Chapitre 15 - POV Askaï
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Chapitre 15 - POV Askaï
— Golliath, rends-moi le contrôle. Lia a besoin de nous…
Cela faisait presque une heure que je hurlais comme un fou pour que mon loup daigne enfin se retirer dans mon esprit. Qu’il arrête de courir à travers cette forêt dense qui, autrefois, avait été notre terrain de jeu favori. Je l’avais laissé assouvir sa soif de sang en chassant un énorme cerf. Malgré l’urgence de la situation, je l’avais laissé jouer avec sa proie, l’acculer au bord de la falaise, la déchiqueter lentement et se délecter de sa chair fraîche. Puis je l’avais laissé rejoindre le lac pour nettoyer sa fourrure maculée. Mais je ne pouvais plus attendre. Pas alors que notre compagne était en danger, parce que nous n'avions pas su la protéger.
Golliath recula enfin me permettant de reprendre forme humaine sur les rives gelées. Je trouvais un short dissimulé dans un tronc d’arbre, vestiges de mes longues promenades sur le territoire de l’Alpha Suprême, et l’enfilai avant de rebrousser chemin.
— Le couple alpha de la Lune Rouge arrive.
— J’arrive… et Kyle, ne commencez pas les interrogatoires sans moi !
Ma voix n’était plus que grognement sourd. L'idée de ces deux individus se faisant passer pour des parents éplorés me remplissait de rage. Sans hésiter, je m'élançai en direction de la demeure royale. Par une coïncidence qui me ravit, j'émergeai des bois au moment exact où leur 4x4 s’engageait dans l’allée. Timing parfait.
— Alpha Rémus ! Luna Alice ! Je suis navré de vous rencontrer dans de pareilles circonstances... Je vous prie de m’excuser pour mon absence lors de la réception. Vous savez ce que c’est…
Conrad, accompagné de Lucius, les accueillit comme s’ils étaient les bienvenus. Comme s’ils n’avaient pas comploté pour faire disparaître ma Lia. Sa propre fille ! Submergé par une colère aveugle, les poings serrés et les mâchoires crispées à m’en faire grincer les dents, je m’approchais d’eux en silence. Je n’avais qu’une seule idée en tête : les torturer pour obtenir toutes les informations nécessaires afin de pouvoir à nouveau serrer mon amour dans mes bras.
Conrad m’aperçut et, dans un faux sourire, me présenta aux membres de la Lune Rouge.
— Vous connaissez probablement Alpha Askaï des Loups Gris. Votre fille Lia est sa compagne…
Rémus m'examina rapidement avec une expression remplie de mépris, mais il ne dit rien. Contre toute prévision, Alice s'avança vers moi. Elle se blottit contre mon torse et s'accrocha à mon cou en poussant un soupir.
— Oh, Askaï… pleurnicha Alice. Alors, c’est vrai ? Lia a vraiment disparu ? Je n’imagine pas à quel point c’est dur pour vous… Si je peux faire quoi que ce soit…
Mes mains trouvèrent ses épaules et je la repoussai avec toute la délicatesse dont j’étais capable. Tout mon corps tremblait de colère et d’exécration. J’avais une envie irrépressible de faire glisser mes doigts le long de sa gorge et de serrer si fort, jusqu’à ce que ses yeux se révulsent. Mais le visage de Lia, son sourire, la douceur de son regard me revinrent soudain à l’esprit. J’affichai donc simplement un sourire de façade et la remerciai.
— C’est normal, Askaï. Après tout, nous sommes de la même famille, souffla la mégère devant moi.
Golliath ne put se contenir davantage. Son dédain évident envers notre bien-aimée et notre titre le fit gronder d’un air menaçant. Heureusement, avant que je ne perde le contrôle, Lucius intervint et demanda au couple de le suivre. Il les guida dans l’un des salons du rez-de-chaussée. Plusieurs gardes y avaient été déployés devant chaque entrée et ouverture, pour garantir la sécurité, comme l’avait expliqué Lucius en réponse aux regards soupçonneux de Rémus et Alice.
— Pouvez-vous me conduire à notre chambre. Le voyage a été long et j’ai besoin de me reposer… se plaignit la luna de la Lune Rouge.
— Chaque minute compte, intervint Kyle sans même se présenter. Nous avons besoin de tout savoir sur Lia. À commencer par sa relation avec Vlad Constantine.
Direct et efficace. Comme à son habitude. J’avais toujours apprécié cet aspect de la personnalité de mon gamma. Son loup était coriace et ne se laissait pas dominer facilement. Il reconnaissait mon autorité, mais pas celles des autres alphas, pas même celle de Conrad. Ce qui choqua Rémus qui se redressa et relâcha une vague de pouvoir dans le but de dompter l’insolence de mon gamma. Bonne chance !
Kyle ne bougea pas. Il ne cilla même pas. Il se contenta de présenter des photos à nos visiteurs. Sur l’une d’elles, on distinguait nettement Alice en compagnie de Vlad. Leur langage corporel était révélateur : conspirations et secrets. Rémus blêmit et s’effondra dans un des fauteuils derrière lui.
— Comment as-tu pu ? soupira-t-il.
Epuisé, en colère et peut-être même honteux, ses épaules s’affaissèrent sous le poids de toutes ces émotions. Il passa une main sur son visage. En un instant, il parut plus âgé, plus grave. Ses yeux, rivés sur sa compagne, brillaient d’une douleur palpable.
Alice, quant à elle, haussa les épaules gardant son air altier. Elle le toisa d’un regard méprisant avant de s’éloigner en éclatant d’un rire strident.
— Mon pauvre Rémus… siffla-t-elle. Tu n’es qu’un idiot. Parce que tu es mon compagnon, tu as cru que je me contenterais de cette vie minable que tu avais à m’offrir ? Tu me dégoutes.
— Moi ? Moi, je te dégoûtes ? s’énerva soudain l’alpha brisé. Qu’as-tu fait, Alice ?
Son ton se mua en un rugissement sourd. Il avait utilisé son pouvoir pour soumettre sa partenaire et l’obliger à parler. Elle lutta avant de tomber au sol, exposant sa gorge. C’est alors que je remarquai sa marque d’accouplement. Enfin, la cicatrice d’une profonde brûlure à l’endroit même où elle aurait dû se trouver. Elle ne s’était pas contenté de le trahir, elle l’avait aussi rejeté. Comment avait-il pu le supporter ? Comment sa meute avait-elle pu ne pas le sentir ?
— Vlad a pri Lia. Après tout, elle lui a été promise depuis sa naissance ! s’époumona Alice enragée de ne pouvoir lutter contre l’emprise de Rémus. Cette petite pute… [rires] j’aurai dû la tuer. J’en ai eu si souvent l’occasion… Elle est faible et pathétique. Même sa louve refusait de se manifester. Quelle honte !
Un puissant grondement fit vibrer l’air. Conrad qui avait, jusque-là, réussi à contenir sa fureur, sombra dans la folie. Il souleva Alice par le cou, ses crocs visibles et menaçants. Pourtant, la femme ne trembla pas. Elle ne semblait ni impressionnée ni même apeurée. Ses yeux plongèrent dans ceux de Conrad et un sourire hystérique se dessina sur ses lèvres violettes.
— J’en déduis que tu as compris qui elle était, croassa-t-elle d’une voix rauque et sourde. Ta fille… J’étais aux premières loges quand ta chère Dana est morte. L’aconit qu’elle avalait tous les jours dans ses tisanes l’a tellement épuisée que sa louve n’a pas pu l’aider lorsque l’accouchement s’est compliqué. Il faut dire que la petite Lia est arrivée un peu plus tôt que prévu… [rires]. Mais je ne pensais pas qu’elle y survivrait.
Les doigts de Conrad se resserrèrent sur la gorge d'Alice, mais Lucius l'arrêta avant qu'il ne lui brise la nuque.
— Laisse-la, je vais m’occuper d’elle. Elle nous dira tout ce qu’elle sait et nous aidera à retrouver Lia.
Le corps d’Alice fut propulsé à travers la pièce et vint s’écraser avec force contre le mur, telle une poupée de chiffon. Lucius donna l’ordre à l’un des gardes de la conduire au sous-sol, dans une cellule, pour une petite séance de torture. Il s’éclipsa à la suite du guerrier, nous laissant seuls, Conrad, Kyle, Rémus et moi.
L’alpha de la Lune Rouge avait les yeux rougis et le visage inondé de larmes silencieuses. Anéanti.
— Je savais, commença-t-il. Je savais et je n’ai rien fait. Je l’ai laissée faire, espérant qu’à la fin elle me choisirait. Par la déesse, je suis son compagnon destiné…
— Parle ! exigea Conrad.
— Je… [sanglots] Elle…
— Qui est Vlad pour elle ? Et pourquoi a-t-elle dit que Lia lui avait été promise ? hurlai-je soudain.
J’étais enfin sorti de ma torpeur et mon cerveau était en ébullition. Il compilait toutes les informations à une cadence affolante, ne m’accordant aucun repos. Nous n’avions pas de temps à perdre avec ses jérémiades. Une déferlante d’énergie émana de tout mon être, faisant ployer Rémus et Kyle. Conrad résista en grimaçant.
— Je ne connais pas toute l’histoire… gémit Rémus. Je sais seulement que Vlad a besoin du sang de Lia pour devenir plus fort et prendre le contrôle des loups-garous et des vampires. Il y a 22 ans, il a rencontré une sorcière qui lui a prédit qu’il deviendrait l’être le plus puissant et pour cela il devrait s’accoupler avec la seule louve alpha que notre royaume n’est jamais connue.
— Lia… soufflai-je.
— Oui, confirma Rémus. Il a réussi à convaincre Alice de l’aider et il me l’a prise. Je pouvais sentir à travers notre lien quand il utilisait son pouvoir sur elle. Quand il la baisait… [sanglots] J’ai cru devenir fou, mais je pensais que lorsqu’il aurait enfin Lia, Alice me reviendrait. Sauf, pour je ne sais quelle raison, il a préféré attendre. Il voulait être certain qu’elle était bien une alpha. [sanglots] J’ai proposé de l’élever et de lui apprendre son rôle, mais Alice a refusé. Elle n’a jamais voulu d’enfant… et elle l’a confié à un couple de la meute qui était sous l’emprise de Vlad. Tous les étés, ils partaient s’installer dans un chalet à la frontière sud de nos terres. [sanglots] Jusqu’à cette nuit. Des vampires ont pénétré notre territoire et ont tué toutes les familles avec des enfants adoptés. Et Lia est devenue le souffre-douleur d’Alice avant de disparaître.
J’étais fou de rage. Golliath hurlait, griffait dans mon esprit. Et je savais que Vox, le loup de Conrad, n’était pas loin. Je pouvais le voir à ses yeux sombres et sa respiration erratique et sifflante.
— Où se trouve ce chalet ? interrogea Kyle.
Lui seul semblait encore être capable de garder un esprit lucide. Et je lui en serai éternellement reconnaissant. Il déroula sur la table une carte montrant les différentes meutes et exigea de Rémus qu’il indique l’emplacement exact.
Après ce qui me sembla une éternité, Kyle réapparut derrière son écran et me fit voir des images aériennes. Il y avait du mouvement, mais impossible d’affirmer si l’une des silhouettes était bel et bien Lia. Conrad laissa échapper un grognement.
— Envoie du renfort. Askaï suis moi.
Et sans plus d’explication, il disparut dans une fourrure noire et des crocs immenses. Vox avait pris les rênes. Nous allions courir jusqu’au chalet. Nous allions éventrer cet enfoiré de vampire et sauver ma compagne.
***
— Putain ! rugit Conrad. Il y a absolument rien ici !
Sous l’effet de la colère, il saccagea la chambre en renversant les meubles et déchiquetant les lourds rideaux de velours. Tel un lion en cage, il fouillait frénétiquement la pièce, reniflant tous les objets à la recherche du moindre indice.
De mon côté, la course pour rejoindre le chalet de Vlad m’avait apporté un certain apaisement. Ma rage était tempérée, maîtrisée. Je souffrais toujours de l’absence de Lia. Amèrement. Mais elle avait besoin de moi et pour l’aider, je devais garder l’esprit clair.
Je fis le tour de cette vielle habitation, en repérant toutes les odeurs présentes. Celles de Vlad et de Lia y étaient prédominantes, dans chacune des pièces, mais particulièrement dans le salon et dans l’une des petites chambres. Cependant, elles étaient anciennes. Datant de 7 ou 8 ans. Ils n’avaient pas remis les pieds ici depuis longtemps. Pas depuis la mort des parents adoptifs de Lia.
Une sensation d’oppression m’étreignit la poitrine. Mon lien avec Lia se mit à s’agiter, à me tirailler, ce qui ne pouvait signifier qu’une chose : Nila était réveillée. Les drogues ne faisaient plus effet et elle tirait sur le lien pour m’avertir d’un danger.
— Lia ? Lia ? C’est toi ?
— Askaï ? Comment ?
— Oh Déesse… Lia, dis-moi où tu es…
Un fait sentiment de réconfort me submergea. Pouvoir à nouveau entendre sa voix après plusieurs jours de séparation était un véritable bonheur. Cependant, j’étais parfaitement conscient que ce ne serait que temporaire. Ephémère. Que Vlad ait commis ou non une erreur, il allait rapidement s’en apercevoir et donner à ma compagne un cocktail puissant pour les détruire, elle et sa louve.
— Dans une cave. J’ai été enlevée par un vampire. Vlad quelque chose… je le connais depuis que je suis toute petite. Il avait un chalet sur le territoire de la Lune Rouge. Peut-être…
— Nous sommes au chalet, Lia. Il est vide. Qu’est-ce que tu entends ? Qu’est-ce que tu vois ?
Le désespoir et la détermination dans son expression me remplirent d’effroi. La panique me broya le cœur. Elle ignorait où Vlad l’avait enfermée. Elle était seule, privée de tous repères, entre les griffes d’un monstre cruel et sanguinaire. Bientôt, le V08 aurait totalement disparu de son organisme et Vlad pourrait faire ce qu’il voulait d’elle. Il pourrait arracher ma marque pour y apposer la sienne et réduire ma bien-aimée à la servitude et à la soumission éternelle. Il pourrait lui voler son corps, son sang, son âme… Cette perspective me terrorisait.
— J’entends des basses. C’est étouffé, sourd. De la musique, comme dans un bar… Askaï, je t’en supplie… tu dois nous retrouver. Je…
Le silence et le relâchement de notre lien me frappèrent comme un coup de poing dans l’estomac, me coupant le souffle et me faisant vomir mes tripes sur le sol poussiéreux. Un hurlement déchirant s’échappa de ma bouche, faisant vibrer les murs fragiles du chalet. Conrad accourut aussitôt, alerté par ma détresse.
— Askaï, s’inquiéta-t-il. Qu’est-ce qu’il y a ?
Je n’étais pas en mesure d’avoir la moindre pensée cohérente. Je pouvais encore goûter sa peur et sa confusion. Sa douleur et son chagrin.
Conrad m’agrippa par les épaules et me secoua. Usant de son aura d’alpha, il m’ordonna de parler et je n’avais pas la force de résister. Je me soumis et lui répétai mot pour mot les dernières phrases de Lia avant de m’effondrer par terre dans un bruit sourd, les yeux embués et la gorge nouée.
J’entendis vaguement Conrad crier. Il était au téléphone avec Lucius ou Kyle, crachant des ordres ponctués de jurons. Puis, il finit par revenir vers moi et me força à me relever.
— On a trouvé un bar à la frontière canadienne au nom de Henry Slad. C’est un des ancêtres de Vlad, m’informa Conrad. C’est à trois jours d’ici. Une équipe est déjà en route, mais c’est un territoire de vampires. Je doute qu’on nous accueille chaleureusement. Mais nous allons retrouver Lia et votre enfant. Je te le promets, Askaï.
Mon enfant ? L’horreur de la réalité me paralysa. Je n’avais pas saisi le sens des paroles de Lia. Je n’y avais pas réfléchi, mais cela me paraissait tellement juste. Tellement vrai. Ma douce compagne était enceinte de notre chiot. Et elle m’avait supplié de les sauver. Je n’avais pas le droit de rester là à m’apitoyer sur mon sort pendant qu’elle se battait seule pour protéger notre petit.
Je refoulai mes larmes et enfouis mes sentiments loin dans mon esprit pour devenir un alpha fort, froid et efficace. Pour devenir l’homme digne de Lia.
Texte de L. S. Martins (120 minutes chrono, sans relecture).
Image par Estefano Burmistrov de Pixabay