V...ésale
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V...ésale
Que représentait Vésale durant mes études de médecine ? Pas grand-chose en vérité. Un anatomiste qui s’ajoute à la longue liste de ceux qui ont donné leur nom à une découverte ! Vésale en fait partie, et, dans ma spécialité, nous le connaissons surtout pour son fameux trou de Vésale, petit orifice inconstant décrit sur la face endocrânienne de l’os sphénoïde et qui laisse passer une veine dont l’importance est toute secondaire.
Je savais tout de même qu’il avait vécu à la Renaissance, époque foisonnante en médecins anatomistes, où les Italiens prennent le pas sur tous les autres.
Et pour en savoir plus, nous ne sommes pas aidés par le nombre de Cliniques ou d’Hôpitaux qui portent son nom en France et qui permettent de s’interroger. Il n’en existe pas.
Pas davantage en Belgique d’où il est originaire excepté le CHU André Vésale de Montigny-le- Tilleul pas très éloigné de Charleroi.
Encore moins de livres qui raconteraient l’histoire de cet anatomiste et chirurgien.
En France il existe des dizaines et des dizaines d’Hôpitaux et Cliniques portant le nom d’un de ses plus célèbres contemporains : le chirurgien Ambroise Paré et combien de livres ont été écrits sur notre Ambroise Paré national !
En ce qui me concerne, il faut attendre l’année 2017 pour que le conservateur des fonds patrimoniaux de la bibliothèque de Saint-Denis, ville où je travaillais, me téléphone un matin pour m’annoncer qu’elle avait retrouvé lors d’un inventaire, un ouvrage d’anatomie d’André Vésale datant de 1555 – qui correspond à la réédition de De humani corporis fabrica libri septem (La structure du corps humain)- et elle m’invitait à venir le voir.
Je viens quelques jours plus tard, accompagné de mon frère, chirurgien, et d’un ami passionné d’histoire.
C’est un choc. Le livre, entrouvert, repose sur son lutrin pour éviter d’en casser la reliure. La bibliothécaire, munie de gants de soie, tourne une à une les pages de l’ouvrage imprimé il y a près d’un demi-millénaire, avec d’infinies précautions. Les dessins anatomiques sont époustouflants de réalisme, même en noir et blanc. Aucun anatomiste contemporain ne renierait ces planches dessinées par un élève du Titien sur présentation de dissections rigoureuses.
Vésale, nommé professeur d’anatomie à Padoue à l’âge de 23 ans révolutionnera les théories galéniques, considérées comme un dogme intangible depuis 1300 ans. Les professeurs d’anatomie, depuis Galien, comme le criera Vésale, entrent dans l’amphithéâtre affublés de leur robe cramoisie, s’installent dans une cathèdre posée sur une estrade at ânonnent en parfait latin les descriptions faites par Galien il y a plus d’un millénaire, désignant d’une baguette et d’un geste vague et imprécis les parties anatomiques disséquées par le barbier ou le prosecteur. Sans se soucier le moins du monde de l’exactitude de ce qu’ils récitent, sans réaliser, encore et toujours, des dissections pour affiner, corriger, confronter les observations.
Vésale corrigera plus de 200 erreurs attribuées à Galien et initiera, par son travail colossal et une dissection rigoureuse, LA révolution anatomique de la Renaissance. Il est, sans nul doute, le plus grand anatomiste de la Renaissance, certainement le plus grand anatomiste de tous les temps.
Pendant les sept années où il restera à sa chaire de Padoue, sa réputation gagnera tous les pays d’Europe. Il aura des élèves qui poursuivront son œuvre, fera des émules, mais sera surtout haï tout au long de sa courte carrière pour avoir corrigé les théories galéniques considérées comme un dogme intangible.
Le doute, pourtant, en science comme ailleurs, est indissociable de tout progrès. Tout ce qui est présenté comme une vérité éternelle doit être combattue. L’histoire des sciences est un combat incessant contre des vérités révélées.
À l’âge de trente ans, il sera le médecin particulier de Charles Quint, se contentant, hélas, de ne donner que son avis après avoir quitté Padoue et brûlé tous ses ouvrages en cours, fatigué des attaques perpétuelles de ses détracteurs.
En 1559, il sera dépêché par Philippe II au chevet d’Henri II, mortellement blessé lors d’un tournoi, par la lance de Montgomery lors d’une joute à Paris. Notre anatomiste rencontrera de nouveau à cette occasion notre chirurgien national, Ambroise Paré.
Devenu médecin des troupes impériales, ses attaques ne cesseront pas pour autant. Toute sa vie, il subira querelles et critiques pour avoir osé corriger Galien.
Le combat des Anciens et des Modernes n’est pourtant qu’un éternel combat.
Il est difficile de comprendre pourquoi cette haine atteignit un tel degré chez Vésale. Est-ce sa soif de savoir, inextinguible ? Ou d’avoir voulu initier une révolution ?
On ne le saura jamais.
Il mourra avant ses 50 ans, sur l’île de Zante en pleine mer Ionienne, son bateau rejeté par la tempête lors d’un retour de pèlerinage à Jérusalem.
Vésale publiera en sept années de travail ininterrompu une somme considérable d’ouvrages anatomiques. Il mourra misérablement, oublié de tous, peut-être atteint du typhus, rejeté par sa femme, par ses détracteurs et par la mer qui finalement aura eu raison de lui.
Il méritait bien ce petit mot dans un glossaire de ma spécialité.
Image : Peinture d'André Vésale par Pierre Poncet