CHAPITRE 65
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CHAPITRE 65
Après la bataille – Négociation entre les rois – Envisager l’avenir.
Le coût de la guerre contre les créatures des marais demeurait bien lourd. Nous avions perdu la moitié des hommes ayant livré bataille. Nos tentatives pour récupérer les corps avaient été vaines : engloutis par les eaux boueuses et parfois mouvantes, ils étaient perdus à jamais. Des funérailles furent célébrées avec des cercueils vides. Leurs familles reçurent une large compensation financière qui, à défaut de guérir leur tristesse, pouvait au moins combler le manque financier. Ceux ayant combattu et survécu eurent une prime et purent choisir le commandement qu’ils voulaient rejoindre en Hollande s’ils y retournaient, mais je leur offris aussi le choix de rester à Versailles sur le chantier ou d’être affectés à la sécurité de ses routes.
À ces pertes humaines s’ajoutaient celles de la peste et des fièvres ayant frappé la région et particulièrement les ouvriers s’étant occupés d’assécher les marais. J’en eus le cœur lourd et je crois bien que c’est pour cela que j’attendis encore dix ans avant de songer à y établir la Cour. Le temps nécessaire pour panser les blessures et d’achever les travaux. Sur ces derniers, je veillais scrupuleusement, avec d’autant plus de ferveur qu’il me semblait important que ces pertes humaines ne soient en vain. Le palais devait être éblouissant. Mais surtout, il devait pouvoir accueillir les fées.
C’était la base de nos accords. Ces derniers mirent plusieurs jours à s’écrire puisque le Roi Cernunnos devait prendre en compte l’avis des fées n’étant à sa Cour, qui portait le doux nom d’Été. J’appris ainsi qu’il existait une Cour d’Hiver sombre et dissidente, à laquelle appartenait le Vodiano, gouvernée par une reine nommée Arpia. J’appris qu’elle était redoutable, inquiétante et manipulatrice. Cernunnos m’avertit que nos accords ne pouvaient concerner la Cour d’Hiver, mais qu’il ferait en sorte que chaque peuplade de la féerie française soit impliquée de sorte qu’Arpia serait bien obligée de les prendre en compte.
Les fées avaient connu elles aussi des pertes. Moins lourdes que les nôtres pour celles de la Cour d’Été, en revanche, pour les gobelins, nous en avions fauché beaucoup et blessé la plupart de ceux ayant pris part à la bataille.
— Leur rancœur est telle qu’il vaut mieux exiler les gobelins de Versailles, affirma Cernunnos.
— Mais ceux peuplant les autres régions ? Si nous les exilons tous, ils rejoindront nos ennemis, fis-je remarquer.
En effet, j'avais l’assurance que Cernunnos joindrait ses forces aux miennes pour combattre la Hollande et je ne voulais que les gobelins vindicatifs s'ajoutent à celles de Guillaume et de l’Empereur.
— Je peux les persuader de rester s’ils renoncent aux sacrifices et à toute action meurtrière envers votre espèce, Louis.
— Vous le croyez vraiment ?
À la grimace qu’il fit, j’en doutais. Suffisamment pour lui proposer que les forces féériques se mêlent à la police nouvellement créée par LaReynie et Colbert afin d’appliquer les mesures du traité et le Roi de l’Été l’accepta.
Nous avions le projet de continuer l’œuvre faite à Paris en les autres villes de France. Nous n’étions plus dans une monarchie féodale et je comptais bien que chacun le comprenne. Il serait plus aisé de gonfler les forces de police humaines de quelques fées que de courir le risque que ces redoutables ennemis ne se joignent aux Hollandais.
Colbert n’assista point à nos délibérations, en revanche, ce fut lui qui rédigea les accords et s’assura de leur application. Sans accorder sa confiance aux fées, il fut d’une efficacité redoutable à son habitude, me prouvant une nouvelle fois sa valeur.
Nos négociations portèrent également sur la présence des fées à la Cour de France. Cernunnos m’évoqua la présence déjà manifeste de demi-fées. À mon expression surprise à ce sujet, il s’en expliqua.
— Ce sont les enfants naturels de relation entre des mortels et des fées. Ce nom est donné lors des premières générations, ensuite, l’on parle d’héritage féerique ou encore de don des fées. Vous-même, majesté, avez du sang de fée dans les veines, c’est pour cela que vous avez pu nous voir, et ce dès l’enfance.
Je me souvenais du spectre d’Henriette m’expliquant qu’elle n’était pas totalement humaine, et qu’une nation prendrait ombrage de sa mort paraissant si peu naturelle. À présent, je me demandais si c’était de cela qu’il s’agissait, mais si Henriette était une demi-fée, cela voulait-il dire que sa mère en était une ?
— Comment pourrais-je avoir du sang de fée, ma mère était une mortelle, je l’ai vu saigner et mourir, mon père était tout aussi humain, la maladie l’a emporté lui aussi.
— Toutes les royautés sont bénies par les fées, toutes présentent du sang de fées, c’est cela qui vous rend si… royaux.
Je ne pouvais croire cela, Dieu m’avait fait Roi, pas les fées. Pourtant Cernunnos insista sur le sujet, faisant fi de ma foi et de celle des mes ancêtres. Sans doute parce qu’il ne la partageait pas, il était un païen après tout. À la réflexion, il ne paraissait pas croire que les Dieux anciens en fussent réellement, je ne sais s’il avait réellement ce qu’on appelle la foi.
— Je ne peux croire pareille chose, nous avons été choisis par Dieu.
— Je ne crois en votre Dieu, mais j’en ai suffisamment entendu parler. Vos ancêtres ont pu établir la paix de par leur union avec les fées, n’est-ce pas là l’apanage d’un Roi de conclure la paix, d’assurer la prospérité de son royaume et de ses sujets ? Peut-être que votre Dieu voulait cela, peut-être était-il las de ces affrontements qui secouaient alors toute l’Europe ? Avant que la France n’ait un Roi, elle était soumise aux guerres claniques des Gaulois, puis à l’Empire Romain, Dieu préférait peut-être que les fées et les mortels s’unissent afin de créer le royaume de France, ne le pensez-vous pas ?
L’idée n’était pas idiote, j’en conviens, mais elle restait perturbante. Dieu pouvait-il accepter la présence de créatures qui ne le reconnaissaient ni l’aimaient ? L’amour de Dieu était absolu, il est vrai, et il recommandait aux chrétiens d’offrir cet amour à ceux ne l’étant, peut-être était-ce cela le but de ces alliances, matrimoniales comme tactiques, de convertir et de mettre fin aux sacrifices qui aujourd’hui nous paraissaient aussi cruels que vains. Et c’est, après tout, ce que nous étions en train de faire.
— Vous avez raison, Dieu voudrait que nous mettions fin à la guerre, et si vous le souhaitez, nous pouvons présenter notre Dieu à votre peuple.
C’était audacieux, mais j’avais besoin de tester le terrain. Cernunnos ne parut s’en offusquer, mais il n’eut l’air enthousiaste cependant.
— Nous verrons, mon peuple est fort ancien, Louis, n’espérez pas le changer si aisément.
— Le principal est de vivre en paix et de mettre fin à ces sacrifices humains.
— Et nous y parviendrons. Observez ce que nous avons fait, nous avons combattu côte à côte et nous le ferons à nouveau. Vos ennemis trembleront.
Un sourire victorieux ourla mes lèvres. Je pensais que nous pouvions vaincre en Hollande sans les fées, mais leur secours éviterait bien des pertes inutiles, et peut-être, un éclat plus grand dans la victoire à venir. Tout ce qui m’importait était la gloire de la France. La victoire sur les Hollandais inspirerait la crainte à nos voisins et les tiendrait éloignés de nos frontières.
La France avait été bien trop menacée lors de la Fronde, je souhaitais assurer non seulement l’agrandissement du royaume, mais aussi sa pérennité face au Saint Empire Germanique et sa propension à s’étendre. Pour cela je devais limiter l’influence protestante qui nous ceinturait à l’Est, mais aussi celle de Rome qui soutenait en tout point l’Empereur plutôt que moi. Mon nouvel allié sans le savoir m’incitait à m’en émanciper.