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Chapitre 21 - La joute oratoire

Chapitre 21 - La joute oratoire

Published May 24, 2024 Updated May 24, 2024 Fantasy
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Chapitre 21 - La joute oratoire

 

Au fil des années, Hildegarde a acquis une influence considérable au sein de l’Église. Après avoir formé quelques sœurs à l’étude des plantes et de leurs remèdes, elle s’est fixée une mission bien plus importante. Elle a parfaitement compris que sauver quelques paysans ou soldats qui se présentent à sa porte n’est plus suffisant. Elle doit utiliser son aura pour convaincre les puissants que la voie de Dieu est celle de la diplomatie, et non celle des guerres incessantes. Ainsi, elle consacre la majeure partie de son temps à entretenir une correspondance avec des personnalités telles que des évêques, des intellectuels et même des souverains. Elle partage avec chacun ses réflexions sur la théologie et la société, et ses talents de négociatrice ne sont bientôt plus à démontrer.

Pour l’aider dans la gestion quotidienne du monastère, elle s’appuie sur une sœur qu’elle a prise sous son aile, tout comme Jutta von Sponheim l’avait fait avec elle. Gertrud von Espelt est la fille d’une famille noble. Bienveillante, organisée, mais peu imaginative, elle se révèle être d’une grande aide et devient rapidement un point de repère pour les novices.

Malgré les menaces de Bernard de Clairvaux, elle se prépare pour son premier voyage à Cologne. Elle doit y prêcher au chapitre général des cisterciens. Arrivée dans la grande ville, elle est accueillie par une foule de religieux curieux de découvrir celle que l’on surnomme désormais la Sibylle du Rhin.

Hildegarde se tient à quelques pas de l’autel, au sein de l’Évêché. Prêcher au milieu d’une assemblée d’hommes la rend nerveuse. Elle est consciente que, parmi eux, certains ne supportent pas qu’une femme ait la préférence de Dieu et vont chercher par tous les moyens de la discréditer.

— Mes frères, commence-t-elle, sa voix claire résonnant sous les voûtes de l’église, Dieu nous a confié la garde de sa création. Nous ne devons pas chercher à nous élever au-dessus de la nature, mais plutôt apprendre à vivre en harmonie avec elle. Je crains que, dans notre arrogance, nous ne nous égarions et provoquions notre propre fin. Considérez, mes frères, comment nous traitons notre terre. Nous abattons ses forêts, ses poumons verts, sans penser à l’avenir. Un jour, peut-être, l’air que nous respirons deviendra si vicié que même le plus pieux d’entre nous ne trouvera plus de réconfort dans sa prière.

Elle regarde autour d’elle, captant le regard de ses auditeurs :

— Pensez aussi à nos frères les animaux. Si nous chassons et tuons sans nécessité, nous perturberons l’équilibre que Dieu a créé. Un jour, certainement, nous serons responsables de la disparition de milliers d’espèces. Pensez-vous alors que Dieu nous pardonnera la perte de cette beauté et de cette diversité qu’il a créés et remis entre nos mains ?

Des raclements de gorges et des murmures indignés confirment ses craintes : ils croient suivre leur cœur, mais en réalité, ils ne font que s’abandonner à la cupidité et au pouvoir. Sur un ton grave, Hildegarde conclut :

— La responsabilité que le Seigneur nous a donnée à nous, hommes et femmes de son Église est la suivante : nous devons nous assurer que l’humanité, qu’il s’agisse du Seigneur ou du paysan, respecte la place que Dieu lui a laissée et ne cherche pas par bêtise, par cruauté ou par vénalité, à détruire son Œuvre.

Ses paroles, qui laissent prévoir un sombre avenir, laissent les moines sans voix. Jamais personne n’avait prononcé de tels mots, encore moins une sœur. Une voix jaillit dans la foule. À voir la mitre sur son crâne chauve, l’intervenant est un religieux de haut rang, certainement un évêque.

— Comment pouvons-nous croire en ces visions que vous prétendez avoir reçues ? Comment une femme peut oser prétendre avoir la sagesse de comprendre les Paroles de Dieu ?

La salle retient son souffle. Hildegarde le fixe calmement et répond :

— Mon frère, je ne fais que partager ce que le Seigneur a bien voulu me révéler. Si nous limitons la sagesse uniquement à celle des hommes, alors nous rejetons la moitié de la Création de Dieu.

Le moine riposte, son ton se durcissant :

— Mais comment pouvons-nous être sûrs que vos visions viennent de Dieu et non de… d’autres influences plus redoutables ?

— La vraie question est, mon frère, comment ignorer les messages de Dieu lorsqu’ils se présentent à nous ? Qui sommes-nous pour remettre en doute sa Volonté ?

Un murmure parcourt l’assemblée, de nombreux moines acquiescent aux paroles de Hildegarde. Son opposant, décontenancé, essaie une dernière attaque :

— Et qu’en est-il de votre audace à prôner une place plus grande pour les femmes dans la société ? N’est-ce pas aller à l’encontre des enseignements de l’Église ?

Hildegarde le regarde droit dans les yeux et répond avec force :

— Si chercher à comprendre et à valoriser chaque créature de Dieu est aller à l’encontre de l’Église, alors c’est l’Église qui doit se remettre en question. Dieu n’a-t-Il pas créé l’homme et la femme à son image ? Refuser la sagesse des femmes, c’est refuser une partie de cette image.

Pensant remporter cette joute verbale, l’évêque se rend compte, au contraire, qu’il a complètement perdu la face. Furieux, il quitte l’assemblée en grognant et menaçant Hildegarde des pires châtiments de Dieu. L’homme ne semble pas être en odeur de sainteté, car nombreux sont les religieux à applaudir l’oratrice lorsqu’il passe devant eux.

Grâce à lui, La Révérende Mère Hildegarde de Bingen vient de marquer l’histoire.

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