

Chapitre I : Personnages
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Chapitre I : Personnages
« Si quelqu'un a imputé des sortilèges à quelqu'un (d'autre) mais ne l'a pas confondu, celui à qui des sortilèges ont été imputés ira au dieu-fleuve ; il plongera dans le dieu-fleuve et si le dieu-fleuve s'en empare, son accusateur prendra pour lui sa maison. Si le dieu-fleuve innocente cet homme, il s'en réchappe, celui qui avait imputé des sortilèges sera mis à mort ; celui qui a plongé dans le dieu-fleuve prendra pour lui sa maison. »
Code d’Hammourabi (§2, env. -1750 av. J.C)
I – Personnages
Victor Archambault, rédacteur hebdomadaire à La Revue d’Archéologie : hautain, appliqué et travailleur, a vécu sa jeunesse comme pupille de l’Etat, étudié les lettres classiques à l’Ecole Normale Supérieure, est légèrement sexiste mais convaincu du contraire (précisément, il affirme: «Je suis féministe, mais seulement de la deuxième vague »). Il est également certain de mieux comprendre les sites qu’il étudie que ses habitants « ignares et inconscients de la beauté du passé ». Jeune père de deux filles. Blond et grand. Destiné à une vie courte et brillante. N’aime pas : les paresseux, les guêpes ainsi que tous les insectes qu’il ne connait pas, les féministes de la quatrième vague, le pape, et les chemises non repassées. Aime: les écrivains romantiques, réciter tacitement ses déclinaisons grecques et latines, pour, disait-il, « entretenir sa mémoire comme Ulysse », les matelas durs, l’ornithologie, et Pierre Grimal.
Son futur collègue, Pieter van Haverbeeke: belge, diplômé de l’Université Catholique de Louvain, l’accent néerlandais, le « r » roulant (mais pas toujours), lucide et conséquemment alcoolique, convaincu d’être encore conspué dans le milieu universitaire (ses théories sur « l’autre modèle démocratique perse »* ne sont pas passées), il a la cinquantaine, le visage rougeaud, des petits yeux noirs comme ceux d’un blaireau, des cheveux sombres, en bataille, aux fils grisés ; surnommé par ses anciens collègues « Le Blaireau », il hait secrètement et malgré lui les français et les américains (les états-uniens, précise-t-il). « Etonnamment grand », le disait-on : il est vrai que, à regarder ses photographies professionnelles, qui ne dévoile que son buste, l’on devine : un visage rond et gras, rongé par l’alcool, la barbe mal brossée, un bidon empoté, la « penche de bière » ; bref, le type même du belge trapu qu’on imagine petit, avançant à pas minuscules, parlant en onomatopées et s’esclaffant pour un rien. Si bien que, par expérience, il attendait de Victor Archambault qu’il dise rapidement : « Je vous imaginais plus petit », pour pouvoir répondre, ainsi qu’il le préparait en marmonnant depuis la matinée : « On m’le dit souvent ».
*Après avoir longuement travaillé sur la législation des royaumes mède et babylonien, que Van Haverbeeke disait « doté d’un système de rétribution parfois absurde mais traduisant, bien avant l’heure, l’exigence d’une égalité devant la loi et la présence, œil pour œil et dent pour dent, d’une justice proto-biblique », son analyse, encore plus controversée, d’une prétendue « démocratie perse, basée non pas sur un vote chaotique à vocation démagogico-ostracisante tel qu’illustré par Athènes, mais sur la tolérance, de Cyrus le Grand à Cambyse II, et le consensus des intérêts particuliers », fut tout simplement rejetée. Longtemps critiqué dans le milieu universitaire belge, il s’est également fait refuser la publication d’un manifeste autobiographique intitulé Le Réveil de l’Archéologue, sur « la censure dans la recherche archéologique » et « le milieu conservateur de l’historiographie antique ». Depuis ce double refus, Van Haverbeeke a tout simplement renié ses propres théories en pleine conférence universitaire, embrassé pleinement le travail sur le terrain ainsi que les boissons alcoolisées à l’anis.
Helen Marcuse : américaine, professeur(e) émérite d’archéologie et d’histoire ancienne de l’Université de Denver, la voix terne, neutre et poussiéreuse comme le résultat d’une déformation professionnelle ; s’est parfaitement adaptée à la « technologisation » de la discipline, tant et si bien qu’elle avait arrêté, lors d’une trouvaille, d’émettre des hypothèses et, comme elle le disait souvent sur Twitter, « attendait les résultats avec impatience ». Depuis dix ans, agassée qu’on lui reproche de ne parler que l’anglais, elle apprend l’allemand, qui ne lui a été (jusqu’à ce jour) d’aucune utilité.
L’Allemand : le méchant de notre histoire. Non pas que tous les antagonistes d’une fiction multiculturelle dussent être allemand à cause d’un passé national encore et toujours en expiation ; mais il faut reconnaître que les allemands, depuis Heinrich Schliemann, font mauvaise presse dans la discipline archéologique ; l’on dit souvent des allemands, en effet, (selon un vieil adage d’archéologue) qu’ils « confondent la brosse d’avec la pelle ». De l’Université de Nuremberg, ce quarantenaire déterminé est le chef de son département, auteurs de nombreux ouvrages référents sur les sites grecs d’Asie Mineure, des Iles Egéennes, de Samos et du Dodécanèse. Considérant que « l’archéologie est une course, pas une promenade de santé », il est connu pour avoir voler la vedette à de nombreux collègues étrangers. Grand fan de cyclisme, célibataire entêté, il passe ses vacances d’été avec ses amis cyclistes dans les Alpes autrichiennes, à « tourner les jambes » le matin, et regarder le Tour de France l’après- midi.
Louis : sans véritable importance pour notre histoire, son travail méticuleux et acharné se doit néanmoins d’être récompensé par cette brève mention. Sans aucune connaissance archéologique, il est bègue et habituellement silencieux, presque chauve, le corps maigre et saillant, courbé mais solide, passe des heures à reconstituer les poteries, céramiques, mosaïques, pièce par pièce, des heures durant, jour après jour, le visage impassible, la chemisette blanche jaunie par la crasse, le dos affreusement plié. Ayant une aptitude particulière aux puzzles dès sa jeunesse, il ne semble jamais penser au futur comme source d’un trouble, étant certain de trouver toujours du travail quelque part. Chargé également de numéroter, classer, répertorier chaque tesson, il semble habituellement si obnubilé qu’on ne devine pas, derrière ce masque imperturbable, ces mains précises, une âme de grand amoureux : car Louis aime une femme, j’en suis certain ; il n’y qu’elle qui lui fasse détourner la tête de ses puzzles antiques et se perdre son regard sur le sol, un sourire au coin des lèvres.
Il est certain que d’autres personnages feront leur apparition au cours de cette singulière histoire qui modifia considérablement leur destin, et devaient les lier à tout jamais. Où allaient-ils ? Nous ne le savons pas encore, mais ce qui est sûr, c’est que leurs chemins se croiseront précisément là où tous les chemins se sont perdus et créés : le passé. Avaient-ils des secrets ? Certainement. L’un d’entre eux allait-il mourir ? Probablement. Ils étaient loin de savoir, cependant, que tout le bien-fondé de leurs connaissances ne leur servirait à rien face au mystère que je leur avais concocté.

