CHAPITRE 4
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CHAPITRE 4
Les splendeurs de Versailles – La difficulté de contenter son épouse – Dans les bras de la favorite.
La soirée fut une réussite, je n’en avais nullement douté. Philippe était vraiment doué. Quand je lui avais confié la troupe royale, je savais qu’il manifesterait ses talents. La Cour avait besoin d’être illuminée par les arts. Henriette s’occupait de trouver de nouveaux artistes pour couvrir les murs de Versailles, et Philippe recrutait les meilleurs comédiens et dramaturges pour la scène royale. J’avais, pour ma part, donné à la danse un conservatoire, veillant à l’héritage de mon père qui avait fondé celui dédié à la musique.
J’assistais à la pièce avec la reine à mes côtés, ainsi que Henriette et Philippe. Derrière moi, Mademoiselle de La Vallière, ma favorite. Je n’étais pas le seul à l’avoir désirée, mes ministres étaient à ses pieds et Fouquet avait chuté en grande partie à cause d’elle. Lui et Colbert avaient cherché à la séduire ne comprenant quel était son caractère. Elle était bien trop douce pour supporter qu’ils se battent pour elle. Si Colbert eut la sagesse de se retirer, Fouquet avait bien trop d’ego pour se rendre compte qu’il froissait son dernier ami à la cour.
Il n’était pas le seul à détourner de l’argent. Je ne suis pas aveugle, je sais parfaitement que d’autres illustres ministres l’ont fait. Mazarin sans aucun doute, même s’il en remettait une partie dans les caisses de l'État lorsque ce dernier en avait besoin. À sa mort, il m’a légué suffisamment de ses demeures pour que je comprenne d’où venait leur financement. Richelieu avait réalisé le même tour de passe-passe, il était un maître en la matière si j’en crois ce qu’on dit sur lui. Ces excès du passé devaient prendre fin, et c’est pour cela que je dus frapper fort. Après cette mémorable fête à Vaux le Vicomte, je fis arrêter le surintendant des finances. D’ailleurs, je ne renouvelais ce poste recelant bien trop de tentations à mon goût.
Le spectacle s’achevait et la Cour quittait les jardins qui se rafraîchissaient pour gagner les intérieurs où l’attendait une riche collation. Des mets aussi relevés que variés : macarons à la feuille d’or, pièces montées, soufflets et autres préparations délicates du chef orchestrant ce festin pour les palais les plus exigeants. Le sucré comme le salé se mariaient en d’adroits mélanges de saveur qui raviraient mes courtisans. Après le malheureux suicide de Vatel, j’avais demandé à ce que les cuisiniers ne soient soumis aux mêmes angoisses, veillant à ce que l’approvisionnement soit surveillé soigneusement. Bontemps s’en assurait.
La Reine était suspendue à mon bras, elle avait un faible pour les douceurs sucrées et particulièrement le chocolat. Comment pourrais-je lui en faire le reproche ? Pour ma part, c’était les macarons qui me faisaient craquer. J’en glissais un entre mes lèvres quand je croisais le regard de Louise de La Vallière. Elle avait de grands yeux en amandes et une douceur incomparable dans ses traits, je l’avais aimée, elle avait porté mes enfants, mais depuis quelque temps, elle songeait à rejoindre un couvent, ne cessant de s’excuser pour je ne sais quel odieux péché qu’elle pensait avoir commis. C’était presque douloureux de la regarder souffrir, pourtant, je ne pouvais la laisser me quitter ainsi et abandonner nos enfants.
Je délaissais Louise, pour me concentrer sur ce que disait la reine à propos de la manière de préparer le chocolat avec du lait. J’essayais de prêter attention à ses dires. Il m’était difficile de lui être fidèle, pourtant, je rejoignais sa couche autant que je le pouvais. Je m’acquittais de mes devoirs, cherchant l’amour éprouvé plus jeune, la passion que j’avais eue pour elle, adolescent, sans parvenir à la retrouver. Ma pauvre Reine avait perdu son éclat quand tant d’autres autour d’elle en possédaient bien plus. C’était affreux de penser cela et pourtant c’était tragiquement vrai. Elle-même le sentait, et plus elle le percevait, plus elle s’enfermait dans ses appartements, y dévorant des chocolats en parlant espagnol.
— Vous me ferez goûter cela, ma chère, lui glissais-je, essayant d’être affectueux.
J’éprouvais tant de difficulté à trouver un quelconque sujet en dehors des affaires d’État et bien sûr de la guerre. La paix que notre mariage avait signée était à nouveau brisée. À croire que j’étais pareil à mon père, et que mon beau-frère était pareil à mon grand-oncle. Étions-nous incapables d’oublier nos différents comme l’Angleterre et les Valois ? Marie-Thérèse me sourit, ses dents pleines de chocolat lui donnaient un sourire sombre, presque ridicule. D’un doigt, j’essuyais le chocolat de ses lèvres. Elle me regardait avec un amour que je sentais déjà s’essouffler.
La Reine m’aimait encore, mais mes maîtresses la lassaient. Au moins avait-elle fait la paix avec Louise. Mais ma nouvelle favorite, Athénaïs de Montespan, l’irritait. Athénaïs de son côté ne cachait pas son mépris pour l’esprit trop lent de la Reine. Je dois admettre que me retrouver entre les deux me faisait éprouver un vent glacé, mais aurais-je fui pour autant ? C’est peut-être cruel de songer ainsi, mais j’aimais les mots acerbes qu’elles pouvaient avoir. Rien ne forge le caractère d’une femme plus que la jalousie, du moins, le pensais-je en observant mon épouse.
Dès que la Reine eut manifesté l’envie d’aller se coucher, se disant fatiguée, Athénaïs me rejoignit, s’accrochant à mon bras et sa simple présence éclipsa tous les tracas de la journée. Ma belle marquise voulait danser, la musique de Lully résonnait et il était impossible d’y résister. Je l’accompagnais. Je n’avais plus mon pas agile d’autrefois, mais il m’arrivait de rêver de nouveaux ballets, d’imaginer de nouvelles chorégraphies, si bien que j’ouvrais encore les bals.
Sa taille fine contre la mienne, sa poitrine opulente contre mon torse, ses yeux verts plongés dans les miens, nous avons tournoyé, frôlé nos mains sans toutefois nous toucher réellement comme l’exigeait la danse à laquelle nous nous adonnions, nous changions de partenaires pour revenir l’un à l’autre, et je n’avais alors plus d’yeux que pour elle, ma divine et délicieuse marquise de Montespan qui ne paraissait jamais épuisée, jamais lassée, toujours conquise. Désormais, c’était sa couche que je rejoignais en premier lieu, elle était devenue peu à peu la seule que je voulus dans mon lit, et je la croyais suffisamment jalouse de la pauvre Louise pour la pousser hors de ma chambre.
Il n’y avait rien de tel que la compagnie d’Athénaïs pour me faire oublier les bois et la sensation éprouvée là-bas. Philippe avait raison, ce n’était qu’un mauvais souvenir que je devais chasser. Je souris à ma maîtresse. On la surnommait déjà la Reine de Versailles en raison de ses parures, de sa beauté, mais plus vraisemblablement parce qu’elle rien n’échappait à ses oreilles. Elle avait une divine manière de conter les faits et gestes de chacun avec ce qu’il fallait de fiel pour donner du piquant à l’ensemble. Cela lui valait aussi d’être détestée par beaucoup, admirée par les autres, crainte presque autant que moi. Je lui pardonnais, de bon cœur, de me ravir parfois l’attention des courtisans.
Comme Henriette et Philippe, elle participait de beaucoup à l’illumination de la Cour. Personne ne s’y ennuyait grâce à elle. Je glissais un baiser au creux de sa nuque, juste sous l’oreille et l’abandonnait pour boire un peu de champagne. Je voulais gagner la fraîcheur des fenêtres et de la brise du soir qui les traversait. Les torches disposées dans les jardins les rendaient aussi beaux, quoique plus mystérieux qu’ils ne l’étaient durant la journée. Les jeux d’eau continuaient de ravir les observateurs qui comme moi s’étaient penchés aux fenêtres. Les illuminations et fontaines s’éteindraient lorsque nous assoupirons, vers minuit sans nul doute.
Car même les plus brillantes fêtes ne me feraient déroger à mes obligations, d’abord envers Dieu, avec la messe de dix heures, ensuite envers mon pays, avec le conseil vers onze heures. Le lever avait toujours lieu aux mêmes heures ainsi que le coucher, qu’il y eût une fête ou non. Tout cela était des spectacles ritualisés auxquels assistait une infime partie de la cour. Un théâtre supposait également des coulisses, où mes maîtresses m’attendaient.