Siegfried est désormais le plus heureux des hommes, mais il y a un hic : le Bockfiels est situé sur une terre qui ne lui appartient pas et sur laquelle il ne s'est retrouvé qu'en s'y perdant. En se renseignant, il apprend bien vite que c'est une terre qui appartient à l'Abbaye de Saint-Maximin à Trèves.

Siegfried commence à réfléchir. Il a beau être comte, il n'est pas riche. Mais il y a bien cette seigneurie de Feulen, près d'Ettelbruck, qui n'a jamais présenté un très grand intérêt pour lui... L'idée d'un échange fait son chemin dans son esprit. Il en fait la proposition à l'Abbaye de Saint-Maximin, qui accepte, et c'est ainsi qu'il devient propriétaire du Bockfiels et de la vallée de l'Alzette.

Il devient donc le seigneur des terres sur lesquelles habite Mélusine, ce qui facilite indéniablement les choses, mais alors il hérite d'un autre problème. Mélusine n'est certes pas prête à le suivre dans son château de Koerich, quelle qu'en soit la raison (qu'il a juré de ne pas chercher à connaître), mais il ne peut décemment pas non plus habiter avec elle au creux d'un rocher, quoi que sa belle semble en penser.

Mélusine lui a bien parlé d'un fort.

Siegfried est allé reconnaître les lieux, et il y a bel et bien un vieux fort romain au sommet du Bockfiels. Mais en vérité il est en ruines, et même au temps de sa splendeur, il n'était visiblement qu'un simple poste d'observation. Il est à mille lieues de faire l'affaire pour une véritable demeure seigneuriale. D'ailleurs il n'y a pas assez de place pour construire quoi que ce soit de grandiose au sommet de ce rocher.

Or qu'est-ce qu'un seigneur sans un château ? Il lui faut bien un château digne de ce nom pour loger sa comtesse, ne serait-ce qu'aux yeux du monde. Même si apparemment, Mélusine ne s'en rend pas bien compte et se déclare prête à vivre avec lui d'amour et d'eau fraîche au fond de sa grotte. Lui, au moins, a un meilleur sens des réalités de ce bas monde, et aussi de leur poids.

Mais le problème, c'est que Siegfried n'a plus de ressources.

Il n'a plus de terres à vendre ou à échanger : la seule véritable demeure seigneuriale qu'il possède encore est à Koerich, et il n'est pas assez riche pour se permettre de mettre à bas les ruines du vieux fort et construire un deuxième château, si petit soit-il, sur le Bockfiels. Il ne voit pas d'acquéreur potentiel pour Koerich, et certainement aucun qui serait prêt à lui en donner le prix qu'il lui faudrait pour pouvoir abattre des ruines et construire un château tout neuf.

Emprunter l'argent ? Auprès de qui ? Qui parmi ses connaissances en possèderait assez ? Et comment le rembourserait-il ? Quelqu'un d'autre serait-il d'ailleurs disposé à prêter, même s'il en avait les moyens ? Et puis, où lui, Mélusine et toute leur suite de domestiques habiteraient-ils en attendant que le nouveau château soit construit ?

Certes, Mélusine lui proposerait certainement de vivre dans sa grotte, mais ce qui ne serait déjà pas praticable s'il ne s'agissait que d'eux deux seuls le serait encore moins s'il fallait y ajouter toute la domesticité d'un seigneur même modeste.

Qui serait prêt à les héberger ? Sans oublier que ce qui poserait problème pour habiter à Koerich poserait également problème partout ailleurs.

De plus, s'il vendait Koerich pour construire un château sur le Bockfiels, beaucoup de gens n'y verraient qu'une lubie et se poseraient des questions, et son instinct lui dit qu'il vaut mieux ne pas trop attirer ce genre d'attention. Les questions et les ragots sont le début des ennuis, et ce n'est pas sans raison qu'il a toujours jusqu'à présent évité les mondanités.

Il commence à se dire qu'il a peut-être accédé trop facilement aux demandes étranges de Mélusine, qui est sans doute une femme exceptionnelle dans son genre, mais qui n'est visiblement pas très au fait des questions matérielles ni des conventions sociales. Pas qu'il ait jamais été lui-même un extraordinaire administrateur de biens ni un homme particulièrement mondain - au contraire, il s'est jusqu'à présent plutôt laissé vivre au fil de ses campagnes de chasse - mais un seigneur qui se marie est fatalement amené à considérer les choses sous un jour nouveau. Surtout si sa belle ne suit pas les usages en le suivant dans son château, et l'oblige ainsi à rechercher des solutions innovantes qui sont certes concevables en théorie mais hors de sa portée en pratique.

Et les réflexions bien concrètes que sa nouvelle situation lui inspire ne le satisfont pas vraiment.

Musique : Max Richter - November (video 2024)

Épisode 9 : Le pacte de sang

Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos