CHAPITRE 66
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CHAPITRE 66
Festivités hivernales – une nouvelle stratégie – une ennemie à séduire.
Pour célébrer la victoire et l’établissement du traité avec les fées, je décidais d’organiser des jeux d’hiver à Versailles. Non seulement cela me permettrait de remercier ceux ayant participé à la bataille, mais de surcroît, après les terribles maux ayant frappé la région, il me paraissait nécessaire de démontrer que Versailles restait tout à fait enchanteresse. C’était le premier hiver où je songeais à faire venir la Cour à Versailles. D’ordinaire, les fêtes et les bals avaient lieu l'été, cela n’avait encore jamais été fait en hiver.
Le canal n'était pas encore achevé, d’autres travaux seraient nécessaires avant qu’on puisse pleinement profiter du palais et de ses jardins, mais je souhaitais montrer à mes sujets ce que promettait l’avenir. L’eau des bassins étant gelée, des patins à glace permettraient aux courtisans de glisser dessus, quant aux jardins, couverts de neige, ils offraient là un délicieux décor où des traîneaux à la place des calèches pourraient s’y promener. Mon père avait fait des jeux assez semblables à Paris lorsque la Seine avait gelé durant un grand hiver.
Ces réjouissances s’accompagneraient d’un ballet orchestré par Lully représentant notre bataille que je lui avais conté. Philippe pensait qu’un opéra sur glace serait délicieux, mais Lully refusait toujours qu’on produise des opéras, il avait cela en horreur et je ne voulais l’y contraindre. Aussi, ce serait un ballet glacé dans le bosquet entourant la scène de verdure enneigée.
Sur ma proposition, Lully embaucha des danseurs parmi les fées, il ne connaissait évidemment pas leur nature et fut tout à fait conquis par leur grâce et leur éclat. Philippe se chargea de la décoration et des autres divertissements, lui aussi reçu l’aide des fées, et en un rien de temps, il parut s’entendre parfaitement avec elles. Ce qui en soi n’avait rien de très étonnant : mon frère était quelqu’un d’infiniment plus ouvert d’esprit, cultivé, intelligent et audacieux que bien des penseurs en ma Cour.
Pour la nourriture, nous avions prévu des mets sans viande, car les fées étaient végétariennes. Que des plats raffinés, aériens, légers en somme. Comme les célébrations devaient débuter après le dîner, cela conviendra à tout le monde. Les cuisiniers et artisans pâtissiers firent preuve d’une grande imagination proposant des pâtes de fruits confits, des soufflés de légumes d’hiver, une fontaine de chocolat chaud et des marrons glacés. En outre, nous avions concocté de l’hydromel, breuvage dont raffolaient les fées, ainsi que de l’hypocras, et même de la bière au miel selon une antique recette. Les fées adoraient la saveur sucrée.
Tous ces divertissements devaient s’accompagner lors de la nuit tombée de feux d’artifice, autant que le pourraient la neige et la glace évidemment. Puisque nous ne pourrions bénéficier des jeux d’eaux, des sculptures taillées dans la glace étaient prévues afin de donner l’illusion que les fontaines fonctionnaient. J’avais demandé à ce qu’on y distingue des ondines jouant avec les éclats d’eau glacée.
Les fées apparaissaient en vérité partout, dessinées sur la glace, dans la nourriture. J’avais demandé à Le Brun d’en faire un dessin qu’on retrouverait à de nombreuses reprises durant les célébrations.
La grande difficulté était de chauffer le palais qui n’était non point en ville comme le Louvre. Nous prîmes le parti de ne faire de feu de cheminée que dans les appartements où seraient logés les invités, pensant que cela suffirait à réchauffer l’ensemble. Bontemps fut chargé de la tâche qui n’était guère aisée, c’était là un véritable défi.
L’autre étant pour les cuisiniers, car mener ces célébrations au-dehors laissait le temps aux boissons de geler dans les verres. Cependant puisqu’il s’agissait de boissons à base de plantes et de miel, les risques étaient déjà considérablement réduit grâce au sucre en présence.
Plus encore que de plaire aux fées de la Cour d’été, le but de cette fête était aussi de séduire celle de la Cour d’hiver. Le Roi Cernunnos m’avait assuré la paix, et le traité impliquait chaque race indépendamment des Cours, mais Vodiano, de son propre aveu, appartenait à la Cour d’hiver. C’était pour cette raison que Cernunnos ne pouvait le contrôler, il n’avait pu le bannir que parce qu’il avait violé nos accords. Mais la Cour d’hiver pouvait encore tenter de corrompre les fées qui auraient quelques rancœurs contre les mortels, je voulais m’enquérir de leurs intentions, et j’espérais conclure des accords unilatéraux.
Cernunnos m’avait toutefois mis en garde contre la Reine Arpia et ses sujets : ils étaient attirés par la violence, les conflits, et particulièrement cruels quand ils le voulaient. En écoutant Cernunnos, je compris une chose essentielle : l’opposition entre les deux Cours était perpétuelle. Le simple fait que je sois en accord avec le roi de la Cour d’été me mettait en conflit avec celle d’hiver et me faisait courir le risque de voir d’autres attaques de leur part. Je devais donc parlementer directement avec Arpia en espérant que celle-ci soit sensible à mes arguments.
Ces jeux d’hiver pouvaient-ils les séduire ? Et pourquoi pas, puisque les célébrations estivales avaient bien séduit celles d’été ! Tous mes espoirs reposaient là-dessus. Puisque les fées d’hiver aimaient également l’obscurité, la dissimulation et la tromperie, je décidais que le bal serait masqué. Qu’en quelques salons ouverts, des jeux de cartes seraient organisés. Ces divertissements, pensais-je, plairaient à ces fées si j’en croyais leurs goûts en la matière en me fiant à ce que m’avait conté Cernunnos.
À ce dernier, j'avais demandé qu’il me dresse un portrait de la Reine d’Hiver. Arpia était d’après lui, terrifiante, redoutable, sanguinaire, cruelle, portée vers les anciennes traditions, pratiquant la torture et les châtiments les plus terribles qu’on ait pu voir ou entendre. Son regard, surtout, trahissait la peur que lui inspirait cette Reine sombre qui le défiait. Pourtant à l’entendre, elle avait moins de pouvoir que lui. Si lui régnait sur les songes, elle n’avait que les ombres, s’il pouvait tirer sa magie des arts, de la création, elle tirait la sienne des cauchemars et des terreurs indicibles qu’inspirait l’obscurité.
— A-t-elle la moindre faiblesse ? lui avais-je alors demandé.
— Sa fierté, c’est la seule que je lui connaisse, elle enrage de voir sa puissance et son territoire diminuer. À mesure que les mortels cessent de la craindre, son empire diminue et elle déteste cela.
— Vous jalouse-t-elle ?
S’il y a bien une chose que je comprenais, c’était la capacité des souverains à jalouser leurs voisins et leurs ennemis. La discorde entre Guillaume d’Orange et moi tenait, je le pense, beaucoup à cela. Il jalousait mon empire, ma puissance, et je dois avouer que j’enviais sa jeunesse et son machiavélisme.
— Je le crois, bien sûr, jamais elle ne l’avouera, mais il y a toujours eu cette concurrence entre nos Cours. Celle d’hiver s’estime souvent lésée, nous reproche de la craindre, alors qu’ils font tout pour inspirer ce sentiment.
— Jalouse-t-elle également vos accords avec mes ancêtres ?
Le roi de la Cour d’été hocha pensivement la tête, à nouveau, la même incertitude dansait dans ses prunelles me poussant à suspecter qu’ils devaient bien peu discuter entre les Cours. Pourtant, sans n’avoir jamais discuté avec Guillaume d’Orange je pouvais prédire ses tactiques autant que lui les miennes.
— N’avez-vous d’espion à sa Cour ? Et inversement ?
— Le peuple des airs fut un temps employé à cela, mais l’espionnage qu’ils faisaient leur coûtait trop.
Je me demandais quel était ce coût dont il parlait, mais ma curiosité sur les différentes peuplades féeriques devrait attendre, seules la Cour d’Hiver et la menace qu’elle pourrait représenter à l’avenir comptaient à cet instant, et j’espérais que nous aurions l’occasion dans le futur d’en discuter plus longuement, car je désirais l’inviter à ma table régulièrement.
— Et la Reine et vous n’échangez jamais ?
— Plus depuis des siècles. Le conflit s’est refroidi, nous ne nous affrontons plus, mais nous ne discutons pas plus. Autrefois, il y avait des négociations après les batailles, mais plus maintenant. Les rares fois où nous devons nous parler, nous nous retrouvons face à un mur. Elle est imbue d’elle-même et pleine d’exigences impossibles !
— Telles que ?
— Je vois ce que vous voulez faire Louis, et je vous souhaite bien du courage, mais croyez- moi, elle exigera bien plus que ce que vous êtes prêt à lui donner, et si vous parveniez à un accord, elle vous fera croire qu’il est en votre faveur alors qu’il n’en est rien.
Se pourrait-il qu’ils soient si opposés dans un conflit si ancré dans le temps et leurs traditions qu’il lui était tout simplement impossible d’envisager une paix durable ou bien avait-il totalement raison sur le sujet, et je me fourvoyais en pensant pouvoir négocier avec la Reine d’hiver ? Je devais tenter ma chance, mais je devais parer à l’éventualité que Cernunnos ait raison et que toute discussion soit impossible.
— Je dois le tenter, mais n’ayez crainte, je ne ferais rien qui irait contre nos accords.
Le roi eut un sourire fatigué, usé par le temps, et l’espace d’une seconde, je pus sentir le poids des siècles, percevoir tout ce qu’il avait pu voir, vivre, ressentir durant ces millénaires écoulés. Comment pouvait-on vivre si longtemps et avoir encore le goût de la vie ? L’éternité pouvait paraître séduisante, mais je n’en aurais voulu pour moi-même, en revanche, j’aurais aimé pouvoir l’offrir à mes enfants, et ne pas subir la dure difficulté de les perdre.
— Je vous fais confiance Louis.
Pour parvenir à un tel miracle, je devais faire venir la Reine d’hiver à ma Cour. Je pensais pouvoir jouer sur sa jalousie, mais je devais me méfier. En laissant entrer les ténèbres en mon palais je risquais leur donner trop d’emprise sur mes sujets et moi-même. Je devais rester vigilant et prudent. Si j’avais réussi à ramener l’ordre en la noblesse, c’est parce que je connaissais celle-ci et ses besoins comme ses caprices. En revanche, pour les fées d’hiver, je n’avais qu’un portrait en creux dont j’allais devoir me contenter pour dresser une stratégie et espérer qu’elle porte ses fruits.