu, Sire ? me demanda-t-il alors que nous prenions le chemin vers mes appartements.
— Vous ne voulez l’entendre, Bontemps.
Mon valet m’arrêta. Peu de personnes avaient une quelconque autorité sur moi depuis que ma mère n’était plus.
— Je me dois de l’entendre sire, vous êtes manifestement troublé. Ce que nous a révélé monsieur de La Reynie m’inquiète fort. Je voudrais que la garde soit doublée, mais…
Qu’hésitait-il à me dire ? J’aurais pu tout entendre, y compris ses doutes et ses craintes. Bontemps se mordit la lèvre, ses mains se serraient l’une contre l’autre, mais il finit par céder à mes prières.
— Je suis désolé de vous avoir dit d’oublier, Sire. Je ne pensais pas…
— Vous avez fait au mieux. Moi aussi je me serais cru fou à votre place. Vous n’êtes coupable d’aucun manquement en ce qui me concerne.
À son expression, je devinais que mes paroles ne suffiraient, qu’il continuerait à ressentir du remord de n’avoir été assez vigilant.
— Vous avez raison, nous devrions doubler la garde. Nous allons devoir être prudents, Bontemps, l’ennemi dont nous parlons a atteint la Cour et placé en son pouvoir des membres de l’Église.
Je lui révélais ce que m’avait confié l’Abbé ce qui terrifia mon Valet. J’avais pleinement conscience de l’étendue de l’empire du danger nous menaçant. J’ignorais si nous avions suffisamment de forces pour l’affronter, mais nous n’avions le choix.