Chapitre 3 - POV Lia
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Chapitre 3 - POV Lia
La journée est déjà bien entamée quand j’arrive aux abords de la route qui mène à Taylorville, petite ville de quelques milliers d’habitants située à la lisière de la forêt de Greenvalley. Le siège de l’entreprise d’Alpha Rémus s’y trouve depuis des années et de nombreux loups de la meute y travaillent. Ils se sont spécialisés dans la protection rapprochée et la surveillance. L’activité idéale pour des métamorphes. Pas besoin de justifier l’allure de bodybuilder lorsque l’on joue les gardes du corps ou les hommes de main.
Heureusement pour moi, le fait d’être restée dans l’ombre facilite ma présence ici. Il y a très peu de risque que quelqu’un ne me reconnaisse, mais je demeure vigilante et prudente. Je suis un loup solitaire et je me trouve sur le territoire de la meute de la Lune rouge. La loi est très claire. Elle stipule que tout surnaturel doit obligatoirement se présenter aux alphas, quelle que soit la raison de sa venue, sous peine d’être considéré comme un ennemi et d’être exécuté sans même un procès. Je sais exactement où je dois me rendre, pourtant je ne le ferais pas. La mort me semble bien plus douce que ce qu’il m’attend si je vais à la tour LR. Luna Alice se donnerait un plaisir fou à me punir pour mon évasion. Elle l’a déjà fait tant de fois. Depuis la disparition de mes parents, je suis devenue son souffre-douleur. Fouet, collier en argent, privation de sommeil… son imagination est sans limite. Et sa cruauté aussi. J’ignore ce qui me vaut son mépris et sa haine, mais elle est impitoyable avec moi. Comme si elle voulait me faire payer quelque chose. Quoi ? Aucune idée, ce n’est pas faute d’avoir essayé de la comprendre. Les premières années, tout du moins. Puis j’ai arrêté, pour me concentrer sur ma propre survie, restant le plus possible dans ses bonnes grâces. Elle a tenté de me briser un nombre incalculable de fois, toujours plus inventive et sadique, sans jamais éveiller les soupçons des autres membres de la Lune Rouge. Lorsqu’elle ne me torturait pas, elle m’injectait de l’aconit. Combien de fois je me suis réveillée attachée à mon lit, Luna Alice au-dessus de moi une seringue à la main… Mais c’est fini. Je ne suis plus seule. Je suis forte grâce à Nila. Elle est sauvage et protectrice. Elle ne laissera plus personne me faire du mal.
Je rabats ma capuche sur ma tête et me recroqueville pour ne pas attirer l’attention sur moi. À une époque, je connaissais les rues par cœur. J’avais des amis ici, des habitudes. Aujourd’hui, je n’ai plus rien. Je ne peux compter sur personne pour m’aider, pour m’offrir un abri temporaire. Pas depuis les funérailles de mes parents. Je n’avais même pas eu le droit de terminer le lycée. Quand j’avais demandé pourquoi, Luna Alice m’avait regardé avec dédain avant de me cracher qu’il était inutile d’être instruite pour servir. Moi qui rêvais de devenir un jour médecin de la meute, sa réponse m’avait fait l’effet d’une gifle. En une nuit, j’avais perdu ma famille et mes espoirs.
Une larme vient s’écraser sur ma poitrine. Je n’avais même pas conscience que je pleurais. Dire que je pensais avoir tiré un trait sur mes aspirations. Il faut croire que je suis dans le déni et que je me mens pour ne pas avoir à affronter la réalité. Les mois qui ont suivi le meurtre de mes parents, j’avais emprunté presque tous les livres de biologie que j’avais pu trouver à la bibliothèque. J’étudiais le soir après mes corvées, entre deux punitions, jusqu’à ce que Luna Alice ne me surprenne. Elle n’avait pas haussé la voix. Elle ne m’avait pas frappé. Elle était restée froide et souriante. Mais le lendemain, tous les ouvrages que j'avais soigneusement caché dans ma chambre avaient été confisqués et des gardes étaient postés devant la maison de la meute m’interdisant d’en sortir, sauf pour me rendre sur le marché. Plusieurs fois, j’avais réussi à échapper à la vigilance des deux colosses qui me suivaient partout, mais ça n’avait servi à rien. Tous les bâtiments de notre communauté m’étaient fermés. Et chacun des membres m’ignorait. C’est ainsi que j’ai commencé à disparaitre aux yeux des autres. Que je suis devenue totalement transparente.
Le panneau « Bienvenue à Taylorville » apparait devant moi. Juste derrière, un petit restaurant routier qui ne paye pas de mine. Un de ceux qui attirent les jeunes comme les vieux qui n’ont que quelques dollars en poche. Un de ceux qui vous offrent un peu de chaleur, qui que vous soyez. Exactement ce dont j’ai besoin en ce moment.
Je pousse la porte, toujours cachée sous ma capuche, et marmonne un bonjour. La serveuse ne m’accorde pas même un regard, tout comme les clients. Parfait. Je n’ai pas prévu de m'installer ici plus que nécessaire. Juste le temps de voler quelques restes sur une table abandonnée et de faire un brin de toilette avant de me faufiler à l’arrière sur le parking et grimper dans la remorque d’un des camions stationnés. N’importe lequel, tant qu’il me permet de m’éloigner de la Lune Rouge.
Les lieux n’ont pas changé. Comme figés dans le temps. Les nappes à carreaux rouges et blancs, les petites plantes grasses artificielles, les rideaux en dentelle ivoire ornant les fenêtres couvertes de buée, et le vieux comptoir surmonté de ses deux pompes à bière. La salle dégage toujours cette même odeur de basilic et de fromage. Je suis brutalement plongé dans le passé, à une époque heureuse, quand Julia, Loris et moi nous nous retrouvions autour d’une glace tous les jours après les cours. Un bref instant de paix et de bonheur, loin des autres loups et des responsabilités qui nous incombaient. C’est étrange, je peux presque entendre le rire aigu de Julia et les chuchotements rauques de Loris.
Un coup d’œil à notre table et je comprends alors que ce n’est pas une hallucination. Ils sont là. Tous les deux. Ils discutent et plaisent, main dans la main, comme deux amoureux. Ma poitrine se serre et mon cœur souffre. Les voir si heureux me fait mal, mais c’est totalement idiot de ma part. La vie ne s’est pas arrêtée pour eux parce que je me suis volatilisée. Je chasse les larmes qui menacent de couler et me précipite aux WC. En route, je trouve mon bonheur : quelques morceaux de pain restants dans la corbeille, une pomme, et même deux nuggets laissés dans une assiette. J’emballe ces trouvailles dans une serviette en papier propre avant de me réfugier dans les toilettes.
Ce n’est que lorsque je referme la porte derrière moi que je m’autorise à reprendre mon souffle. Le miroir me renvoie une image peu flatteuse. Mes cheveux sont en bataille et je suis couverte de feuilles et de terre. Rien qu’un peu d’eau fraîche ne saurait arranger. J’enlève mon pull et commence à me nettoyer. Je me coiffe avec mes doigts, repoussant ma crinière dans un chignon désordonné. Quelques mèches rebelles retombent autour de mon visage, mais sans brosse impossible de faire mieux. Quand je suis à peu près satisfaite de mon apparence, je me rhabille et m’enferme dans l’une des cabines vides.
Je suis enfin prêt pour la suite de mon périple vers l’inconnu. Mes mains tremblent. Mon genou droit gigote malgré moi. J’essaie de me ressaisir, mais le choc de cette rencontre inattendue me ronge. Heureusement, ils ne m’ont pas vu. Je ne sais même pas ce que j’aurais pu leur dire. Aurais-je été en colère ? Pour toutes ces années où ils m’ont ignoré ? Pour m’avoir oubliée si facilement ?
Après une profonde inspiration, je décide de sortir par la petite fenêtre au-dessus de la cuvette. Je n’ai pas envie de me retrouver nez à nez avec l’un d’eux. Je rabats le siège et grimpe dessus pour me hisser par l’ouverture qui est juste assez large pour laisser passer mon corps. Je risque d’avoir des ecchymoses sur les hanches, mais qui s’en soucie ? Je tombe la tête la première sur l’asphalte immonde du parking. Mes paumes et mes coudes m’aident à amortir la chute et, bon sang, ça fait mal !
Je me relève en serrant les dents. Les entailles disparaissent rapidement, grâce au pouvoir de guérison de ma louve, mais il ne peut rien pour mon cœur brisé et mon amour propre écorché. Je me cache sous ma capuche et me dirige vers les camions. Après trois tentatives ratées, je trouve enfin mon salut : une remorque remplie de caisses en bois. Elle empeste l’ammoniac ce qui est un véritable calvaire lorsque l’on a un odorat aussi développé, mais idéal pour dissimuler ma présence. Je sors un tee-shirt de mon sac, le porte devant mon nez comme si c’est un masque et grimpe à bord de mon nouveau carrosse. Je me réfugie au fond, entre deux rangées de caisses, en espérant ne pas être remarquée avant d’avoir quitté le territoire.
Les minutes défilent et les battements de mon cœur s’affolent. Si un loup passait par là et me repérait ? Si quelqu’un m’avait vu monter et avait prévenu les autorités ? Ils sont peut-être en train d’encercler le camion et vont bientôt me déloger de ma cachette. Ils me remettront à Alpha Rémus et Luna Alice se fera un malin plaisir à me punir. Ils me donneront de l’aconit et je ne pourrais plus compter sur Nila pour m’aider. Ou, avec un peu de chance, ils se contenteront d’appliquer la loi et m’abattront dès que je poserai un pied sur le sol.
De légères secousses et le claquement d’une porte me tirent de ma crise de panique. Mon chauffeur est de retour de sa pause-déjeuner et ne semble pas m’avoir repérée. Le son du moteur et une sensation de ballotement suggèrent que nous quittons le parking pour prendre la route. Je peux enfin me détendre. Je suis en sécurité pour les prochaines heures.
Je ferme les yeux et m’endors immédiatement.
***
– Qu'est-ce que tu fous là, gamine ?
Dans un grognement, j’essaie de me remettre sur mes pieds. Mon corps est lourd et mes mouvements lents. Ma gorge brûle et je me sens étourdie. Il me faut quelques secondes pour comprendre où je suis. Lorsque mes neurones se connectent enfin, je saisis : le tee-shirt que j’avais enroulé autour de mon visage est tombé et j’ai inhalé trop d’ammoniac. Le gaz m’a tellement shootée que je n’ai pas réalisé qu’on s’était arrêté. Je n’ai même pas entendu que la moitié de la cargaison avait été déchargée.
Merde ! Comment justifier ma présence ? J’avais prévu de sortir sans me faire voir. Je commence à bégayer des excuses lorsque l’homme attrape ma main droite et me tire vers lui. Mes jambes tremblent, mais je garde l’équilibre.
– T'inquiètes, petite ! Moi aussi j'ai été jeune et fauché. Que dirais-tu de venir à l'avant avec moi ? Tu me tiendras compagnie... Au fait, moi c'est John !
Le bon sens voudrait que je me méfie de cet étrange, mais rien en lui ne suscite la défiance. La cinquantaine, le teint olive, les yeux noirs, le crâne rasé et plusieurs tatouages ornant ses bras. Les années ne l’ont pas ménagé, marqué par les rides et un ventre proéminent débordant de son jean. Malgré ses manières un peu brusques, il donne l'impression d'être un homme bien. Il ressemble plus à un gros nounours. Et Nila semble du même avis.
– Moi, c'est Lia, bredouillé-je. Merci…
Il éclate de rire, un rire bruyant et sincère, et m’adresse un clin d’œil avant de poser ses grandes mains sur mes hanches et de me soulever. Il me fait descendre la remorque puis me lâche et recule d’un pas, non sans un regard insistant sur ma poitrine. Un frisson d’inquiétude hérisse mes poils, mais Nila reste tranquille. Elle ne le considère pas comme un danger. Peut-être ai-je imaginé cette œillade déplacée.
– Je suis une vraie pipelette, alors ne me remercie pas trop vite, petite !
La nuit est tombée depuis plusieurs heures déjà. L’obscurité ambiante est étrangement tranquille. Nous étions arrêtés sur un parking désert donnant sur un vieil entrepôt fermé. Est-ce là que John a déposé la première partie de sa marchandise ? Pourquoi n’y a-t-il personne ? Pourquoi tout est si calme et vide?
– Allez, monte !
Son ton autoritaire et son regard voilé par la pénombre me glace. Il ouvre la portière côté passager d’un coup sec et m’invite à entrer dans la cabine. Tout dans son attitude reflète l’impatience. Probablement la fatigue accumulée ou l’empressement de quitter les lieux. Je me hâte de le rejoindre et grimpe sans discuter. L’odeur de tabac froid et de sueur m’assaille et me retourne l’estomac. La nausée au bord des lèvres, je souris tout en gardant le silence alors qu’il claque la porte sur moi.
John fait le tour du véhicule en trottinant, sa tête dépassant à peine devant le camion. Il prend place derrière son volant et démarre. Plus une minute ne s’écoule avant qu’il ne commence son interrogatoire.
– Alors, d’où tu viens ?
– Euh… je…
– Je parie que t’es montée à Taylorville. J’ai pas trainé dans ce restau de merde, mais c’est ma seule pause. Après j’ai enchainé les kilomètres jusqu’ici. Mais je ne t’ai jamais vu là-bas. Une jolie fille comme toi, difficile de la manquer !
Il se retourne pour me regarder, un rictus pervers dessiné sur son visage. Sa langue vient lécher sa lèvre inférieure. Il ressemble de plus en plus à un prédateur, pourtant Nila ne se manifeste toujours pas. Elle est étrangement calme et silencieuse. Mais mon instinct me crie de fuir depuis que je me suis réveillée face à lui. Que se passe-t-il ?
– Quelqu’un te cherche, Lia ?
Sa voix est douce. Presque mielleuse. Je m’enfonce dans le siège, me rapprochant discrètement de la porte. La main sur la poignée, je me demande si je peux survivre à la chute alors qu’il roule à plus de cent kilomètre-heure. John remarque la tension qui habite mon corps et appuie sur la fermeture centrale.
– Je te le déconseille, petite. Tu ne veux briser ton joli petit cou… Tu n’as rien à craindre de moi, tu sais. Je ne te veux aucun mal. Je veux juste faire la conversation. Comme deux personnes civilisées.
Ne sachant quoi répondre, je garde le silence. John ne m’aspire pas confiance. Quelque chose chez lui m’effraie.
Il claque sa langue contre son palet et soupire.
– Je vois. Tu veux jouer les petites prudes. Pas de problème. Ça va être long et ennuyeux, mais j’ai l’habitude !
Il tend le bras et allume la radio. Un bruit insupportable envahit l’habitacle. Un mélange de guitare et de hurlements qui me fait saigner les oreilles.
Les bras croisés sur la poitrine, je garde les yeux sur la route guettant le moindre indice quant à notre localisation et notre destination. John ne dit pas un mot de plus. Il conduit à vive allure en remuant la tête au rythme des basses. Agissant comme si je n’étais pas assise juste à côté de lui.
Les heures passent dans un silence embarrassant et mon malaise grandit au fil des minutes. Je peux sentir les regards insistants de John sur mon corps. C’est comme une brûlure à l’acide là où ses yeux s’attardent. Mais jusque-là, il n’a rien tenté de stupide. Ses mains restent fermement accrochées sur le volant. Mon père m’a appris à me défendre. Je sais me battre, même si ma dernière leçon remonte à plus de cinq ans. Mais je ne suis pas certaine que mon corps est capable de répondre correctement. Je me sens gauche et étourdie. Faible et engourdie. Comme si j’avais été droguée.
Soudain, le moteur se met à tousser et le camion ralentit. Une fumée blanchâtre sort du capot et une odeur de brûlé envahit la cabine. John se déporte sur la droite et allume les warning en grognant.
Génial. Le coup de la panne !
– Un souci ?
Il ne prend même pas la peine de me répondre. Il descend en grommelant. Seule, j'observe furtivement autour de moi à la recherche d’un outil ou d’une arme pour me défendre. En vain. Je suis au milieu de nulle part avec un étranger bourru au regard pervers. Nous avons quitté l’autoroute depuis plusieurs kilomètres pour emprunter une route secondaire qui longe une vaste forêt. J’ignore où nous nous trouvons. J’ai aperçu quelques panneaux signalant que nous nous rapprochons de la frontière canadienne, mais depuis une heure je n’ai vu aucune autre indication.
Sans réfléchir, je descends à mon tour et rejoins John devant le moteur. Un vent glacial m’enveloppe. Heureusement, mon corps ne craint pas les basses températures. Mais je fais semblant de frissonner pour ne pas trahir ma nature de métamorphe. Je souffle sur mes mains pour les réchauffer.
– Où sommes-nous ? demandé-je. Il fait un froid de canard ici.
– Pas loin de la frontière canadienne. Je rentre chez moi. Toi, je ne sais pas où tu vas et je m’en fous ! lâche John visiblement énervé.
– Je peux marcher jusqu'à la prochaine station essence.
– Tu risques de crever de froid avant de l’atteindre. C’est à une vingtaine de kilomètres dans cette direction.
Il marque une courte pause avant de se tourner vers moi et d’ajouter :
– J’ai appelé une dépanneuse. Elle sera là dans deux heures maximum. Tu devrais remonter. Derrière la banquette avant, j’ai un petit lit et quelques trucs à boire et à grignoter. On va se tenir chaud et passer le temps…
Il me lance un regard lourd de sens puis retourner dans son camion. Il laisse la porte ouverte pour m’inviter à le suivre, mais je préfère m'installer sur le siège passager avant. Nila commence à remuer. Elle est nerveuse.
– Tu ne veux pas venir vers moi ? Il y a bien assez de place pour nous deux…
– Merci, c’est gentil. Mais je suis bien ici. Je ne voudrais pas abuser de votre gentillesse.
– Oh, mais tu n’abuses de rien. C’est moi qui insiste.
John se tient juste derrière moi. Avant que je ne puisse faire le moindre mouvement, il plante une seringue dans mon cou. Un liquide brûlant se répand dans mes veines et en quelques secondes je suis complètement paralysée. Tous mes muscles sont tétanisés et chauffent à m’en faire hurler. La douleur est insupportable. Mon corps convulse, comme pour évacuer le poison, et mes yeux se révulsent. Je crois mourir.
– Un mélange de mon cru... souffle John à mon oreille. Argent et aconit. Ça risque de te faire mal pendant quelques heures et d'assommer le monstre qui est en toi. Inutile de te débattre, tu n'as aucune chance, petite louve. Je connais quelqu'un qui est bien décidé à payer très cher pour toi. Tu vas me rapporter une petite fortune, ma jolie...
Il me caresse la joue puis agrippe mes bras pour me faire passer par-dessus le fauteuil. Il m’installe sur le fin matelas duquel se dégage une odeur nauséabonde de transpiration et de pisse. Il se met à califourchon au-dessus de mes hanches et tire sur mon pull pour le déchirer sur toute la longueur. Ses doigts s’attardent alors sur ma joue, descendent le long de ma mâchoire et de mon cou puis tracent le sillon de mon décolleté encore protégé par mon soutien-gorge en coton noir.
– Je savais que ce tissu informe cachait de jolies courbes. Regarde-moi ça. Je sens que je vais passer un bon moment...
La panique monte en moi. J’ai subi de nombreux sévices de la main de Luna Alice, mais aucun d’ordre sexuel. Je suis toujours vierge et l’idée que ce porc profite de moi me tord les tripes. Je crie, mais aucun son ne sort de ma gorge. J’essaie de me débattre, mais mes jambes et mes bras restent immobiles. Je ne peux rien faire à part retenir mes sanglots. Je ne lui accorderai pas la satisfaction de me briser. Alors je laisse mon esprit vagabonder, s’évader loin d’ici et je ferme les yeux.
– Et si on s'amusait un peu avant que tu partes ? Ton nouveau maître devrait arriver dans une heure. Cela nous donne le temps de faire plus ample connaissance. Et comme tu n'es pas du genre bavarde, on va faire les choses à ma manière...
Je le sens s’agiter. J’entends une fermeture éclair glisser. Ses mains sont partout sur mon corps, quand soudain un bruit de métal froissé secoue la cabine. Il ne reste que l’air froid autour de moi. Le poids de John ne m’enfonce plus dans la couchette. Je ne peux toujours pas bouger, mais je peux apercevoir dans le miroir de courtoisie une silhouette sombre et menaçante qui tire John dans l’herbe sur le bas-côté. Un cri aigu retentit, suivi de gémissements désespérés. L’écho des coups portés et des bruits écœurants de chair meurtrie se perd dans la nuit. Puis plus rien. Le silence est pesant. Angoissant.
Allongée dans la cabine, je tremble de détresse. J’ignore ce qui m’attend, mais je ne suis pas en état de me défendre. Je tente de bouger pour me cacher, en vain. Je suis sur le point de perdre connaissance. Je peux le sentir. Mes forces me quittent et l’obscurité m’appelle. Mes paupières deviennent de plus en plus lourdes. Juste avant de sombrer dans un profond sommeil, j'entends deux mots qui me font frissonner :
– À moi !
Texte de L.S.Martins.
Image créée par L.S.Martins à l'aide de Dall-E3