Augustine se réveilla frigorifiée au pied du menhir mais pleine d’espoir suite à son songe, elle suivit la route vers la chapelle Sainte-Christine. A la croisée des chemins, elle rencontra la femme d’un meunier qui se trouvait devant son moulin. Affamée, elle lui demanda l’aumône. La femme, craintive devant l’aspect négligé de la jeune fille, et ne voulant surtout pas faire entrer la peste chez elle, mentit, et lui dit qu’elle n’avait plus rien à manger… alors que trois beaux pains venaient de sortir du four. Augustine, avant de reprendre son chemin lui dit :

- Tu as raison, tu n’as plus rien à manger à présent.

Quand la meunière rentra à l’intérieur du moulin, ses trois pains s’étaient transformés en trois galets.

Elle décida alors de suivre le chemin qu’avait emprunté Augustine pour savoir où elle allait… Celle-ci était déjà arrivée dans le hameau de Sainte-Christine et entrait dans le placître magnifiquement arboré. Il y avait du monde ce jour-là au pied du grand calvaire. En effet, c’était le jour de la vente publique du cochon. Il était de tradition, dans ce kordennad, d’honorer la statue de Saint Antoine, le protecteur des cochons. Pour ce faire, au pied de son autel, dans la chapelle, il y avait une niche richement ornée dans laquelle chaque habitant venait y déposer un morceau de cochon quand il en tuait un. Quand le charnier était plein, comme aujourd’hui, la vente s’organisait. Augustine se mêla à la foule et demanda à l’un des surenchérisseurs, de lui donner un morceau du cochon qu’il avait remporté. Avant que celui-ci n’ait le temps de répondre, la femme du meunier intervint et annonça :

- Cette jeune fille est soit une sainte, soit une sorcière. Elle a transformé mes pains en galets quand j’ai refusé de lui en donner. Si vous ne voulez pas voir vos greniers transformés en grève, donnez-lui ce qu’elle demande.

Tous les visages se tournèrent alors vers Augustine et l’animosité gagna immédiatement la foule. Augustine ressentit alors la même peine que Sainte Christine à l’époque, incomprise dans sa foi. Elle monta alors en haut des marches du calvaire et fit face à la foule.

- Hommes et femmes de Plougastel, rappelez-vous de Saint Gweznou que vous priez à la fontaine en contre bas de votre chapelle. Quand il est arrivé en Bretagne, il dut dormir sur une pierre ou dans la forêt car tous les habitants lui avaient refusé l’asile. Alors, le seigneur des terres où il s’était réfugié, le comte Konomor, lui avait lancé un défi :

- Je t’accorderai autant de terres que tu arriveras à en clôturer, en une seule journée ! Et tu pourras y construire un monastère ou un simple ermitage selon tes efforts.

Le Saint avait donc prit une fourche et l’avait traîné toute la journée derrière lui, sans effort. Comme par magie, au fur et à mesure qu’il avançait, un fossé se creusa et un talus s’éleva en même temps. A la fin du jour, le comte Konomor ne put qu’abdiquer devant Saint Gweznou qui avait clôturé un terrain immense, voué au culte de Dieu.

- Saint Gweznou est prié dans votre fontaine, vous connaissez son histoire. N’oubliez pas :

Seuls, nous sommes pauvres. Ensemble, nous sommes riches. Laissez toujours un couvert à table pour le Pilahouer⁽¹⁾ qui pourrait passer par chez vous. Partagez ce que vous avez semé et vous récolterez les fruits de vos bonnes actions. Dans ces temps difficiles de maladies et de disettes, soyez encore plus généreux entre vous et le Ciel sera clément envers nous.

Augustine descendit alors les marches du calvaire sous les yeux des habitants circonspects, et récita un De Profundis que la foule répéta machinalement après elle. Ensuite, elle débuta une procession autour de la chapelle et en fit trois fois le tour, suivie au fur et à mesure, par les enfants du village. Ils chantèrent ainsi les vingt-neufs couplets du cantique breton relatant la vie de Sainte Christine en faisant tinter leurs clochettes. Ils entrèrent ensuite dans la chapelle, en passant sous les reliques et en prenant bien garde de ne pas les toucher sous peine de coups de bâtons. Et ils allèrent chercher les huit statuettes qui étaient réservées aux processions. Quand ils sortirent avec les statuettes, les faisant sauter au-dessus de la foule au son de leurs clochettes, les habitants se mirent à genoux et prièrent pour sauver leurs âmes et celles de leurs voisins.

Une fois la procession terminée, tous les habitants quittèrent le placître pour y revenir rapidement, portant les mets qu’ils gardaient en réserve dans leurs greniers. Un banquet fastueux fut organisé où chacun amenait ce qu’il pouvait et tous partageaient leur joie de vivre. Le curé Baod, passant par là, s’arrêta pour jauger de la situation et découvrit qu’Augustine était au centre du banquet. Après un rapide sermon, le curé expliqua à la foule les miracles qu’il y avait eu lors des passages d’Augustine dans les quatre dernières chapelles et les habitants furent alors tout à fait convaincus, de la bonne parole de la jeune fille. Le curé Baod bénit alors l’assemblée, par deux fois dans les deux bénitiers à l’intérieur de la chapelle et une troisième fois, dans le bénitier à l’extérieur. Il prit alors Augustine sur sa charrette, pour la ramener enfin à sa mère qui se languissait de savoir ce qu’elle était devenue.

⁽¹⁾Les Pilahouer étaient des chiffonniers ambulants qui vendaient dans les fermes leurs articles manufacturés et qui en échange des informations qu’ils diffusaient, des chants et des contes traditionnels recevaient le gîte et le couvert chez l’habitant.