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Le fauteuil rouge : extrait n°3 

Le fauteuil rouge : extrait n°3 

Publié le 22 mars 2024 Mis à jour le 22 mars 2024 Aventure
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Le fauteuil rouge : extrait n°3 

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« Le fauteuil  rouge »  extrait n°3

Scènes n°9  à 11

 

CHAPITRE 2

       Scène N° 9                                                                                                                                                                                                                                                                                            La réunion se prolongea autour de la cafetière près de laquelle une âme charitable avait déposé deux paquets de Pepito. L’apéro chips-chorizos et spiritueux, c’était le vendredi dans le bureau du patron. Pour une fois, Debbie était le centre d’intérêt. Lebigre lui lançait des regards chargés de vieilles rancunes. Clarisse croqua un gâteau sans discrétion. 

— Mezz « Finger » Wasp ! J’aurais dû y penser ! Vous êtes sûrs qu’il vit toujours ?

Stef prit son air outré.

— S’il était mort, mon éminent collègue ici présent et moi-même serions au courant.

Robert Lebigre approuva d’un imperceptible mouvement de tête. Il lui déplaisait par principe d’être d’accord avec son meilleur ennemi. Clarisse jeta son gobelet dans la corbeille avec un geste de basketteuse.

— Tu as eu le nez creux, ma loute ! C’est un sujet en or. Je l’ai rencontré quand je débutais dans le métier, juste avant qu’il se retire. Il avait un charme indéfinissable qui me faisait penser aux acteurs américains des années 50. Drôle de type, pas très causant, chargé de mystère. C’est vraiment le sujet idéal.

— Tu veux dire que tu n’as pas pu te le faire ? Elle foudroya Stef du regard.

 

 

 

22

 

              — Tu sais bien que je n’aime pas les vieux ! C’était il y a vingt, vingt-cinq ans, même à l’époque, il avait passé la ligne rouge.

Comme d’habitude, avant de s’esquiver, elle fit la grimace pour montrer à quel point elle sacrifiait à la convivialité en absorbant un breuvage trop chaud. Après son départ, on reparla du projet de l’Intégriste et il lissa son bouc grisonnant avec des airs de prophète… 

— Tu penses sérieusement qu’on peut encore trouver des morceaux inédits ?

 — Je suis sur la piste d’une œuvre de jeunesse de Blind Blake, qu’il aurait enregistré à Philadelphie en 1925. Mon informateur est sûr de son coup.

Stef, dans ses moments de colère, l’appelait Roro le Mytho. Amaury, courbé sur son ordinateur faisait bande à part. Debbie hésita à le rejoindre mais Isabelle Canetti s’approcha timidement. Stef lui proposa les dernières gouttes de café tiède et la félicita pour son idée. Elle balbutia des remerciements en rougissant. Debbie aurait volontiers bavardé avec elle mais Stef monopolisait sa nouvelle protégée. 

— Si tu veux consulter les anciens numéros, pas la peine de te salir aux archives, je te prêterai ma collection perso.

La voix aigre de la secrétaire les interrompit.

— Mademoiselle Debbie, monsieur Stéphane, s’il vous plaît ! Monsieur le Directeur vous attend. Elle jeta son gobelet dans la poubelle. Stef, ostensiblement, prit le temps de rajouter un demi-sucre, sous le regard désapprobateur de Miss Sourdingue. 

Scène N°10

             L’année précédente, Jean Luc Quidamme avait fait sa crise de modernisme. La longue table en bois, témoin des débuts héroïques, avait été remplacée un ovale de verre brun fumé avec chaises et mobilier assortis. Près de la plante verte trônait une cafetière, dernier cri de la robotique japonaise. Lebrac était déjà installé, feuilletant ses notes d’un air absorbé. Le directeur referma son portable.

— Asseyez-vous, Debbie ! Quant à toi Stef, de toute façon, tu fais toujours comme chez toi. Madame de Santis vous prie de l’excuser, elle a dû partir en interview. J’ai souhaité vous voir avec ces messieurs pour préciser les modalités de votre enquête. Ce sont des détails mais ils font la différence, comme toujours. Vous avouerais-je que j’avais moi aussi pensé à Mezz   «Finger » Wasp mais j’ai préféré que l’idée vienne du groupe.

 Satisfait de constater que personne n’en doutait, il se leva et sortit d’un bar, dissimulé derrière une reproduction de Vasarely, quatre verres minuscules qu’il remplit de Chivas.

— Vous n’avez pas choisi la facilité. A ma connaissance, depuis qu’il s’est retiré, Mezzrow Wasperson n’a accordé aucune interview. C’est pourquoi j’ai demandé à Stef de vous aider. Son expérience vous sera utile car il l’a rencontré cours de sa folle jeunesse.

— Tu es trop bon, camarade directeur.

— Lucide et objectif, camarade emmerdeur. Oui, monsieur le rédacteur en chef ?

 Lebrac sortit de son dossier un feuillet aux lignes respectant le double espacement et ponctué de points d’interrogations. 

— J’ai étudié sa vie, du moins ce que l’on en sait. Et je l’ai, moi aussi, rencontré.

Il s’interrompit, attendit une réaction qui ne vint pas, puis reprit son exposé.

— Je pense que nous pourrions axer l’enquête sur trois points.

Il chaussa les fines lunettes qui lui permettaient de prendre des airs d’intellectuel affairé au cours des réunions.

— Premier mystère : on ne sait rien de la femme qui a partagé son existence lorsqu’il jouait dans une boîte de nuit new-yorkaise dont le nom m’échappe.

 — Le « Blue Star ».

Stef, quand on l’agaçait, répondait toujours avec une rapidité et une précision exaspérante. Le rédacteur en chef plissa les yeux puis reprit son exposé.

— On ne sait rien d’elle et à ma connaissance il n’existe d’elle aucune photo. On ignorerait même son prénom si Mezz n’avait intitulé « Déborah » un de ses plus grand succès.

Il jeta un coup d’œil à Stef qui ne fit aucun commentaire.

— Second mystère : Pourquoi, dès son arrivée en France, accède-t-il au statut de vedette alors qu’aux Etats-Unis il n’était, semble-t-il, qu’un musicien doué parmi bien d’autres ? On dit que sa façon de jouer a changé mais personne ne peut définir la nature de ce changement, faute d’enregistrements sonores.

Le directeur fronça les sourcils.

— Il n’existe pas, à ma connaissance,  d’enregistrement de sa période américaine. Á moins, bien sûr, que notre ami Lebigre ne fasse fonctionner ses réseaux… Continuez, je vous prie.

 

 

 

25

 

             — Dernier mystère : pourquoi a-t-il tout arrêté le 29 octobre 1987 ? Il avait 70 ans certes, mais d’autres ont continué bien au-delà. D’après tous les témoignages que j’ai pu réunir, rien ne laissait prévoir cette décision. 

 — Voilà ce que j’appelle un exposé clair et précis. Il a donc 92 ans. Sans vouloir être cynique, je dirais que le temps presse. Où habite-t-il ?

— Quelque part sur la Côte d’Azur. J’ai l’adresse dans mes fichiers.

Le directeur referma son cahier.

— Votre mission, agent Debbie, si vous l’acceptez, sera de rencontrer Mezz « Finger » Wasp, de l’interviewer et d’éclaircir les trois mystères recensés par notre ami Lebrac.

— Je vais le contacter immédiatement. Début août, je couvre le festival Parker à New-York, je pourrai trouver là-bas des informations inédites. 

— Excellente idée ! Je vous signale, messieurs, qu’aucun de vous n’y avait pensé.

Les messieurs approuvèrent, sans faire remarquer au directeur qu’il n’y avait pas pensé non plus. Il remplit à nouveau les verres.

— A votre réussite ! Je suis sûr que nous allons faire un excellent travail.

 

Scène n°11

Debbie retrouva sa tanière avec un soupir d’aise. Un de ses projets d’article était revenu dans la bannette assorti de quelques corrections au feutre rouge.   Stef sortit sans lui proposer de l’accompagner. Lorsqu’il disparaissait ainsi, personne ne savait où il allait. Des rumeurs couraient au sujet de clubs confidentiels et de bars branchés, peuplés de minettes court vêtues. Robert l’Intégriste tenta une approche en accentuant sa moue préoccupée.

— Je sais bien que tu ne m’as rien demandé, mais si tu veux, je peux contacter mes correspondants aux States. S’il existe un enregistrement quelque part, ils le trouveront.

Elle le remercia avec toute la politesse requise.   La pause de midi était sacrée, surtout pour les journalistes de sexe mâle. C’est une fois de plus la réflexion que se fit Debbie en se retrouvant seule dans la rédaction avec SJP qui malmenait son clavier, le visage fermé dans le plus pur style « Je bosse, moi j’ai un métier ! » et Isabelle Canetti qui déjeunait d’un sandwich bio. Clarisse passa en coup de vent, lut ses mails en proférant des commentaires désobligeants pour l’espèce humaine, en rédigea quelques-uns et parut enfin découvrir la présence de Debbie.

— Dis donc, ton Mezz, il n’habiterait pas du côté de la Ciotat ? Un saxo du Hot Club avec qui j’ai couché l’an dernier m’a parlé de lui.

— C’est possible. Sinon, je demanderai à un copain à la SACEM.

— Tu as un copain, toi ? C’est un bon coup ?

Debbie entama son sandwich aux crudités et répondit la bouche pleine.

 — D’après sa femme, non ! 

Clarisse s’éclipsa avec SJP, après avoir proposé de prendre un pot entre copines, ce que Debbie et Isabelle Canetti déclinèrent avec un bel ensemble. Restées seules, elles discutèrent un long moment tout en partageant une bouteille d’eau non gazeuse. Les bribes d’articles s’empilaient, crachés par la photocopieuse sur laquelle un féru d’antiquité avait posé un moulage en résine du Scribe Accroupi. Fatiguée de soutenir son regard stupide et trop maquillé, Debbie l’avait tourné vers le mur. Elle prit les feuilles, un stabilo et ouvrit l’agenda relié cuir que lui avait offert Stef pour son anniversaire. Consciente de l’importance du cadeau, elle y notait les rendez-vous importants, les phrases définitives et les pensées profondes glanées au cours de soirées branchées où elle assurait la figuration silencieuse. Elle créa un fichier, inscrivit les dates de la vie du musicien et commença à synthétiser ses notes. Des périodes surchargées d’informations alternaient avec les déserts documentaires. Elle interrogea Chouka et dut se rendre une fois de plus à la triste évidence : l’oiseau de sagesse se foutait de ses problèmes. Au journal, lorsqu’on se lançait dans une recherche compliquée, il y avait toujours un passage obligé par la case « Bureau de Stef ».

 

  A suivre……

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