Une branche qui craque. Tout de suite Mélusine dresse l'oreille. Quelque chose - ou quelqu'un... - s'approche.

Vite, à l'abri.

Là, au fond de la grotte. Dans ce trou où les humains ne vont jamais - là, à côté de la cascade, celle qui mène à la rivière souterraine qui rejoint l'Alzette un peu plus loin en aval. Il ne s'agit pas de fuir par l'Alzette - du moins pas encore. Mais il s'agit de se cacher. Et, en même temps, d'identifier le danger.

Ce n'est pas la première fois ces derniers mois que ce genre de chose arrive. Et il ne s'agit pas juste d'animaux. Il s'agit bien d'humains. Enfin - d'un humain.

Cela fait quelques mois déjà qu'elle remarque qu'on la suit depuis le château. Pas systématiquement tous les samedis, non - ce serait trop voyant. Mais souvent. Et elle a déjà plusieurs fois identifié Jang. Le valet de chambre de Siegfried. Le mari de Geerty.

Geerty dont elle a aussi remarqué la gêne ces mêmes derniers mois.

Essaie-t-on de profiter de la position de Geerty auprès d'elle pour lui demander de l'espionner ? Jang lui-même en premier, probablement ?

Mélusine en est sûre.

Et comme il y a bien des années, probablement aussi, Geerty est déchirée intérieurement par des conflits de loyauté. Entre Madame la Comtesse, d'une part, pour laquelle elle éprouve, quoi qu'on en dise, une véritable affection - et Jang son mari, et les autres domestiques qui partagent sa condition. Jang dont la loyauté, elle, va à Monsieur le Comte.

Il est évident que Siegfried, qui n'a désormais plus confiance en elle, va au-delà de la parole qu'il lui a donnée autrefois et cherche à savoir où elle est. Et ce qu'elle fait de ses samedis. Elle a déjà entendu Siegfried s'emporter sur Jang à plusieurs reprises - comme il sait le faire quand il est vraiment en colère. Et il n'est pas exclu qu'il remette de temps en temps à Jang une belle pièce d'argent ou même d'or pour le motiver à rapporter des informations. Ni qu'il ait promis la même pièce à Geerty, ce qui met cette dernière évidemment sous pression. Quand les moyens sont limités, on voit beaucoup de choses à faire avec une belle pièce en métal précieux. Et Siegfried sait se montrer généreux, quand il veut...

Sauf que Jang n'est pas très adroit pour se cacher.

Quoiqu'une fois, elle ait été bien près d'être découverte, au début. À ce moment-là, elle se dissimulait encore dans ce renfoncement près de l'entrée de la grotte - là où elle se cachait au début, il y a si longtemps, quand Siegfried venait l'y trouver pour lui faire sa cour. Là, aussi, où elle s'est réfugiée lors de la nuit de terre, de peur, de terreur où la Petite Forteresse a surgi du néant. C'était là aussi qu'elle laissait ses vêtements. Ce jour-là, où elle a bien failli être découverte, elle n'a dû son salut qu'à la peur et au manque de détermination de Jang, qui n'a pas osé explorer la grotte jusque dans ses moindres recoins. Mais elle a immédiatement compris que sa cachette avait cessé d'être sûre et qu'elle devrait s'en chercher une autre pour les fois suivantes. Elle l'avait échappé belle une fois, mais elle n'en réchapperait pas une deuxième. Il ne faut jamais tenter le destin... Alors, se doutant bien que les humains n'oseraient pas trop s'approcher du fin fond de la grotte et de la cascade, elle a cherché un abri de ce côté-là et elle y a trouvé cette petite grotte secondaire, ce petit espace dont elle-même ignorait l'existence jusqu'alors et dont elle a fait sa cachette, son vestiaire et son refuge depuis. C'est là aussi qu'elle entrepose ses cristaux et ses talismans. Mieux vaut être prudente désormais...

De sa cachette, elle voit apparaître Jang dans l'ouverture de la grotte. Il fouille un peu partout, lentement, prudemment - y compris dans son ancienne cachette. Comme Siegfried dans un tout autre contexte, il prend son temps... Mais cette fois encore, il ne trouvera rien.

Elle ne le regarde pas avec trop d'insistance, pour qu'il ne se sente pas observé.

Il s'avance assez loin dans le fond de la grotte, mais il n'ose pas prendre le risque d'aller trop loin au niveau de la cascade. D'autant moins qu'il ne s'imagine même pas qu'elle ait pu avoir besoin d'aller de ce côté-là pour cacher d'éventuels méfaits. Il se dit que si, comme Monsieur le Comte le soupçonne, Madame la Comtesse va rejoindre un amant, ce n'est pas pratique de le faire là-bas. L'endroit lui paraît trop dangereux, trop risqué. Aucun des deux n'a sûrement envie d'aller jusqu'à risquer sa vie pour un rendez-vous galant clandestin. L'enjeu n'en vaudrait pas la chandelle. Si c'est bien ça qui se passe, il se dit qu'il le font sûrement ailleurs. Dans un endroit caché, certes, mais plus sûr.

Comme malgré toutes ses investigations, il n'a encore rien trouvé, une fois de plus, il ressort de la grotte. Bredouille. Et contrarié. Monsieur le Comte va encore gueuler. Pourtant, s'il échoue, ce n'est pas faute d'essayer, et s'il ne trouve rien, ce n'est pas faute de chercher.

Mélusine attend. Elle écoute les craquements de branches, que Jang n'arrive pas à éviter.

Ils s'éloignent. Mélusine respire.

Quand ils se sont suffisamment éloignés, soulagée, elle ose enfin sortir de sa cachette.

Elle pousse enfin un grand soupir libérateur.

Elle aussi lutte pour sa survie.

Finalement, est-elle si différente du reste de l'univers ? Est-elle si différente de ce monde sur lequel elle essaie de porter un jugement comme si elle n'en faisait pas partie ?

Est-elle si différente des humains ?

Est-elle si différente de ces humains qui la rejettent, qui la pourchassent, qui la traquent ?

Est-elle si différente de Siegfried ?...

Elle aussi a ses secrets, qu'elle ne peut confier à personne sous peine de courir elle aussi un risque vital...

Comme Siegfried.

Selon lui, il paraît qu'un lien sacré les unit. Un lien sacré, un lien maudit, elle ne sait pas trop bien. Un lien indéfectible au-delà de celui du mariage.

S'agit-il de leur fluide, dont la force varie certes mais ne s'épuise jamais ?

Elle veut bien le croire. À ce sujet, elle est prête à croire tout ce qu'on veut, en fait.

Mais à quoi bon ce lien, si fort et si éternel soit-il, s'il ne leur permet pas de s'allier pour survivre ? Que ce soit ensemble ou séparément ?...

Musique : Zack Hemsey - The Way (Instrumental)

Épisode 87 : Éboulement

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