CHAPITRE 37
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CHAPITRE 37
Les préparatifs de la guerre – La Reine régente – Nouvelle guerre à mener.
Je devais admettre que j’étais pressé de partir sur le front, de quitter Versailles, Saint-Germain et même Saint-Cloud. Tous ces palais dont j’avais pourtant chéri les lieux, la décoration, l’émotion qu’ils m’inspiraient, mais où la mort paraissait désormais habiter. Les créatures osaient même paraître le jour ! Il m’arrivait d’en voir les silhouettes jusque dans les jeux d’eaux, sublimes ondines à la gueule carnassière dont le sourire trompeur peinait à masquer les sombres désirs. Et dans les bois, c’était des dryades qui attendaient qu’un pauvre bougre s’y perdre pour l’attraper et le soumettre à leurs étreintes fatales. Et quand ce n’était le jour, c’était la nuit, dans les songes qu’elles venaient, troublant mon sommeil jusqu’à me l’ôter complètement.
Louvois qui avait succédé à Lionne s’étonnait que je désire partir sur le champ de bataille, le danger était grand disait-il de laisser partir le roi et son frère en campagne ensemble et si longtemps. Mais j’avais besoin de Philippe en cette stratégie que nous avions décidée d’attaquer toutes les villes sur le chemin avant de fondre sur Amsterdam afin d’éviter que notre retraite soit coupée, mais aussi pour effrayer les Hollandais et les pousser au désespoir lorsqu’ils seront assiégés. Cette stratégie permettait également d’avoir la voie dégagée pour rejoindre la Cour si mon épouse devait accoucher. Et puis, je ne pouvais laisser le pays coupé de son Roi. Si ma retraite l’était, je risquais de me retrouver comme mon ancêtre François Premier, piégé. Et ces villes vaincues, dans les tractations qui suivraient la victoire, tomberaient en ma possession, j’en étais persuadé.
Colbert avait approuvé quant à lui ma décision de faire de la Reine la régente du royaume, il pensait que ce serait là un formidable moyen de lui redonner goût à la Cour qu’elle délaissait trop souvent ces derniers temps. Je craignais néanmoins les tracas que cela lui occasionnerait, particulièrement si elle était bel et bien enceinte. Mon frère cependant ne voulait de la régence, il voulait venir à la guerre en ma compagnie, et son mariage avec la princesse Palatine ne l’avait fait changé d’avis, bien au contraire. Je crois qu’il voulait fuir son épouse qui était pourtant de bonne compagnie. Pour ma part, les chasses que nous avions faites ensemble avaient été des plus divertissantes, elle possédait un caractère simple et une sincérité qui manquait souvent à la Cour.
Tous ces préparatifs laissèrent moins d’emprise aux créatures sur mes pensées, elles me pourchassaient moins de leurs ardeurs, même si mes nuits étaient encore agitées par leur présence, rendant toute idée de rester à Versailles absolument impossible. Aussi quand le confesseur de la Reine m’avertit que son ancien séminariste pouvait venir quand je le désirais, je lui répondis qu’il valait mieux attendre mon retour de la campagne, mais qu’en mon absence, je souhaitais que lui et la Reine mènent une toute autre guerre.
Plusieurs cas retentissants d’empoisonnement secouaient le pays et occupaient pleinement La Reynie. C’était l’un des aspects de cette guerre, l’autre était plus sombre et plus trouble. Mon épouse le comprit cependant quand je lui en fis part.
Ses dames de compagnie qui se levèrent à mon arrivée furent chassées d’un mouvement. Bontemps m’accompagnait cette fois-ci, ce qui la surprit. Mais réalisant qu’il s’agissait d’affaires du royaume et non d'intimité, elle accepta la présence de mon Valet qui était devenu mon ombre ces derniers temps.
— Ma Reine, j’ai besoin que vous preniez soin du royaume en mon absence. N’ayez crainte, je vous laisse Colbert, il n’est pas plus sage et dévoué ministre et croyez bien que vous n’aurez d’inquiétude à vous faire tant qu’il sera à vos côtés.
Je distinguais des traces de nervosité en ces traits, pourtant, en tant qu’Infante, elle avait reçu des leçons de politique de son père et bien que n’ayant assisté à aucun conseil, elle m’avait souvent vu faire. De plus, elle possédait un caractère secret et sage qui serait parfait en la matière, enfin, elle était peu encline à se laisser captiver par de douces paroles trompeuses.
— Louis, je ne sais si je possède les qualités dont vous me croyez dotée…
Je secouais la tête.
— Vous saurez parfaitement y faire, je vous l’assure. Vous avez de la droiture, de l’esprit et une conscience. De plus, Dieu est à vos côtés.
C’était justement cela qui me portait à croire qu’elle pourrait mener cette guerre en ayant auprès d’elle les bons conseillers. Je ne pouvais lui prêter Bontemps, mais Colbert avait l’esprit froid et rationnel nécessaire, quant à son confesseur, il entrerait dans la lutte, c’était son devoir, et il aimait trop la Reine pour la laisser seule face au danger.
Je m’en voulais de l’y placer, malheureusement, je n’avais la force de combattre les fées qui avaient infecté mon esprit de telle sorte que je n’arrivais plus à penser en termes de stratégie militaire comme je devrais le faire. Je n’avais le courage ni la force suffisante pour les affronter elles et Guillaume d’Orange.
— Ma Reine, j’ai besoin de votre concours pour une affaire délicate. Je vous ai déjà conté quelles créatures je voyais. Malheureusement, ces derniers temps, elles hantent tant mes pensées qu’il me faut m’éloigner du palais et partir en guerre afin de les en chasser. C’est pourquoi j’ai besoin de vous.
Ses sourcils se froncèrent en m’écoutant, la panique et l’angoisse montèrent à nouveau, peignant ses traits d’un vilain teint blême.
— Que me contez-vous là mon époux, je ne saurais comment faire ni à quel saint me vouer.
Je baisai ses mains à ces mots-là.
— Ma mie, vous oubliez que vous avez trouvé les armes pour nous défaire de cet ennemi. Dieu nous en protégera.
Chasser les ombres de l’inquiétude me paraissait impossible car je venais de lui donner tant de raisons de pâlir sans même avoir évoqué les messes noires. Elle connaissait ces affaires délicates et savait que je voulais combattre tout cela, mais n’aurait supposé que je puisse lui demander de lutter contre sans que je sois à ses côtés.
— Bossuet sait déjà pour les diableries des apostats, il collabore avec monsieur de La Reynie sur le sujet, mais je souhaite que vous veilliez à l’avancement de leur enquête. Ma Reine, ils ont besoin que vous me représentiez et que vous les encouragiez. La tâche est si délicate.
— Je ne souhaite rien de plus que vous contenter mon roi et honorer la confiance que vous m’accordez, vous savez que rien ne me ferait plus plaisir que de voir le diable chassé de la Cour et même de la France. Cependant, la tâche est si difficile, si complexe et si lourde à porter, pourquoi me la confier plutôt qu’à Rome ? Ils ont des moines chevalier, des prêtres exorcistes bien plus capables en ces affaires.
La nervosité transparaissait dans ses traits, dans sa voix courant sur chaque mot, et ses mains qui s’agitaient que je finis par attraper.
— Dans les contes et les lais d’antan qui parlent de ces combats menés contre le diable et son engeance, ce sont les Rois et les Reines qui en ont triomphé. Et je ne connais personne de plus pieux que vous.
— Majesté, mes prières sont vôtres, mais ce sont les seules armes que je détienne contre ces créatures.
— Alors, priez ma mie, priez pour moi et pour que Bossuet et LaReynie puissent mener leurs enquêtes jusqu’au bout. Nous n’avons pas besoin d’attaquer le diable en personne, simplement ceux qui pactisent avec. Ce sont de simples mortels, comme vous et moi, qu’on peut arrêter, questionner et exécuter pour leurs maléfices.
À ces mots, je la vis trembler d’effroi, mais elle ne dit rien de plus. C’était trop lui demander, j’en avais conscience, mais quelqu’un devait me représenter auprès de mes dévoués serviteurs. Je m’en voulais de l’abandonner en un rôle qui la mettait si mal à l’aise, mais ne voyais d’autres solutions, je me promettais de ne pas la laisser seule affronter ces apostats en essayant de trouver Colbert, que je croisais quelques minutes plus tard.
— Aidez-la à faire la guerre contre les messes noires et les antiques superstitions. Je souhaite qu’une telle bataille soit menée en mon absence, et qu’il y ait à mon retour une nette avancée à ce sujet, me suis-je fait comprendre ?
Mon ministre saisissant mon ordre ploya l’échine dans une courbette.
Ainsi, convaincu de laisser la France entre de bonnes mains, je partis en campagne avec mon frère et les Princes qui avaient déjà mené tant de batailles à mes côtés. Certains n’y survivraient. Sans que je m’en doute, la mort allait me pourchasser encore.