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Notre monde est devenu un jeu de rôle.
L'expression de notre être est devenu fil d'actualité. La vie ne semble plus exister qu'au travers d'un post éphémère. Notre vie est devenue expèrience documentée par GPS, photos et vidéos. On récolte des Like pour toute action de communication qui relève de la mise en scène et du faux-nez. On compatit, on félicite, on soutient, on est d'accord ou pas, d'un simple geste électronique qui ramène à la grâce ou à la mise à mort d'un empereur romain.
Le souci est que cette action devient au fil du temps la seule interaction sociale qui nous relie au monde extèrieur, encore plus depuis l'expèrience du confinement. Le souci est que l'action est standardisée ou réprimée à quelques centaines de caractères. Le surmoi numérique est encore plus restreint et caricatural que sa version freudienne. Il est partiel sous sa forme consciente, exprimée. Mais on occulte sa partie cachée. Les recherches honteuses, le browse à caractère sexuel (et pas seulement sur les sites spécialisés). Le plus inavouable se retrouve exposé et partagé derrière l'avatar. Une étrange extension de soi, identité officielle mal maîtrisée, le plus souvent officieuse et anonyme.
Le danger de l'avatar est cette projection intime sur les réseaux. Dans sa forme anonyme, elle devient sans filtre et crache du venin sans limite. Chacun se permet d'exprimer sa plus profonde opinion nauséabonde, débarrassé des oripeaux d'une identité qui vaut responsabilité. C'est d'ailleurs toute sa raison d'être à l'Avatar. Dans les jeux vidéo, cet avatar tient bien le rôle d'excroissance décomplexée de notre surmoi. Mais tant que l'influence se limitait aux mondes virtuels déconnectés, sur votre console, sur votre ordinateur, qui avait cure de votre comportement infâme voir déviant devant les possibilités d'interactions offertes ? En outre, dans le cadre du jeu, ce pouvoir et cette liberté sont limités au contexte. Vos actions dans un GTA sont sans conséquences, fussent-elles moralement répréhensibles. On est dans le jeu catharthique, le défouloir de nos envies les plus sombres, une saine exhibition de la bête en chacun de nous dans la cage concue par les artistes.
Dans la catégorie des jeux vidéos, le sous-genre du Jeu de Rôle Multijoueur Massivement En Ligne (ou MMORPG) a créé une disruption par la connectivité de son concept connecté, alors que les bases de la sélection d'avatar et de sa personnalisation avaient été posées bien avant. Dans ces jeux, je peux personnaliser précisémment ma forme, avec souvent une liberté graphique et de caractéristiques importante, gérées comme des points à distribuer dans différentes catégories d'aptitudes ou de comportement. On reste dans un jeu, avec son contexte, ses règles et ses objectifs. Mais on y ajoute l'interaction des joueurs. Il n'est pas rare qu'un monde nouveau dans ce domaine nécessite des phases de rééquilibrages et des règles de banissement pour lutter devant l'anarchie qui, rapidement, s'installe. On a pu également voir l'auto-organisation en guildes qui reproduit avec plus ou moins de bienveillance l'organisation pyramidale permettant la protection de chacun et matérialisant ainsi une forme de pouvoir. C'est forcément jouissif pour les protagonistes d'avoir l'occasion de réaliser l'accession à un pouvoir dont la très grande majorité d'entre nous sommes dépourvus dans la réalité.
Ce détachement du réel est ce que nous venons tous chercher dans l'Art. Mais avant l'avènement du 9eme Art, devenu dorénavant industrie plus forte que celle du 7eme, il n'était pas question d'être acteur dans la création d'autres. En tant que spectateur de l'œuvre, je me confronte à la vision de l'artiste, j'y adhère ou je la rejette, mais ne suis que dans ce rôle passif. Dans le monde virtuel, je suis actif. Je suis libre au sein des règles du jeu, de plus en plus ouvertes. Je suis artiste et spectateur. Les autres sont aussi bien des concurrents que des potentiels victimes de ma puissance projetée. Et la prime est à ceux qui vont investir le plus dans le jeu, les obsessionnels qui vont s'enfermer de plus en plus dans cette expression jouissive d'être quelqu'un au milieu de nulle part. Les progrès graphiques permettent une mise en scène de la réalité fut-elle stylisée et le temps consacré dans les mondes virtuels augmente. Il y a donc danger dans l'equilibre entre le temps vécu et le temps joué, comme dans la superposition de sa réalité avec celle de son avatar.
Encore plus pernicieux est ce brouillard de guerre qui rend la frontière entre nos activités virtuelles et leur expression projetées dans le réel. Il n'est pas suffisamment intégré que nos prises de position sont politiques dans le sens d'exprimé au sein de la cité. Cette dernière n'a plus de mur érigé entre le forum et l'extérieur. Votre opinion est confrontée, diffusée à l'échelle mondiale. Même si des bulles peuvent encore exister et constituer des communautés dans lesquelles la parole est libre et nuancée, ces bulles sont bien transparentes. Il n'y a donc pas vraiment d'espace où l'expression peut sereinement se perdre, s'outrancer ou dévier afin que la communauté se régule et puisse en retirer une expression politique commune. Nous sommes de plus en plus avatars individualistes, prêts à assumer des différences immédiatement jugées, contredites et condamnées. Il n'y a plus d'arguments, mêmes les plus consensuels, qui ne soit torpillés par des professionnels du troll. Et le débat intellectuel n'en est pas uns, plutôt une addition de paroles seules, décousues, argumentées, quand elles le sont, par des sources anarchiques.
L'avatar est en fait le moteur de cette situation, parce qu'il est trop dissocié, dissociable de nos moi. Parce qu'il est trop sollicité et par cette fréquence devient Soi parallèle, presque schizophrènique, l'extension impatiente, frustrée, obligée de s'exprimer constamment et épidermiquement à ce monde plus complexe et plus violent. Des initiatives comme Panodyssey sont nécessaires pour en terminer déjà avec la création d'avatars déviants parce qu'anonymes, parce que libres d'être autre chose que nous-mêmes. Explorer les recoins de Soi à travers l'Art et les jeux n'est pas une mauvaise chose, ce qu'il l'est, c'est de vivre dans le jeu de la réalité comme si elle n'était plus qu'une extension du virtuel.
credit photo : https://unsplash.com/@heyerlein