Le cœur de Mélusine a beau battre encore toujours un peu plus vite à la vue de Siegfried, elle doit bien admettre en son for intérieur que la vie parmi les humains est encore plus difficile qu'elle le pensait.

La magie est encore là, et Siegfried garde encore son port droit et sa posture conquérante, un pied posé sur l'une des marches qui longent le chemin de ronde de la Petite Forteresse, mais elle le connaît assez maintenant pour voir au-delà des apparences. Son port est droit, mais pas altier, et son visage est de plus en plus soucieux avec les années. Son regard est souvent perdu au loin, sans rien regarder de précis mais plongé dans ses pensées. Il semble peser sur ses épaules une chape sombre qui étouffe peu à peu la belle lumière qu'elle a tant aimée en lui, qui n'arrête pas de s'alourdir avec chaque année qui passe, et qu'elle s'est montrée jusqu'ici impuissante à soulever. Et ce n'est pas le moindre des poids qui pèsent sur son cœur depuis qu'elle porte l'alliance de Siegfried - et lui la sienne. Et pour ne rien arranger, jamais il ne s'est ouvert à elle de ce qui le préoccupe.

Évidemment, elle ne peut pas lui reprocher d'avoir des secrets envers elle. Elle-même en a bien envers lui ! Et pas des moindres. Ceux de Siegfried sont-ils du même ordre ? Sont-ils aussi graves ? En tout cas elle ressent sa détresse. Et cela pratiquement depuis le début. Depuis qu'ils sont mariés et qu'ils vivent dans ce château.

Elle s'approche de lui et pose la main sur son front. En réponse, il enroule son bras autour de sa taille. Il la laisse poser la tête au creux de son épaule. Mais elle sait qu'il ne faut pas se fier aux apparences. S'il veut la protéger, c'est de lui-même. Elle le sait par son regard qui reste fixé au loin, sans se détourner, sans la regarder. Elle le sait par sa tête qui reste dressée et qui ne s'incline pas vers elle. Elle le sait par son silence. Et pour cela, elle n'ose pas enrouler à son tour le bras autour de sa taille. Elle sent qu'il lui faut respecter cette distance. Humaine ou pas, on ne trompe pas l'intuition d'une femme amoureuse.

Les humains disent que c'est aux hommes de protéger les femmes, mais là, c'est elle qui a envie de le protéger, lui. Et quel mal y aurait-il à cela ? La louve ne s'enroule-t-elle pas autour du coup de son loup pour le protéger des morsures de ses rivaux ? Que connaissent les humains de la nature. Elle le devine si fragile... Malgré les apparences. Malgré sa stature et sa constitution physique. Malgré sa force dans les combats des tournois.

Elle a toujours ressenti en lui comme une intensité désespérée... elle déteste cette expression bateau si typiquement humaine, mais elle ne voit pas comment mieux dire, elle ne peut le dire qu'avec des mots d'humains : quelque chose d'intense, de désespéré, qui imprègne tout ce qu'il fait, dans tous les domaines. Parfois même ce qu'il dit. Jusque dans les rituels qui les unissent loin des regards du monde.

- Tu es ce que j'ai de plus cher au monde, tu es tout pour moi, si je te perds je perds tout.

Combien de fois l'a-t-elle entendu murmurer ces mots dans ces moments-là, à voix si basse qu'elle l'entendait à peine, mais elle l'entendait quand même. Voilà bien une chose qui lui dit que c'est lui qui se raccroche à elle et non l'inverse. Elle le sent quand il la touche. Elle voudrait tellement le sauver de ce qui l'oppresse et l'assombrit. Elle voudrait tellement le délivrer et revoir sur son visage la belle lumière qui l'a tant attirée autrefois. Mais comment peut-elle le délivrer si elle ignore quelles sont ses chaînes ?...

Ou bien ses chaînes à lui sont-elles du même ordre que ses chaînes à elle : indestructibles et indicibles ?... Tes chaînes à toi et mes chaînes à moi, qui nous séparent et pourtant nous unissent... c'est la prière muette qui lui vient à l'esprit. Enfin, pour elle, c'est une prière. Une forme de prière. Mais en serait-ce une pour les humains ?

Musique : CLANN - I Hold You

Épisode 13 : L'étrangère

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