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CHAPITRE 13

CHAPITRE 13

Publié le 2 avr. 2022 Mis à jour le 2 avr. 2022 Culture
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CHAPITRE 13

Spectres et rêveries – Nuit de hantise – Douloureuse affection.

Les nuits qui suivirent la mort d’Henriette furent pénibles. Je fus tant affecté par son trépas que je passais de nombreuses nuits à marcher dans les galeries du palais où je me trouvais. C’était à Saint-Germain où je voyais le plus souvent son fantôme. Mon épouse avait-elle donc raison, les palais étaient-ils tous hantés ? Je crois que c’était plutôt moi qui l’étais.

Le bal des spectres de mes ancêtres, tous ces défunts m’entourant, la mort frappant tout autour de moi, et ce, depuis l’enfance, je finissais par me demander si je ne l’attirais pas. À cet instant, la question m’était inspirée par le chagrin de la perte d’Henriette, des années plus tard, elle m’apparaîtrait d’autant plus vraie que j’ai survécu à tous mes enfants, légitimes ou pas.

Mais le seul fantôme que je voyais en ces nuits-là, ce fut le sien, celui d’Henriette.

Quand je fermais les yeux, son visage pâle surgissait accompagné de son corps émacié avant même le voyage que je lui avais imposé. Mon frère plein de douleur m’accusa de l’avoir tué en l’ayant envoyé là-bas. L’avais-je vraiment tuée ? C’est peut-être ce que ma conscience me disait en me rappelant tous ces signes avant-coureurs que j’avais ignorés.

Elle était affectée par un mal invisible et aucun de nous ne l’avait vue. Même mon frère. Il m’accabla après sa mort, mais avant son voyage n’émit aucune objection. Peut-être parce qu’il avait obtenu ce qu’il désirait : le commandement des armées. Je ne lui en voulais, moi aussi j’avais été aveuglé par mes désirs, par la politique, je n’avais vu à quel point elle était fragile.

Ces visites spectrales continuèrent. Si au début, elles m’apparurent être le reflet de mes regrets et remords, par la suite ce fut toute autre chose. Mon esprit cherchait à me montrer quelque chose. Il était fort probable que son apparition n’était que le fruit de mes regrets et de mon amour pour elle, qui en dépit de nos efforts ne s’était jamais vraiment effacé.

Je l’avais aimée si chèrement, si tendrement, elle que j’avais connue toute petite, comme si nos âmes avaient toujours été liées. Quelque part, elles l’étaient. Nous avions une destinée assez semblable, nous avions vécu les mêmes affres, et nous avions retrouvé la paix. Enfin, je l’espère. De tout cœur, j’espérais qu’elle avait succombé en se sachant aimée.

Mais cette nuit, elle m’apparut différente, sa peau brillait, ses grands yeux que j’avais toujours admirés avaient des nuances de couleur impossible. Elle avait cette beauté insolente qui fut la sienne autrefois et qui s’était étiolée avec la maladie et les grossesses. Mais lorsqu’elle apparue cette nuit-là, elle n’avait plus rien de la créature émaciée, toujours maigrichonne et fragile que j’avais connue.

Henriette s’approcha de moi, elle brillait presque, d’une lumière intérieure que j’avais au fond toujours perçue sans vraiment la voir. Elle avait un doux sourire à ses lèvres. Mais la douceur n’avait jamais vraiment été sienne, elle avait toujours été plus malicieuse que douce, plus impertinente que tendre. Sa main glissa dans mes cheveux. Je sentis sa peau froide contre la mienne, c’était bien un spectre à n’en pas douter. Elle se pencha enfin vers moi, ma délicate princesse anglaise, et m’embrassa longuement d’un baiser à vous faire perdre la raison, à rendre la vie aux morts et à la prendre aux vivants.

Lorsque le baiser s’interrompit, elle me regarda, de ces grands yeux étincelants, pas malicieux, pas à cet instant, au contraire, ils avaient une certaine gravité.

— Tu aurais dû me garder auprès de toi, Louis.

Ses paroles me remplirent le cœur de mélancolie.

— Ma mort va te causer de grands torts.

J’en étais plus que conscient. La colère de mon frère passerait avec la victoire qu’il me rapporterait. Philippe ne vivait que pour les drames qui agitaient son âme, mais il savait la dissiper et passer à autre chose rapidement. Pas moi. Je n'oublierai jamais. Mais ce que je craignais c’était plutôt la colère de Charles II.

— Ton frère…

Henriette posa un doigt sur mes lèvres pour me faire taire, puis elle se pencha vers moi et glissa au creux de mon oreille.

— Une autre nation sera contrariée de ma mort, une nation qui est déjà en colère et s’agite dans les ténèbres.

Il m’était impossible de comprendre le sens de ses paroles. Je fronçais les sourcils.

— Que veux-tu dire ?

— Je ne peux t’en dire plus, je ne suis qu’un spectre. Tu as commencé à le deviner cependant, continues de tirer sur le fil.

De quoi parlait-elle ? Qu’avais-je deviné ? Sa peau étincelante m’attirait, et ses lèvres paraissaient irisées, presque bleutées. Mes yeux s’agrandirent devant l’impossible révélation. Comment avais-je pu ne pas comprendre qu’elle-même était l’une de ces créatures ?

— Tu n’es pas simplement un spectre, tu es… comme ces êtres que je vois en rêve.

Était-ce bien elle, car le doute s’insinuait à présent en moi ? Il me paraissait tout à fait impossible que mon Henriette, cette enfant si maigre au regard brillant qui observait nos danses et nos jeux avec tant d’envie, et qui se mêlait à nous qu’en de trop rares occasions fusse une de ces créatures fantastiques et effrayantes à la fois.

— Il est vrai que tu as toujours été divine, d’une beauté subjuguante…

— Ce n’est pas ce que tu disais autrefois, ne m’as-tu pas appelé les ossements des Saint Innocents ?

Je pressais mes lèvres sur ses mains que j’avais saisies, elles étaient encore froides et sa peau délicate avait une saveur sucrée que même la mort n’avait pu enlever.

— J’en suis désolé, si tu savais comme je regrette…

Ses lèvres s’élargirent dans un sourire alors qu’elle écarta les mains, rapprochant nos deux corps, sa poitrine compressée contre mon torse, ses lèvres si proches des miennes.

— Je le sais, Louis. Je sais à quel point tu m’as aimé. Je ne veux que t’avertir du danger qui te guette à présent que je ne suis plus.

Sa main délicate se posa sur ma joue qu’elle caressa.

— L’Empire que tu souhaites pourrait être menacé par cette force étrangère que ni toi ni tes conseillers ne souhaitez reconnaître.

Une force étrangère, une nation… Il y avait un ennemi qui se dressait face à moi, même s’il ne possédait encore le pouvoir, il l’aurait ce n’était qu’une question de temps.

— Tu parles de Guillaume d’Orange ?

Elle secoua la tête en pressant sa main contre ma joue, caressant mes lèvres du bout de son pouce.

— Tu ne comprends pas, Louis, je te parle d’un peuple tout entier honni, oublié et relégué aux ténèbres du moyen âge. Ce que tu appelles créatures est bien plus que cela. Rappelle-toi de ce que tu as vu dans les bois.

Comment était-il possible… comment savait-elle tout cela ? Je ne lui avais rien dit. Peut-être que Philippe lui en avait parlé…

— Un peuple… fit-elle en hochant gravement la tête. Caché, apparaissant la nuit… Des ondines dans les jeux d’eau…

Son visage se pencha sur le côté, un sourire ourlait ses lèvres. Sa main glissa le long de ma joue, de mon front, caressant ma nuque.

— Souviens-toi, Louis, tu les as vus. Les enfants croient plus volontiers en la magie.

À présent, je comprenais. J’avais pu les percevoir parce que j’étais enfant et non parce que j’étais aux portes de la mort. Était-ce vraiment cela ? Le regard innocent et ouvert à toutes les possibilités d’un bambin pouvait percevoir ce peuple invisible ou bien n’était-ce que le fruit d’une imagination nourrie de contes ?

Des contes qui parlaient de la fée Morgane qui vient chercher l’âme des preux chevaliers pour les emporter en Avalon ? De la charmante Mélusine, fée bâtisseuse, qui trompée par son mari se vit contrainte de disparaître ? Ces lais bretons et autres histoires de loup-garou que m'avaient contés Perrette. Un enfant a une imagination débordante… et les fables racontées au soir peuvent engendrer des chimères durant le songe, cela est bien connu.

— N’était-ce point mon imagination en ce temps-là ? Ne l’est-ce pas encore ? C’est mon esprit peiné par ta mort qui voudrait te voir immortelle par quelques biais fantastiques.

Son adorable visage prit la teinte de la colère alors qu’elle entendait les doutes fouler mes pensées.

— Louis, je t’en prie, je suis peut-être le spectre que tu invoques, mais ce que tu as vu au Sanctuaire n’a rien de commun ni d’ordinaire.

Henriette avait la voix lourde et grave ce qui était inhabituel chez elle qui avait toujours été si enjouée et légère.

— Pourquoi aurais-tu fait ce lien entre ces créatures de ton enfance et cet homme dans les bois ? Il n’y avait de lien logique, ce n’est que l’instinct qui te l’a dicté. Et qu’est-ce que l’instinct si ce n’est une suite de déduction que fait ton esprit afin de te prévenir d’un danger ? Tu ignores encore les tenants et aboutissant, tu ignores même la nature du danger, mais tu sais qu’il est là. Ne laisse personne t’enlever cela de la tête. Tu ne dois fermer les yeux, je t’en conjure.

Ses traits et sa voix s’étaient faits implorants. Je pressais mon front contre le sien, serrant ses mains contre les miennes.

— Je te promets de ne plus l’oublier.

Elle sourit doucement, et se pencha à nouveau vers moi afin de m’embrasser.

Quand je rouvris les yeux, elle avait disparu. Fût-elle une chimère, un spectre ou un revenant venu m’avertir d’un danger, j’avais fait une promesse. Je ne savais pas si la menace était réelle ou non, mais je ne pouvais prendre le risque. Qu’importait si je ne trouvais personne pour m’aider à comprendre ce qu’il se tramait, j’essaierais, j’ouvrirais l’œil, et je finirais bien par découvrir si un peuple secret et mystérieux vivait bien en mon royaume.

Samuel Cooper

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