Épisode 43 : Confrontation
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Épisode 43 : Confrontation
Mélusine ne peut pas prétendre qu'elle ne s'attendait pas du tout à une déclaration du genre.
Bien sûr, elle aurait aussi pu s'attendre à des reproches ou même à une demande de comptes en règle pour l'avoir soi-disant abandonné, mais pour cela il aurait fallu beaucoup d'audace et un vide remarquable du côté de la conscience. Au moins ce n'est pas le cas. Il se rend compte de ce qu'il a fait et il réalise que c'est grave.
Il n'en reste pas moins que s'humilier, et le faire d'une façon aussi simple, aussi directe, ce n'est pas vraiment son genre et ça, elle ne s'y attendait pas.
Une part d'elle-même se dit que puisque son humiliation à elle a été publique, son humiliation à lui devrait l'être tout autant.
Mais une humiliation publique volontaire est-elle sincère ? N'est-ce pas plutôt une façon de se donner le beau rôle ? S'il avait dû lui demander pardon devant quelqu'un d'autre (Geerty ?), l'aurait-il fait de cette voix cassée qui peine à sortir de sa gorge et qui, elle, ressemble beaucoup plus à l'effort qu'une telle demande représente pour lui, habituellement si fier, voire orgueilleux ? Ce n'est pas seulement le fait en soi qu'il lui demande pardon qui la touche - c'est aussi la voix qu'il a eue pour le faire, qui lui dit qu'il est sincère.
Mais cela peut-il suffire ?...
Pendant que son cerveau fonctionne, elle reste silencieuse, immobile.
Alors la même voix cassée, étranglée, résonne encore.
- J'ai été lâche. Je le sais.
Puis, comme elle ne réagit pas, il laisse doucement retomber la tête en avant.
Alors elle s'approche de lui, lui prend le menton dans la main et lui relève le visage.
- Comte Siegfried de Lucilinburhuc.
Elle met son titre en avant pour arriver à prononcer son nom, et malgré cela, quand il traverse sa gorge, il la lui déchire, l'ampute de ses poumons, lui écorche la langue et lui sectionne les entrailles.
Siegfried encaisse le coup quand il entend la voix de Mélusine déchiqueter son nom.
Elle lui lâche le menton, s'éloigne vers le mur opposé à la porte, se retourne. Siegfried la suit des yeux.
- Sept enfants. Quinze ans de mariage. Seize ans de connaissance. Ce château. Cette ville. Tout ce que nous avons construit ensemble, traversé ensemble. Je croyais te connaître. Mais finalement, je ne sais rien de toi. Tu es un étranger.
Les yeux de Mélusine... Siegfried a toujours aimé ce mélange de bleu et de vert qui lui rappelait l'eau ou les pierres précieuses. Aujourd'hui, il découvre qu'ils peuvent aussi avoir l'opacité de la boue et du poison. Une couleur qui, au milieu de ces yeux auxquels la colère donne des pointes acérées, lui fait peur.
- Qui es-tu, Siegfried ?... Sais-tu seulement toi-même qui tu es ?
Siegfried avale sa salive - difficilement. Les paroles de Mélusine - pas du tout. Il les encaisse comme autant de coups de poignard.
- Sais-tu que je devrais normalement te haïr jusqu'à la fin des temps pour ce que tu m'as fait ?
Siegfried a un mouvement de protestation, mais il se ravise. Il détourne la tête, regarde à nouveau devant lui.
- Tu n'es pas obligée de me pardonner. Tu as le droit de ne pas le faire. Mais...
Il tourne à nouveau la tête vers elle.
- ... je te le demande, Mélusine.
Cette voix - si basse, presqu'inaudible par moments.
Cette voix qui la touche malgré elle au cœur et au ventre.
Mélusine lutte pour ne pas faiblir. Si elle doit céder, il ne doit au moins pas avoir la tâche trop facile. Ne pas croire qu'il lui suffira de dire un "pardon" et de rajouter deux ou trois prières par-dessus pour que la souffrance d'autrui s'efface comme par miracle - et pour que la confiance se regagne.
C'est beaucoup plus difficile que ça. Beaucoup plus compliqué que ça.
Et pourtant... ne faut-il pas peut-être plus de courage pour l'humilité que pour l'orgueil ? Si Siegfried a cette voix si basse, étranglée, cassée, à peine audible, n'est-ce pas parce qu'il est épuisé ? Et ce qui l'épuise, n'est-ce pas justement cet effort surhumain qu'il doit faire pour reconnaître ses erreurs ? Geerty aurait-elle raison, finalement ? N'a-t-il pas droit à une seconde chance ?...
Ils se regardent.
Elle se tait.
Elle voit l'expression de son visage passer de l'attente à une supplication muette, puis à la douleur, puis au désespoir. Puis il détourne la tête et regarde le sol devant lui.
Elle s'interdit de se laisser émouvoir. Toute une partie d'elle-même ne peut pas. Celle qui se dit que s'il a prouvé qu'il pouvait la blesser à ce point, il le refera encore. Celle qui se dit que si elle pardonne, il oubliera la gravité de son acte et il recommencera. Pardonner est un risque. On ne risque pas grand-chose à pardonner à un enfant qui fait une bêtise. Elle l'a assez fait avec les siens. Les bêtises d'un enfant, ça ne porte pas à conséquence. Mais ça ?...
Siegfried alors tire sur ses bras, prend des appuis, se lève. Son équilibre est mal assuré. Il lâche les colonnes du baldaquin, fait un pas en avant. Ses jambes ne le portent plus. Il s'affaisse.
Dans l'esprit de Mélusine, l'inquiétude prend le pas sur ses interrogations. C'est elle désormais dont le visage reflète l'appréhension. Après tout ce temps, il est encore si faible ?...
Elle s'avance, se penche pour l'aider à se relever.
Il l'arrête d'un geste du bras, et aussi du regard déterminé qu'il lève vers elle.
- Je ne veux pas de ta pitié.
Il prend appui sur ses mains, retourne vers le lit, s'y accroche. S'appuie sur le matelas, progresse vers la colonne du côté de la porte, se hisse sur elle pour se redresser. Il se remet debout. Marque une pause. Puis il se retourne et fait face à Mélusine, les mains derrière le dos s'accrochant à la colonne.
Mélusine n'a pas pu le quitter des yeux, fascinée.
Il la regarde bien en face.
- Si je te demande de me revenir, ce n'est pas par intérêt. Ce n'est pas pour ce que tu peux faire pour moi. Ce n'est pas pour avoir ta pitié.
Prononcer ces phrases lui prend du temps. Il a à peine encore de la voix et il cherche son souffle.
Mélusine réalise, abasourdie, qu'il est en train d'aller au-delà de ses forces. Qu'il lui en reste encore si peu... Quel est donc l'élan qui le pousse à les dépasser à ce point ?
C'est sa voix à elle qui perd son assurance.
- Alors... c'est pour quoi ?
Il lui plante les yeux dans les siens.
- Approche.
Elle fait un pas vers lui. Puis deux. Puis trois. Pendant ce temps, Siegfried cale son dos sur la colonne et assure sa position.
Puis, quand Mélusine est assez proche, il ferme les yeux, lui attrape les mains au jugé et l'attire à lui.
Alors, à la façon bien particulière dont il lui a saisi les mains, la mémoire revient à Mélusine - "es-tu réelle ?" - celle de ce jour-là où il l'a demandée en mariage seize ans auparavant, sous leurs pieds, dans une grotte au creux du Bockfiels.
Musique : Ludovico Einaudi - Night
Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos