Félicitations ! Ton soutien à bien été envoyé à l’auteur
avatar
Chapitre 2 : 9x9. Human History

Chapitre 2 : 9x9. Human History

Publié le 24 avr. 2025 Mis à jour le 24 avr. 2025 Aventure
time 7 min
0
J'adore
0
Solidaire
0
Waouh
thumb 0 commentaire
lecture 49 lectures
1
réaction

Sur Panodyssey, tu peux lire 10 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 2 articles à découvrir ce mois-ci.

Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit ! Se connecter

Chapitre 2 : 9x9. Human History

En l’an de grâce 2020, deux événements avaient chamboulé l’archéologie, et tout ce petit milieu de scientifiques et historiens aux allures de chômeurs orientalisant semblaient avoir son avis sur les questions brûlantes qu’ils soulevaient.


Le premier de ces événements était du ressort artistique, et avait retenu en haleine les universités et les intellectuels du monde entier. Un dénommé Jack Humberton avait fait exposer, d’abord chez lui, puis dans de nombreux grands musées d’art contemporain, une gigantesque frise chronologique qui contenait, disait-il, « tous les événements notables de l’histoire humaine, depuis l’invention de l’écriture à Sumer à l’épidémie de Covid-19 ». Ce qui rendait cette frise particulière n’était pas, comme on pourrait se l’imaginer, sa longueur, mais sa hauteur. En effet, il s’agissait d’une frise en « colimaçon pyramidal ». Sur le modèle de l’escalier en colimaçon, la frise partait à plus de neuf mètres de hauteur et, en légère pente, tournoyait vers le bas, les cercles concentriques qui constituaient des « étages de l’histoire» s’agrandissant à mesure que les événements historiques se faisaient plus nombreux et connus, se rapetissant lors d’une période sombre et méconnue de l’histoire ; de telle sorte que l’on avait affaire à un gigantesque sapin en rondelles de carton qui, globalement (mis à part l’après-Rome où l’on observait un léger rétrécissement), allait grossissant, jusqu’à atteindre un diamètre de neuf mètres.


Intitulé « (9x9). Human History », cette frise avait déchaîné les historiographes, chacun réclamant pour sa période de prédilection un grossissement considérable de l’étage correspondant. L’on musela les préhistoriens dans la presse et les revues. Les archéologues, eux, étaient tiraillés entre la fierté d’appartenir aux étages dits du « ciel de l’Histoire » et l’indignation que provoquait leurs minuscules diamètres ; un petit groupe d’entre eux, dans un article intitulé Inverser la pyramide ! réclamèrent que la frise fût suspendue au plafond, à l’envers, de telle sorte que ce qui était plus vieux se retrouverait à la base de la frise, ainsi qu’il en va des strates géologiques.


Mais les critiques et revendications les plus virulentes apparurent lorsqu’un groupe de doctorants américains en études postcoloniales accusèrent la frise d’être « occidentalocentrée, nihiliste et ordinairement raciste», niant une myriade d’événements chinois, éthiopiens, précolombiens et autres. En réponse, de nombreux philosophes tendancieux observèrent que la frise, loin d’être uniquement chronologique, était « causaliste » : autrement dit, les événements qui y étaient inscrits étaient tous corrélés et chacun d’entre eux devait influer sur le prochain, de telle sorte que la chute de Rome provoquait de loin en loin la Révolution française, l’invention de l’écriture sumérienne la déportation des Juifs à Babylone d’abord, à Auschwitz bien plus tard, et ainsi de suite. Ils arguèrent ensuite que de nombreux « événements » ne pouvaient y figurer car ils étaient « accidentels, extra-causaux et par conséquent incapables de s’inscrire dans l’œuvre d’art de Jack Humberton ». Celui-ci, justement, se contentait généralement d’acquiescer discrètement, se tenant prêt à « accepter toutes les interprétations possibles », et avait reconnu publiquement, en s’excusant, que l’œuvre elle-même l’avait dépassé.


Les doctorants en études postcoloniales n’avaient pas dit leur dernier mot: réunissant des spécialistes de différentes « histoires marginalisées », ils concoctèrent une seconde frise en colimaçon pyramidal, intitulée « (8x8.) Another Human History», où ils inscrivirent délibérément une série inimaginable d’événements de l’histoire « périphérique », réduisant au maximum les événements européens, arguant du fait que si la frise était causaliste, tous les événements de l’histoire dépendaient de la base du sapin où devait se trouver, en abondance, l’histoire de la question raciale, coloniale et postcoloniale. Vous aurez noté que la frise était légèrement plus petite (8x8) ; cependant ce n’était pas dû au manque d’événements historiques mais simplement à une question de droit d’auteur, comme ils durent l’expliquer un nombre incalculable de fois.


Peu à peu, tout le monde s’empara du projet initial et de nombreux milieux construisirent leurs propres frises. Les féministes parvinrent à édifier une pyramide particulièrement déséquilibrée, au diamètre de base de onze mètres et à la hauteur de quatre mètres, brisant ainsi l’exigence première d’équilibre entre base et hauteur ; les chrétiens inscrivirent dans la leur toutes les vies de saints et martyrs, ainsi que les récits bibliques, si bien que leur « pyramide », étonnamment grosse en ses hauteurs et fine en sa base, ne put tenir debout : ils durent la pendre au plafond d’une église. Les végétalistes avaient composé une frise extrêmement fine, mais globalement équilibrée et respectueuse de la forme pyramidale, qui débutait par « L’invention de la chasse », non datée, et la « Domestication du chien » (vers - 9600). Les littéraires, les médiévistes, les antiquisant, les physiciens, les économistes, les écologistes, les linguistes, les nietzschéens, les suprémacistes, enfin une foule de milieux et de tendances proposèrent leurs propres frises chronologiques, et choisissaient à leur gré les événements qui y avaient leur place (à l’exception des géologues, désintéressés, et des philosophes, qui ne parvinrent pas à se mettre d’accord sur la notion « d’événement »). Plus d’une trentaine de frises, toute de grosseur, de taille, de ratio base/hauteur différents venaient d’être exposées en septembre, à New York, sous le titre, proposé par le groupe nietzschéen, de « Perspectives on History ». On dut reporter l’exposition de quelques jours, car de nombreux représentants de tendances ennemies s’étaient, le jour de l’inauguration, violemment insulté de révisionnistes, spécistes, racistes, sexistes, fascistes, etc.


Une philosophe méconnue, cependant, demeura lucide au milieu de cette frénésie de relectures historiques : dénommée Deborah Asgreen, d’origine danoise, elle fut connue pour cette observation particulière qui fraya son chemin au milieu du grand brouhaha idiosyncratique : « La quantité des événements n’a rien à voir avec leur importance historique ; la grosseur d’un étage doit être lue, non pas qualitativement, mais quantitativement. Il faudrait même considérer, ajouta-t-elle, l’étroitesse d’un étage comme signifiant l’importance capitale d’un petit nombre d’événements historiques. Aucune de ces frises ne sont fausses, aucun des événements choisis pour y figurer ne sont faux : il s’agit simplement de mises en lumière différentes de l’Histoire. » Grâce à ces phrases, les divers partis se calmèrent: ne sachant désormais plus choisir entre grossissement et rétrécissement, ils se contentèrent de rajouter un dernier bout de carton à la base de leurs sapins, où ils écrivirent, à l’unisson : « Invention de la frise en colimaçon », tous convaincus que cet événement était commun à toutes les disciplines et partis concernés.


Venons-en au deuxième événement de cette année 2020 qui bouscula le milieu archéologique, qui n’était pas sorti indemne de la douloureuse expérience de la frise en colimaçon. L’œuvre de Jack Humberton et les écrits de Deborah Asgreen avait inspiré à un ex-archéologue italien devenu pseudo-philosophe, Giovanni Astarmani, un livre d’une importance capitale, qu’il intitula Les valeurs du passé. Il y tentait d’établir une liste exhaustive de critères qui donnent à un événement et, plus particulièrement, à un artéfact – il avait rassemblé les termes sous le nom de res passata - sa valeur historique. Voici les quatre différents critères qu’il donne :


· - Le critère classique (classicum) : « l’importance causale ».

· - Le critère psychologique/culturel (populare) : « la valeur imaginaire ».

· - Le critère chronologique (temporale) : « l’ancienneté ».

· - Le critère matériel (materiale) : « la conservation ».


Il n’est pas nécessaire de vous dire que ces quatre critères divisèrent les archéologues et les historiens ; et pour mieux vous le faire sentir, revenons-en à nos personnages, qui s’ennuient vraisemblablement du manque d’attention que nous leur avons portés.


Sans surprise, Archambault considérait que la valeur du passé s’évaluait à son rayonnement culturel, littéraire et imaginaire, à l’aura que produit aujourd’hui la res passata sur la culture (ses mots de prédilection étaient : « héritage et patrimoine »).

Helen Marcuse, quant à elle, espérait secrètement, en « attendant les résultats avec impatience », la date la plus reculée possible, qu’il s’agisse d’un tesson misérable ou d’une statue chryséléphantine.

Louis, sans surprise non plus, se réjouissait face à tout type d’artéfacts relativement bien conservé, le privant ainsi du casse-tête de devoir les recomposer.

L’Allemand, cependant, à qui le terme de « classique » choisi par Astarmani plaisait beaucoup, pensait qu’en toute évidence un événement ou un artéfact avaient une valeur historique dès lors qu’ils étaient significatifs dans l’histoire globale; parallèlement, il avait toujours soutenu avec véhémence la validité de la première frise, celle de Jack Humberton.


Seul notre ami belge, Van Haverbeeke, était d’avis qu’aucun de ces critères n’avaient prééminence ; bien plus, il considérait qu’un critère importantissime avait été délaissé: le critère de contradiction, ou de singularité. Selon Van Haverbeeke, ce qui fondait la valeur historique d’un objet ou d’un événement du passé était la façon dont il contredisait et remettait le discours historique en cause ; autrement dit, la singularité, l’accident historique, le défaut dans la cuirasse. Sa propre frise chronologique, telle qu’il l’imaginait, était composée d’événements anormaux, marginaux, de trouvailles bizarres et inexplicables, de telle sorte qu’on fût incapable d’y voir une causalité, une continuité, un discours.


Chacun de nos personnages connaissait plus ou moins les avis de leurs futurs collègues (mis à part Louis), pour s’être tous renseignés les uns sur les autres. Ils avaient donc hâte d’en découdre lorsque, en ce mois d’octobre, ils avaient été appelés par des collègues grecs pour former une équipe internationale chargée d’aller fouiller, au large de l’île de Cythère, une singulière épave millénaire contenant des trésors enfouis et inespérés d’une civilisation méconnue.


lecture 49 lectures
thumb 0 commentaire
1
réaction

Commentaire (0)

Tu dois être connecté pour pouvoir commenter Se connecter

Tu aimes les publications Panodyssey ?
Soutiens leurs auteurs indépendants !

Prolonger le voyage dans l'univers Aventure

donate Tu peux soutenir les auteurs qui te tiennent à coeur

promo

Télécharge l'application mobile Panodyssey