L'Egorgeur : Chapitre 14
L'Egorgeur : Chapitre 14
Le manteau et le chapeau du Commissaire Demesy se découpaient sur un décor de brumes opalescentes. Ce jours là, le mois de frimaire portait particulièrement bien son nom. Si vous n’êtes pas familier du calendrier républicain,(1) nous étions simplement en décembre et il faisait bon porter des vêtements chauds.
D’aucuns pensent qu’ils ne fait jamais froid dans les départements du Sud. Tout dépend de ce que nous nommons “froid”. Décembre en Vaucluse n’est pas particulièrement polaire. Il existe des patelins en France, où vous pourriez couper le chauffage fin juin pour le remettre début août, en fonction de l’humidité ambiante… On ne sent chanceux de ne pas y vivre que lorsqu’on y a déjà vécu. Avant cela, on n’y croit pas.
Emile appréciait simplement cette fraîcheur bienvenue sans se poser toutes ces questions existentielles. Il avait bien d’autres choses pour s’occuper l’esprit. Une partie de celui-ci restait toujours sur l’affaire de l’Egorgeur de Vallon-Pont-d’Arc. Quelques coups de fil de temps en temps. Quelques recoupements avec les infos qu’il pouvait glaner. Rien de bien transcendant…
Sans fait nouveau, l’énigme promettait de devenir sans fin. À moins que Di Bacco ne finisse par parler ? Parce que les éléments, pourtant passés au peigne fin, demeuraient silencieux eux aussi.
Emile Demesy observa pendant un moment l’assemblage hétéroclite de bâtiments offert à son regard. Dire que l’Affaire du Petit Poucet lui avait paru complexe à l’époque ! Il ne se serait jamais cru confronté un jour à un crime aussi élaboré que celui de Vallon-Pont-d’Arc. Mais avec la disparition de Georges Michel et les horreurs découvertes dans le laboratoire du Dr Schüefli, il allait devoir mettre cette affaire-là de côté un moment.(2)
Le Commissaire soupira.
L’asile d’aliénés de Montdevergues avait déjà connu son lot de tragédies, notamment sous l’occupation. Et actuellement ? Combien d’autres comme Georges ? De quelles complicités le Dr Nachau avait-elle bénéficié ?
Quand on avait trouvé une nouvelle cordelette sur une scène de crime, tout le monde avait d’abord pensé à un copycat. Pas spécialement étonnant au regard de la médiatisation dont l’Affaire du Petit Poucet avait fait l’objet. Mais Georges n’était justement plus à l’hôpital au moment de ce nouveaux faits. Et Nachau qui avait tenté de s’éclipser…
Le Directeur de la Gestion des Risques coupa Emile dans ses réflexions :
— Merci d’avoir accepté de me rejoindre sur place, Commissaire.
— Je vous en prie. Ça me fait sortir un peu de mon bureau.
L’autre ne décela pas l’ironie du propos. Peu importe. L’homme était courtaud, un peu rougeaud aussi. À le croiser dans la rue, on ne l’aurait pas imaginé occupant un poste de directeur quelconque.
Il emmena le Commissaire à son bureau dans le bâtiment réservé à l’administration. L’atmosphère y était moins pesante que dans celui où séjournait Georges Michel. C’était un petit bureau impersonnel, pas franchement encombré. On le devinait toujours bien rangé. Le bureau de quelqu’un qui ne travaille pas beaucoup, pensa Emile. La lampe de bureau bon marché en mauvaise imitation bronze et son abat jour en plastique vert en disait long sur la personnalité du petit monsieur. Franchement, entre le costume en Tergal et la lampe, il ne manquait pas grand chose à la panoplie du mauvais goût.
— Je vous écoute Commissaire, commença l’autre en chaussant une paire de lunettes à épaisse monture d’acier.
— Comme vous l’avez appris, la disparition de Georges Michel m’a conduit a interpeler le Docteur Nachau.
— Monsieur Michel était interné dans son service, c’est ça ?
Le Commissaire acquiesça.
— Mais je ne vois pas précisément en quoi la fugue d’un de nos patients intéresse la police judiciaire.
— Il ne s’agit pas d’une fugue. Georges Michel est dans la nature et nous avons de nouveaux meurtres qui portent sa signature.
— Sa signature ?
— Il étranglait ses victimes avec une cordelette de laine rose.
Le Directeur de la Gestion des Risques se mordit les lèvres et semblait évaluer la situation. Étonnant qu’il ne connaisse pas ce détail sur l’un de ses patients les plus dangereux.
— Et avec ces nouveaux meurtres, vous avec voulu rendre visite…
— À ce bon vieux Georges qui a disparu, acheva le Commissaire.
Le Directeur ouvrit un dossier devant lui et se frotta la tempe. De sa position, Emile voyait bien qu’il s’agissait d’un dossier bidon. Mais il n’en dit rien.
— Et Laurence Nachau ?
— Laurence Nachau est impliquée dans une enquête en cours. Je vais avoir besoin d’accéder à ses dossiers.
— Vous pouvez m’en dire plus ?
— Ça dépendra de votre coopération, Monsieur Rougelle.
— Nous sommes inquiets pour la réputation de notre établissement. Si Madame Nachau est impliquée dans quelques chose de louche…
Le Commissaire l’interrompit d’un geste.
— Oui, j’entends bien. Vous connaissez le Docteur Frédéric Schüefli ?
Le Dr Schüefli… Non, il ne connaissait pas. Evidement. Ce n’est pas un médecin de l’hôpital. Le travail de Robert Rougelle consiste à s’occuper des intérêts de l’hôpital et uniquement de ceux-ci.
Pourtant, il y avait un lien avec les intérêts de l’hôpital. Emile, le menton appuyé sur son point et le coude appuyé sur l’accoudoir de sa chaise, garda ses réflexions pour lui. Il inspirait et expirait profondément, semblant perdu dans ses pensées. Mais son regard ne fixait pas le vide. Il fixait un papier sur le bureau du directeur. Un papier déjà moins bidon que les autres.
— Nous avons fini ?
— Pas tout à fait, Monsieur Rougelle. Pas tout à fait…
Le Directeur de la Gestion des Risques se sentait mal à l’aise.
— Je ne suis pas certains de pouvoir vous donner ces dossiers. Question de confidentialité que nous devons à nos patients.
Emile se leva et se planta devant la fenêtre les mains dans les poches.
— Je comprends, ça a l’air lourd comme ça. Mais mes hommes sont toujours prêts à soulager les autres d’un poids.
Rougelle se retourna et aperçu les policiers chargeant des dossiers et un ordinateur dans le coffre d’une voiture.
— Qu’est-ce …
— Je prendrais bien un café, Monsieur Rougelle.
Rougelle quitta le bureau. Mais pas pour aller chercher le café.

Notes en bas de Page et Crédits :
(1) Calendrier révolutionnaire français utilisé de 1793 à 1806 avant son abolition par Napoléon 1er pour des raisons pratiques et idéologiques.
(2) Voir “Le Disparu de Montdevergues” https://www.panodyssey.com/fr/article/horreur/le-disparu-de-montdevergues-qh4pm8hhcfe5
Photo de couverture par Craig Whitehead
Notice de transparence : Œuvre originale protégée par le droit d’auteur et horodatée. L’auteur en interdit formellement son utilisation à des fins d’entraînement d’IA, sans limite de territorialité et de temporalité.
Œuvre littéraire écrite sans IA
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Mots placés dans ce chapitre :
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Remerciements :
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Stéphanie Muriot
Alexandre Leforestier
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