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" Le fauteuil rouge" extrait numéro n°6Scènes 21 à 23 

" Le fauteuil rouge" extrait numéro n°6Scènes 21 à 23 

Publié le 6 avr. 2024 Mis à jour le 6 avr. 2024 Aventure
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" Le fauteuil rouge" extrait numéro n°6Scènes 21 à 23 

Scène 21

Pour tromper son attente et ignorer les regards inquisiteurs de SJP, elle revêtit son armure d’exécutive woman, tapa du texte au kilomètre, traversa à maintes reprises la rédaction avec un papier à la main, qu’elle consultait d’un regard soucieux. C’était un vieux truc que lui avait appris un copain de lycée qui s’incrustait depuis des années dans les couloirs d’un secrétariat d’Etat. Elle passa même tout un après-midi, les pieds ostensiblement posés sur son bureau, à relire la collection de « Harlem Quartet ». Amaury l’évitait discrètement et ne faisait rien pour essayer de lui parler. 

           Le vendredi suivant à neuf heures cinquante-deux, alors que la pluie battait les vitres, miss Sourdingue lui passa une « dame excitée avec un accent du sud » qui demandait mademoiselle Debbie. Dix minutes plus tard, elle annonçait à Stef que Mezz « Finger » Wasp acceptait de la recevoir. Emportée par son élan, elle frappa à la porte du Directeur et entra sans attendre l’autorisation.

 — … Mezz Wasp est d’accord !

 Il sortit la bouteille de Chivas et remplit deux verres.

— Franchement, Josiane, vous m’épatez ! Je n’y croyais pas trop. Si ça marche, c’est le reportage de l’année. Quand Jean-Luc Quidamme commençait une phrase par « franchement » on pouvait s’attendre à tout, même à une bonne nouvelle. Il n’y avait que sa mère et lui, dans les grandes occasions, qui l’appelaient encore par son prénom de baptême. Mais elle voyait plus souvent son directeur.

 — Je n’oublie pas, bien sûr la participation de l’ami Stef. Je vous suggère de ne pas trop attendre, on ne sait jamais, il pourrait changer d'avis.

— Je pensais partir lundi.

 — Excellente idée ! Profitez-en pour vous détendre et prendre quelques jours de vacance. Je vous trouve un peu stressée depuis quelque temps.  Vous êtes née dans la région, je crois ?

           Scène 22

Elle fêta l’évènement aux Ambassadeurs avec Stef et Amaury qui passait par là comme par hasard. Deux cocktails au champagne plus tard, elle regarda ses compagnons partir chacun de leur côté et repensa au projet de week-end que Josie avait préparé… Elle lui téléphona.

 — Je ferme boutique demain. En ce moment il n’y a que des touristes qui baragouinent un anglais de supermarché. J’ai trouvé un truc génial, ne t’inquiète pas, je me suis occupée de tout. 

           Josie avait un réel talent pour organiser des sorties insolites. C’est grâce à ces expéditions improvisées qu’elle avait découvert, entre autre, le Giverny de Monet et les lumières de l’automne sur Barbizon. Perdue dans ses pensées, Debbie ne s’inquiéta pas.  Elle aurait dû.

Scène 23

Le lendemain, et pendant trois jours qui égrenèrent consciencieusement leurs vingt-quatre heures, elle partagea le destin aventureux d’un groupe de randonneurs pédestres et sillonna la forêt de Fontainebleau avec séance photo obligatoire dans les rochers et visite du château. Josie fit connaissance d’un quinquagénaire bien conservé, divorcé et adepte des rencontres « pas prises de tête ». Il était accompagné d’un clone grisonnant qui se prenait pour un musicologue averti sous prétexte qu’il pouvait citer de mémoire tous les titres du coffret « les 100 plus grands morceaux classiques ».

Pour ne pas faire tapisserie lors des deux soirées conviviales, Debbie ouvrit de grands yeux éblouis en l’écoutant asséner ses opinions estampillées FNAC sur les géants du jazz dont il confondait les prénoms et les œuvres avec un aplomb inaltérable. Elle fut récompensée de sa patience en subissant l’un des dragueurs les plus foireux de sa vie sentimentale.

La romance se termina un dimanche soir fourbu que la pluie ne parvenait même pas à transformer en film de Marcel Carné. Josie, de son côté, avait refermé son épisode amoureux par un jugement tout en nuance dont elle était coutumière.

— Ils font la paire tous les deux !

Avec un bel ensemble, elles balancèrent dans la première poubelle disponible les numéros de portable griffonnés dans une marge de l’ « Equipe » et s’offrirent un grand plat de moules frites accompagné de fous-rires nerveux et de bière brune. Elles allèrent ensuite voir un vieux John Wayne dans un ciné-club voisin. Josie, passionnée de westerns, vouait une trouble passion à Lee Van Cleef et refusait obstinément de voir « Le Bon, la Brute et le Truand » sous prétexte que son idole s’y faisait tuer. Ce furent les meilleurs moments du week-end. Debbie passa la nuit dans le salon de sa copine, sur le canapé avec qui elle avait fini par tisser de vrais liens d’amitié.  

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