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Hélène et Pâris, ou la véritable tragédie de la condition humaine

Hélène et Pâris, ou la véritable tragédie de la condition humaine

Publié le 11 nov. 2024 Mis à jour le 11 nov. 2024 Culture
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Hélène et Pâris, ou la véritable tragédie de la condition humaine

Ceci est un commentaire étendu sur une publication de Juliette Norel sur le mythe d'Hélène et de Pâris, que je vous invite tous à lire en premier 🙂

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L'"enlèvement" de "la belle" Hélène par Pâris, cité par Homère comme cause de la guerre de Troie dans "L'Iliade"... Encore un mythe à déconstruire ?

Certainement en tout cas un mythe face auquel il convient de prendre une distance critique, comme Juliette Norel y invite.

Il faut se replacer dans le contexte d'une époque et d'une classe sociale, celle des dirigeants.

Les mariages y étaient rarement des histoires d'amour mais bien plus souvent la concrétisation d'alliances politiques et/ou territoriales (un mariage entre familles dirigeantes de deux territoires voisins devenant parfois prétexte à leur fusion en un seul) ou alors de traités de paix

C'est tout sauf un hasard si les familles régnantes d'Europe avaient fini par se retrouver toutes plus ou moins cousines et apparentées : on espérait que voir tout ce beau monde lié par le sang pourrait éviter les guerres, car qui aurait envie d'entrer en guerre contre sa propre famille

Ce raisonnement pouvait valoir à une époque où les princes eux-mêmes n'étaient pas, comme les dirigeants d'aujourd'hui, bien à l'abri dans leurs bunkers mais au contraire bien présents physiquement sur le champ de bataille : de Cyrus le Conquérant en Perse à Richard III Plantagenêt en Angleterre, tous étaient connus pour leur bravoure et leurs prouesses guerrières, et en 1831, Léopold Ier, tout nouveau roi de Belgique, a combattu en personne à cheval dans les rues de Bruxelles aux côtés de ses troupes contre les soldats néerlandais qui voulaient reprendre ce qui était encore un an auparavant une partie des Pays-Bas. En 1914 encore, son petit-fils Albert Ier était lui aussi connu, en raison de sa présence sur le champ de bataille, comme le "Roi Chevalier"... Pas grand-chose à voir avec nos dirigeants modernes (j'aurais bien voulu voir Bush fils pilote en Afghanistan, par exemple, même en s'imaginant en train de jouer à un jeu vidéo - et idem pour Obama...) Enfin passons. 

Or être tous cousins plus ou moins proches les uns des autres ne les a pas empêchés de se faire la guerre tout au long de l'Histoire, signant le caractère illusoire de l'inviolabilité des liens du sang. Certains avanceront même qu'au contraire, les rivalités n'en étaient qu'encore plus exacerbées... 

Mais toujours est-il que mettre de côté ses sentiments personnels pour considérer le bien de sa famille et de son pays semblait bien faire partie des obligations liées à la condition de prince et de princesse

Certes, les bourgeois n'étaient pas meilleurs sur ce plan avec leurs alliances d'argent ; et même dans le peuple, combien de fois n'a-t-on pas vu deux familles amies vouloir marier ensemble leurs enfants respectifs si elles avaient la chance d'en avoir de sexes opposés ? et combien de fois n'a-t-on pas marié les filles pour les "caser" ? (et les garçons aussi pour les "assagir" ?) Surtout dans des contextes socioculturels où se fréquenter librement entre filles et garçons était tabou (et l'est encore toujours ailleurs) ?

N'oublions pas non plus qu'en parlant des femmes et des jeunes filles, "enlèvement" n'est souvent qu'un mot pudique pour dire "viol" - c'est encore le cas aujourd'hui en Inde ou au Pakistan par exemple... et dans tous les pays aux traditions encore pudiques où tout ce qui a trait au sexe ne peut pas être désigné explicitement comme tel (un viol y est qualifié soit d'"enlèvement", soit d'"agression"). 

Hélène, mariée à Ménélas non pas par amour mais en raison d'une alliance politique entre familles dirigeantes pour concrétiser un traité de paix entre deux nations, a été soi-disant "séduite" puis "enlevée" par Pâris. A-t-elle été "séduite", ou bien violée ? "Enlevée", ou  bien kidnappée ? Et retenue prisonnière comme otage ou à titre de trophée ? Quelle était la part de ses propres choix, de ses propres sentiments, de son propre libre-arbitre et de ses propres actions dans toute cette histoire ? 

Certes, paraît-il, elle "faisait part de profonds regrets". Mais n'oublions pas que quel que soit le sexe et l'âge de la victime, ou le type d'agression, la victime se sent toujours coupable d'être une victime et que la société lui reproche toujours d'avoir commencé par manquer d'attention et de prudence, de s'être inutilement exposée en quittant le cadre où elle aurait été protégée, et d'avoir ainsi minimisé le danger, ou au minimum de ne pas avoir su l'anticiper ? voire de l'avoir carrément "bien cherché" ? Hélène n'est-elle pas tombée dans son contexte sous ce type d'accusations et de reproches, intérieurs comme extérieurs ? 

Ajoutons à cela toute l'idéologie de l'honneur. Mari trompé ou mari incapable d'avoir assuré la sécurité de sa femme, Ménélas ne pouvait pas laisser passer l'"enlèvement" d'Hélène - quelle qu'en ait été la nature. Même si cela ne concernait à proprement parler que les familles dirigeantes en elles-mêmes - à l'époque surtout, tout ce qui concernait les familles dirigeantes concernait également leurs peuples en vertu d'un contrat plus ou moins tacite de solidarité. 

Et voilà comment les peuples "concernés" pas vraiment si concernés que ça se retrouvaient finalement entraînés dans une guerre décrite par Homère comme particulièrement longue, destructrice et meurtrière. 

Une guerre dont Hélène se sentait inévitablement coupable du fait de n'avoir pas su empêcher sa propre victimisation, devenant ainsi de fait le prétexte à cette horrible guerre...

Et le "pardon" de Ménélas, était-ce vraiment du pardon à une épouse infidèle, et peut-être inconsciente des conséquences que ses actes pouvaient avoir à son niveau vu son statut... 

... ou bien était-ce plutôt la reconnaissance de son statut de victime ?...

Évidemment, du point de vue de l'aède, il était plus beau et plus tragique, littérairement parlant, de donner un rôle actif à Hélène en faisant d'elle la séductrice qui a attiré Pâris dans ses filets - et il était aussi plus masculiniste de mettre les hommes en garde contre ce piège que constitue pour eux la beauté des femmes - et il paraissait probablement aussi à Homère plus flatteur pour Hélène de faire d'elle "la belle Hélène", plus ou moins activement séductrice, que de la dégrader en tant que reine en faisant d'elle un simple pion sur un échiquier politique, à l'égal des peuples, aux mains de dirigeants masculins moins préoccupés du bien de leurs populations que de leurs propres ambitions politiques et de questions d'ego. En tant qu'homme, il devait être relativement facile de se dire qu'après tout, si "la belle Hélène" n'avait pas inspiré le désir de Pâris (rappelons-nous du rôle censé être joué par la déesse Aphrodite dans cette affaire), la guerre de Troie n'aurait jamais eu lieu... (mais je suis bien consciente d'être en train de faire ici à ce pauvre Homère un procès d'intention). 

En réalité, si Hélène a réellement été "la belle Hélène", elle a dû maudire sa beauté plus d'une fois au cours des événements...

Du point de vue de l'aède, il était aussi plus beau, plus héroïque et plus grandiose de faire de cette guerre le résultat d'une passion amoureuse plus ou moins manipulée par les dieux que de basses manœuvres que l'on pourrait sans peine qualifier de terroristes (même si les Grecs anciens n'utilisaient pas ce qualificatif à l'époque). 

Justement, à propos : et les dieux dans tout ça ? 

Parce que dans toute histoire antique qui se respecte, les actions des humains leur sont toujours plus ou moins soufflées par les dieux... n'est-ce pas ? Par des dieux qui, à leur tour, manipulent les humains, quels que soit leur rang et leur condition sociale, comme des pions sur un échiquier, en vertus d'intérêts "divins" (en réalité si "humains, trop humains" dans leur nature) qui dépassent de pauvres homo sapiens qui n'en connaissent rien et qui de toute façon n'y comprendraient rien si même ils savaient ?

Certes, les aèdes antiques n'étaient pas nos psychologues d'aujourd'hui, tant s'en faut... 

... mais étaient-ils toujours ignorants et/ou inconscients du fait que les panthéons des religions païennes étaient avant tout des personnifications, soit de forces de la Nature que l'être humain ne comprenait pas et ne maîtrisait pas, soit plus simplement des qualités et des défauts des humains, et aussi de leurs passions ? de passions humaines qu'ils préféraient voir aussi incompréhensibles et aussi inmaîtrisables que les forces de la Nature, ce qui les relevait de toute responsabilité - là où les philosophes, premiers moralistes, tentaient justement de proposer des voies pour les maîtriser ? Après tout, était-ce la faute de Pâris si Aphrodite avait pris possession de son esprit et lui avait enjoint de séduire "la belle Hélène" ? La tragédie de la condition humaine n'était-elle pas à leurs yeux de n'être que de simples pions entre les mains des "dieux" ou, pire encore, du Destin, de la "Moïra" (à laquelles "dieux" et humains étaient également soumis, jusqu'à Zeus le chef des "dieux") ? N'était-ce pas d'être condamné à subir forces de la Nature, passions humaines, calculs de puissants et cours général du monde auxquels on ne pouvait rien, tel un jouet ballotté par des vents contraires, comme un simple objet ?

On peut aussi imaginer une autre interprétation à l'action des "dieux"...

Une année, au festival de Montreux, Patrice Chéreau avait divisé public et critiques par une mise en scène novatrice de "L'Or du Rhin". Entre autres, dans sa mise en scène, les plans divin et humain étaient beaucoup plus proches qu'à l'accoutumée, semblant suggérer que les soi-disant "dieux" n'étaient jamais que de simples puissants d'un autre niveau (politique et/ou économique) et que l'on n'avait jamais affaire en l'occurrence qu'à différents niveaux d'ambition et de jeux de pouvoir... 

Ne pourrait-on pas imaginer une mise en scène analogue de l'histoire de la guerre de Troie ?

Et la véritable tragédie n'est-elle pas le sacrifice d'individus et de groupes entiers à l'orgueil, à la cupidité, et aux jeux de pouvoir et de richesses de quelques-uns ?

 

Crédit image : © The Box, Plymouth - "Hélène enlevée par Pâris", peinture par Giovanni Francesco Romanelli

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Commentaires (2)

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Cedric Simon il y a 1 mois

Cette guerre qui a détruit l'universalité du monde grec, ne pouvait être racontée que sur le fondement héroïque, comme vous le soulignez si justement.
Votre analyse est particulièrement intéressante.

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Jackie H il y a 1 mois

Merci Cédric 🙏🏻

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