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La spirale systémique de l'engagement

La spirale systémique de l'engagement

Published Jun 21, 2021 Updated Jun 21, 2021 Offbeat
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La spirale systémique de l'engagement

Une ancienne et efficace pratique commerciale consiste à faire gouter avant d’acheter. Et de surcroit, les vendeurs malins vous annoncent : « goutez ou essayez, cela ne vous engage en rien ! »
Par exemple, inviter à gouter des fromages, des sucreries, gâteaux, charcuteries, vins et autres mets. Des concessionnaires automobiles vous prêtent « sans engagement de votre part » une voiture pendant tout un week-end. Une association écologique va vous demander de coller à titre gracieux un logo représentant un arbre sur votre fenêtre. Un parti politique va vous inviter « sans que cela vous engage » à un banquet républicain. Un ami va vous demander que vous lui prêtiez une petite somme de 30€ en promettant que c’est la première et dernière fois. Une cousine lointaine va vous prier de l’héberger seulement pour une nuit. Un manager va vous confier une mission « unique » exceptionnellement. Un dragueur va vous inviter à boire un verre en « tout bien tout honneur. » Une organisation sectaire va vous inviter gratuitement à une conférence dans un hôtel prestigieux sur la quête du bonheur.

Ils appliquent sans la connaitre, ou volontairement la théorie de l’engagement.

Que dit cette théorie ? « Seuls les actes nous engagent. Nous ne sommes donc pas engagés par nos idées, ou par nos sentiments, mais par nos conduites effectives ». Lorsqu’une décision est prise et transformée en une conduite effective, nous avons tendance à ne plus la remettre en cause. Et à rationaliser cet acte, à le justifier même si l’on a parfois au fond de nous le sentiment diffus de s’être trompé ou d’avoir été trompé.

Applications au travail 

Le caractère public de l’acte. Il est plus engageant de faire quelque chose sous le regard d’autrui que dans l’anonymat. Par exemple , lors des réunions, demandez à chacun de s’engager en public sur des progrès à court terme.

Le fait de répéter un acte est plus engageant pour une personne que de le faire une seule fois. Par exemple, dire à un collaborateur qui vient d’apprendre une nouvelle pratique : « maintenant que tu l’as fait pendant une semaine, tu peux bien continuer ». Vous pouvez même ajouter une petite sollicitation anodine : « par ailleurs, tu le fais de mieux en mieux »

Le caractère irréversible de l’acte. Plus la personne perçoit qu’elle ne pourra pas faire marche arrière, plus elle est engagée. Par exemple, après avoir mis en place un système d’échanges de données informatiques, retirez toutes les imprimantes.

Le caractère coûteux ou non coûteux de l'acte. Pour avoir toutes les chances d’être accepté, un acte coûteux doit être précédé d’un acte moins coûteux. Aussi, pour faire accepter un acte moins coûteux, il est préférable d’amener préalablement les personnes à refuser un acte très coûteux. Par exemple , commencez par demander  : « peux-tu assurer le rôle de responsable qualité pendant un an ? » Face à un refus ajoutez : « Ok, alors seulement pour me remplacer lors de mes congés »

Le sentiment de liberté. Plus la personne se voit libre de faire ou de ne pas faire, plus elle fera. La simple évocation de ce sentiment par le manager : « tu es libre de … » amène davantage l’équipier à accepter l’acte.

La théorie de l’engagement est fort usitée par des managers dont la mission principale est de faire changer leurs collaborateurs. Ils connaissent les finalités du changement mais ils les segmentent en « petits pas » ou « petites victoires ». les collaborateurs s’engagent dans de simples actions qui semblent anodines  mais qui les font passer à terme d’un état à un autre sans en avoir peur. Le slogan managérial illustrant le mieux cette pratique est : « les meilleurs changements commencent par des résultats immédiats.»

Les effets bénéfiques et pervers de l’engagement

Les petits ruisseaux faisant de grandes rivières, une succession de petits pas permet de réussir de grands projets. Ils assurent aussi la survie lors de situations catastrophiques. Chacun se consacre à de petites taches à accomplir. Des survivants en montagne ou dans le désert, par exemple, expliquent qu’ils se sont d’abord fixés un cap, puis avancé en comptant les pas comme suit : « un pas pour maman, un pas pour papa, un pas pour tante Alice, etc. 

Mais ces petits pas provoquent des effets  pervers. En effet, nous n’aimons guère avouer que nous nous sommes trompés. C’est singulièrement vrai dans le domaine professionnel : on rechigne ainsi généralement à avouer à son supérieur hiérarchique que l’on a choisi une solution technique complètement aberrante pour tel ou tel projet. C’est pourquoi nous préférerons toujours nous raccrocher à notre première décision et à la défendre bec et ongles, au besoin par des mensonges éhontés. On appelle "escalade d’engagement" « cette tendance que manifestent les gens à s’accrocher à une décision initiale même lorsqu’elle est clairement remise en question par les faits. » Et si quelquefois des erreurs continuent à exister en dépit du bon sens, c’est sans doute parce que nul n’osera jamais avouer ouvertement que telle ou telle directive était une véritable idiotie. Tout se passe comme si le sujet préférait s’enfoncer plutôt que de reconnaître une erreur initiale d’analyse, de jugement ou d’appréciation. La vie quotidienne fourmille d’exemples d’effets pervers de l’engagement :

  • Celui qui s’est acheté une voiture rutilante et qui ne veut pas s’avouer qu’elle était largement au-dessus de ses moyens
  • Le dépressif qui décida que la vie était un ruisseau de larmes, se comporta selon cette représentation pendant dix ans, et qui ne savoure pas des moments de bonheur de peur de se dédire
  • Celui qui milite dans un parti politique auquel il n’adhère plus aux idées mais continue à distribuer des tracts et assiste à des meetings pour ne pas trahir ses premiers engagements
  • Celui qui continue à investir dans une activité en perte de vitesse
  • Celui qui continue à jouer aux courses alors qu’il a déjà perdu beaucoup d’argent, répétant sans cesse : « je vais me refaire »

 

 Jean Louis Muller-Garcia travaille et réfléchit au sein du groupe ECOSYSTEMIC’S avec Eva Matesanz, Minh-Lan Nguyen, Stéphanie Flacher, André de Chateauvieux, également présents sur Panodyssey, Loïc Deconche, Vincent Gascon et Christophe Martel. 

 

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