Jean & Jean, souliers de satin : Le TGPL
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Jean & Jean, souliers de satin : Le TGPL
Jean & Jean, souliers de satin : Le TGPL
– Le Très Grand Poète Local est né avec une tête de Très Grand Poète Local.
– La sage-femme a hurlé.
– C’est ce qui s’appelle un sort : la fée des Choses vagues était penchée sur cette naissance.
– Il n’aura plus d’autre solution que d’exercer sa poésie poétique.
– Celui qui sera un chantre inégalable – la cigale des garrigues – pose aussitôt ses petits petons droits sur l’incubateur, les autres sur la tête du gynécologue.
– Il éternue en guise de cri primal.
– Une volée d’écume échevelle d’embruns son front hypertrophié.
– Ce brushing lui restera.
– Sa vie durant, Raphaël traduira ce désordre qu’il est – ce désastre affectif, émotionnel et rationnel – dans une forme apollinienne.
– Du moins, c’est ce qu’il nous dit.
– Sa Nuit de Pascal lui vient à l’adolescence, par une soirée fuligineuse.
– Le jeune homme mélancolique se tient à une fenêtre de la villa qu’ont louée pour l’été ses parents sur le bord de mer, face à une impasse.
– Cette expérience-limite consiste en ce que le monde lui apparaît dans son être.
– Il applique sa main sur sa poitrine.
– Sa chère âme s’ouvre à l’univers.
– Le sublime est que tout est dans tout.
– Et particulièrement dans le poète.
– Hormis les premiers boutons d’acné qui n’ont rien à faire là et qui gâchent l’extase océanique.
– Sans doute s’est-il aussi vu dans le reflet de la vitre.
– Il ne se remettra jamais de son épectase.
– Dès lors, il parle aux fleurs, à la brise, aux saisons.
– Il leur parle de lui-même et parfois des femmes, dont il a entendu parler par ses copains ...
*
– À l’évidence, le doux troubadour est victime d’une hypertrophie du Moi.
– Il a un grand Moi, ou du moins un gros Moi.
– Cette maladie n’est pas grave.
– Elle n’atteint pas les organes essentiels – la lucidité n’étant pas un organe.
– En revanche, ses proches vivent mal la situation, non qu’ils aient peur pour leur grand homme, mais ces gens craignent pour leur propre moi qui, certes, n’est qu’un reflet mineur du gros Moi mais réclame tout de même un peu d’attention.
– Son ouvrage majeur – Blanc – est accueilli par un silence impressionné qui en dit long sur la nature radicale de sa poésie poétique.
– Raphaël y parle de l’âme du blanc, qui est une respiration irradiante, je répète : l’âme du blanc est une respiration irradiante.
– Il y parle du visage spirituel de l’Origine, qui s’incarne dans le blanc de poulet, je répète : le visage spirituel de l’Origine s’incarne dans le blanc de poulet.
– Bientôt, notre fin rhapsode, déçu par la réaction de l’Origine, change de registre.
– Il se rend aux champs, comme un préfet, et y pratique la gymnastique – activité hautement métaphysique, paraît-il.
– C’est alors qu’il découvre la Nature.
– Il ne s’en remet pas.
– Quelque chose d’autre que lui existerait ?
– Les humeurs automnales l’inspirent bientôt.
– L’automne, comme le gris, est une couleur facile, il est vrai. L’automne, déjà ! dit-il (il a vingt-six ans). L’hiver, déjà ! dira-t-il (il a trente ans).
– Et jamais de printemps ni d’été. L’été est difficile à décrire : il ne s’y passe rien.
– Raphaël meurt vierge à l’âge du Christ dans une maison de retraite pour Poètes officiels.
– Une Maison de vie.
– Sa lumière mettra longtemps à nous parvenir.
– Sacré Raphaël !
– Mais assez sur ce sujet. Le patron a sa soupe aux herbes des champs à préparer.