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🪦 Ronde nocturne

L’American Chicken Bunker trônait au milieu d’un parking désert. Seul Paul trainait devant le restaurant ce soir là, les bras chargés de victuailles aux noms fleuris et aux effluves de poulet. Paul était étudiant en échange linguistique, fraîchement débarqué de France.

(Enfin !)

Une jeune femme stoppa sa course devant lui, haletante. Elle resta interdite quelques secondes, le temps qu’il l’aperçoive, en retrait d’un réverbère, le visage dans l’ombre.

(Oui, alors pardon d’intervenir. Le héros éponyme : c’est lui. L’auteur exagère. Il vous a fait attendre. J’ai conscience de casser un peu le rythme et le suspense. Désolé. Mais je voulais juste pointer le procédé honteux de l’auteur. On l’attendait le fameux Paul, non ?)

Paul ne l’avait pas vue.

(À moins que ce ne soit moi, en tant que narrateur, qui gagne du temps. Qu’en pensez-vous ?)

Une voix chevrotante brisa le silence de leur rencontre :

— J’ai faim.
— Salut Mel !
— Tellement faim.

Paul regarda son sac en papier graisseux, puis reporta son attention sur elle. Le sac, Melania. Sac. Melania. Paul commençait à espérer qu’en jouant les gentlemen, il pourrait...

La séduire ? Peut-être conclure ? Il serait temps, à 17 ans... à l’étranger...

— Y’en a pour Alex et moi, mais les portions US sont plus grandes que les françaises. On peut sûrement partager.

Melania fit un pas dans la lumière alors que Paul posait le sac sur un banc tout proche.

Il n’eut pas le temps de voir ses canines et son visage tordu trahissant sa condition nouvelle. Il sentit le souffle chaud de sa charmante camarade parcourir sa nuque. Il eut une poussée d’hormones et se retourna plein d’espoirs romantiques sous la lune. Ce soir, il allait pécho !

Ses lèvres étaient offertes, tendues comme un bec de canard ridicule. Les yeux clos, il inspira un grand coup.

Un nuage de poussière le prit à la gorge et le fit tousser comme un fumeur de cigares.

Buffy se tenait devant lui, un pic en bois à la main.

Elle dévisagea cet inconnu à l’air ahuri. Lui la reconnut immédiatement.

— Buffy !
— On se connaît ?
— On est dans la même classe.
— Ah ?
— Paul. Je vis chez Alex. Je suis en échange international.
— Ah.
— Je suis assis à côté de toi en français.
— Ah...
— Enfin, quand t’es là.
— Ah ! C’est toi qui vient d’Europe ?
— Oui, de France.
— Tu parles français ? C’est pour ça que tu as un accent bizarre ?
— Euh... probablement... et Melania, elle est où ?
— Elle s’est... évaporée. Je crois pas qu’on la reverra au lycée.

Soudain, une idée la traversa.

Elle venait de lui sauver la vie, et devait rendre un devoir de français le lendemain. Mais alors qu’elle allait lui demander de l’aide, elle se ravisa en pensant que Willow était une élève modèle qui l’aiderait sans chercher à la draguer. Ce gars sentait le loser à plein nez.

Buffy coupa court à la conversation:

— Bon, je rentre. Bonne nuit Pierre !

Paul resta planté là, entre surprise et déception alors que Buffy quittait le parking. "Merde", pensa-t-il. C’était pas pour ce soir...

Il ramassa son repas et partit rejoindre Alex à son domicile.

Tapi dans l’ombre à quelques pas de là, un homme en long manteau de cuir avait observé toute la scène avec attention, un livre ouvert à la main. Il soupira en levant les yeux au ciel. Sa vieille comparse la lune, presque pleine, semblait le dévisager d’une moue moqueuse.

Si quiconque avait pu l’entendre, on l’aurait surpris se plaindre qu’il n’avait pas l’habitude de s’occuper des cas comme ça. L’homme griffonna dans la marge et referma l’ouvrage à l’épaisse couverture de cuir. Il le glissa dans une sacoche élimée qu’il jeta sur son dos.

Il réajusta sa large capuche et son col montant avant de quitter les lieux en grommelant. Il savait que tout se jouerait le lendemain. La lune ne lui répondit pas (faut pas déconner non plus) ; elle éclairait peut-être les pas de son vieux confident pour la dernière fois.

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la suite bientôt : 🎒 Révélation matinales

Crédits

To Be Continued de freeketsal sur Flickr
Photo de Noah Silliman sur Unsplash