La Finta Giardiniera
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La Finta Giardiniera
Estelle était allongée sur le dos, respirant difficilement. Son visage était très pâle et quelques gouttes de sueur perlaient sur son front et sur les ailes du nez. Ses longs cheveux noirs s’étalaient, comme mouillés, sur l’oreiller. Il devait être environ cinq heures du matin et tout était encore calme dans la via Venetta, au cœur du vieux quartier de Milan. Par moments, Estelle soulevait douloureusement ses paupières et regardait avec amour Amadeo qui, assis sur le lit depuis la veille en lui tenant la main, était penché sur elle et cherchait à dissimuler son chagrin et son angoisse. Soudain, les lèvres d’Estelle semblèrent vouloir exprimer quelque chose. Amadeo posa délicatement un doigt sur sa bouche et fit « chut », comme pour lui éviter un trop grand effort. Il lui sourit. Une petite bulle de salive sortit de la commissure des lèvres d’Estelle. Amadeo se pencha un peu plus et, tendrement, déposa un baiser en chuchotant « la mía cara Stella ».
La pâleur d’Estelle, sa beauté si fragile, sa jeunesse, tout cela fit penser Amadeo au personnage d’Ophélie dans Hamlet. Il se souvenait parfaitement de la pièce de Shakespeare que Johan Christian Bach lui avait fait connaître lors de son voyage en Angleterre et, bien qu’il fût très jeune – il n’avait que huit ans –, cette vision romantique l’avait frappé comme un coup de poignard.
Combien de temps resta-t-il ainsi, sans dire un mot, juste à la regarder, à lui sourire, à prier Dieu, se sentant si démuni et ne pouvant lui donner que son amour comme remède ? D’ailleurs, le médecin qu’il avait fait venir la veille ne lui avait pas caché qu’il ne connaissait aucune médecine à ce genre de fièvre maligne et qu’il y avait peu d’espoir.
Parfois, il se levait pour arranger un peu la mèche de la lampe à huile lorsqu’elle se mettait à fumer, ou bien pour nourrir le feu de la cheminée avec une nouvelle bûche. Ou bien encore il remontait ses oreillers et tentait de lui faire boire quelques cuillérées d’une infusion d’ail et de thym. Puis il se rasseyait et reprenait sa main en souriant. Mais dans son for intérieur, c’était une vague de colère qui l’envahissait et se fracassait contre ses espoirs, une vague de haine, haine d’un destin si cruel, de quelque chose de tellement illogique et incompréhensible, que c’en devenait indécent. C’était le mot ! « Indécent !». Il n’avait pas encore dix-neuf ans et pourtant, cette nuit-là, la vie lui paraissait indécente.
Pendant ce temps-là, à Salzbourg, quelques « Grands de ce monde » se vautraient dans le luxe, la médiocrité et la luxure tandis que d’autres, les « petits » semblaient se satisfaire d’une servilité indigne de l’Homme. Et ici, à Milan, via Venetta, dans ce sordide immeuble puant, hébergeant plus de rats que d’êtres humains, Estelle de Saint-Esprit, la plus belle voix de toute l’Europe, la plus belle jeune fille – la plus sage aussi – qu’il ait été donné de voir sur cette planète de malheurs, plus digne que les quatre Reines, filles de Raymond Béranger Comte de Forcalquier, dont elle aimait conter l’histoire si extraordinaire, plus sainte que tous les Saints connus à ce jour, était en train de mourir dans sa seizième année.
Elle, qui avait dû fuir son père le Seigneur de Vachères, une brute immonde, pour échapper à un mariage forcé avec ce vieillard de Vicomte de Sisteron. Elle qui, un an auparavant, avait dû traverser les Alpes en plein hiver par des sentiers forestiers, poursuivie par la police du Vicomte, la peur au ventre, dans le froid et la neige. Elle qui n’avait eu pour toute protection que la bénédiction de sa mère, sa propre foi et la petite croix d’osier que lui avait donnée l’Abbé Soubeyran, ce très saint homme, chef de chœur de la cathédrale Notre-Dame de Forcalquier. Elle qui avait dû chanter dans les rues de Cuneo, Fossano, Torino… pour gagner quelque argent afin de se nourrir et se loger. Elle, qui avait repoussé tant d’avances d’hommes de tous âges que sa beauté avait séduits. Jusqu’à ce jour de septembre où, tout juste arrivée à Milan – elle chantait alors a capella quelques arias de la « Maddalena ai piedi di cristo » d’Antonio Caldara sous le kiosque du jardin de la Santa Madonna –, jusqu’à ce jour où un petit jeune homme la remarqua.
On était maintenant en novembre 1774. Le matin du 14 exactement. Voilà plus d’un an qu’Amadeo n’avait pas remis les pieds à Milan, cette ville où il avait eu tant de succès, en particulier avec son « Mitridate, Re di Ponto » joué le jour de Noël 1770 lors de son premier voyage. Cette ville où sa jeunesse, son enthousiasme d’adolescent et son talent avaient emballé un public chaleureux pour lequel il avait dû faire plus de vingt représentations. Il avait adoré l’Italie, Bologne, Naples, Rome où il avait tant appris auprès du Padre Martini, où il avait été acclamé et si souvent récompensé. C’était aussi la première fois qu’il voyageait seul, libre enfin des rênes de son père qui, cette fois, n’avait pu obtenir de congé auprès du Prince-Archevêque Colloredo. Mais ce matin-là, l’Italie avait un goût amer.
Estelle glissa sa main gauche, que tenait encore Amadeo, sous la couverture, descendant lentement le long de son ventre. Amadeo ne comprit pas tout de suite. Il tressaillit. Pourtant il connaissait si bien ce corps, la douce courbe de son ventre, ses petits seins si blancs, cette petite touffe noire et soyeuse sur laquelle il aimait tant reposer sa tête… Les lèvres d’Estelle s’ouvrirent et, dans un léger sourire, un seul mot en sortit : « Bambino ». Amadeo laissa sa main bien à plat sur le ventre comme pour essayer de percevoir cette petite vie encore embryonnaire qui était née au sein des entrailles d’Estelle, imaginant qu’une partie de lui vivait mystérieusement en elle. Mais pour combien de temps encore ? C’était la première fois qu’il ressentait toute la force du mystère de la Vie et de l’Amour et cela le troublait beaucoup. Il regarda Estelle en lui rendant son sourire. Puis, subitement, vinrent à son esprit les mots « Stabat Mater ». Quelques jours auparavant, au Duomo, la cathédrale, profitant de quelques heures de répit entre deux répétitions, Estelle et lui avaient entendu le Stabat Mater de Giovanni Battista Pergolesi. Amadeo savait qu’Estelle adorait tout autant que lui cette oeuvre grandiose et si émouvante. S’il pouvait… Oui… Peut-être une manière d’exorciser le mal… Une foule de questions, d’idées, de sentiments se bousculaient à présent dans sa tête. Amadeo se leva d’un bond et s’approcha de la porte donnant sur l’escalier de pierre.
« Anna-Maria, cria-t-il, venite subito !
Puis s’adressant à Estelle :
— une surprise ; j’ai une surprise pour toi mon Amour ; je reviens très vite. »
La logeuse, Anna-Maria, était une femme d’une trentaine d’années, toute ronde, qui adorait ses six enfants dont on entendait les rires dans la journée, jamais fatiguée et toujours prête à rendre service. Amadeo descendit rapidement la volée de marches et frappa à la porte en criant à nouveau « Anna-Maria ! ». La porte s’ouvrit et il vit la logeuse habillée d’une camisole de jute, se frottant les yeux, sans doute réveillée en plein sommeil. Amadeo lui demanda de se porter au chevet d’Estelle pour ne pas la laisser seule. Il ne fit aucun cas de ses grands gestes implorant le ciel et émaillés de quantités de « Santa María… Madre Mía… » puis se jeta dans la ruelle froide et noire. Malgré l’obscurité de la nuit, il rejoignit rapidement le théâtre où il savait que certains musiciens y étaient logés.
Amadeo tambourina à la loge de Sergio de toutes ses forces.
« Que se passe-t-il ? répondit Sergio
— C’est moi, Amadeo, lève-toi vite, vite !
— Mais quelle heure est-il ? Laisse-moi dormir, c’est la nuit.
— Mais j’ai besoin de toi ! C’est pour Estelle, elle est mourante, viens vite ! »
Amadeo tambourina tant et tant que Sergio se leva enfin de mauvaise grâce. Sergio était le castrat le plus réputé de toute la ville. Amadeo l’avait engagé pour sa voix souple et chaude et surtout parce que, malgré son talent et le succès qu’il avait auprès du public, il avait toujours gardé la tête froide et une certaine humilité. Amadeo expliqua rapidement son projet à Sergio, le chargeant de regrouper quelques musiciens : un ou deux violons, un alto, une basse. Lui se chargerait d’amener la déjà célèbre soprano Maddalena Campofiori.
« Mais on n’a pas de partition ! Interpella Sergio
— Ne t’inquiète pas pour ça, je vais me débrouiller, répondit Amadeo. C’est bien compris ? A dix heures, via Venetta, chez Estelle. »
Amadeo quitta Sergio et se précipita dans les couloirs du bâtiment jusqu’à la scène en marmonnant tout haut « mon épinette, mon épinette… Ah ! Et mon papier ligné… Oui… Je les ai laissés dans la loge… »
Amadeo revint via Venetta chargé jusqu’à la tête. Bien que chétif, il avait réussi à transporter seul sur son dos l’épinette dont il se servait pour les répétitions, une trentaine de feuilles de papier à musique, et encore un sac contenant gommes et crayons. A peine avait-il ouvert la porte de la chambre qu’une joie fit briller les yeux d’Estelle et un large sourire illumina son visage. Amadeo constata qu’Anna-Maria avait ajouté de nouvelles bûches dans l’âtre, remonté les couvertures, et qu’elle avait rapproché la table sur laquelle brûlait la lampe. Amadeo la remercia. Anna-Maria sortit doucement, les mains jointes en priant. Puis il approcha la chaise de la table, sortit une feuille de papier de la pochette qu’il avait ramenée du théâtre, la bouteille d’encre et une plume et se mit à écrire une lettre en Italien, dont voici la traduction :
« Très chère et très admirée Maddalena,
Vous me feriez un très grand honneur de bien vouloir nous rejoindre auprès d’Estelle de Saint-Esprit, via Venetta, en ce jour vers dix heures, et si cela ne vous disconvient pas. En effet, vous savez qu’Estelle est très malade depuis quatre jours, ce pourquoi je vous ai demandé, connaissant votre immense talent, de répéter le rôle pour ma « Finta giardiniera ».
Sachez, très chère Maddalena, qu’Estelle est au plus mal ce matin et que le médecin ne sait aucun remède à son mal et que sa vie est désormais entre les mains de Dieu.
Aussi aimerais-je qu’elle entende encore une fois ce merveilleux « Stabat Mater » de Pergolesi que vous avez si bien interprété la semaine dernière au Dôme et dont l’émotion que vous y avez mis a tant touché ma chère Estelle. Si une telle beauté pouvait faire reculer la mort, je serais heureux que vous en soyez une des causes.
Je vous fais porter ce billet par le fils aîné de la logeuse d’Estelle. Faites-lui bon accueil car il le mérite.
Je vous embrasse. Votre très fidèle et très dévoué admirateur,
Amadeo »
Amadeo plia la feuille de papier, prit le bâton de cire, le chauffa au-dessus de la lampe, et cacheta la lettre. Il y inscrivit l’adresse puis descendit à l’étage au-dessous donner le pli à Petruccio, le fils aîné d’Anna-Maria. De retour à la chambre d’Estelle, Amadeo étala ses feuilles de papier à musique et se mit à réfléchir, les yeux fermés. Il ne fallait surtout pas qu’il s’aidât de l’épinette afin de conserver tout effet de surprise pour Estelle. Il marmonnait à voix basse : « Bon…Mi ? non… Fa mineur, c’est ça ! ». Sa mine de plomb grattait le papier. Parfois il gommait rageusement ce qu’il venait d’écrire, et recommençait le passage. Au bout de deux heures, Amadeo avait fini de reconstituer de mémoire les quatre premiers morceaux de l’œuvre de Pergolesi. La lumière hivernale du jour commençait à peine à s’élever derrière les tuiles rondes des toits. Amadeo avait pris la plume et reproduisait maintenant chaque partie pour les instruments. De temps en temps il tournait la tête pour vérifier la respiration d’Estelle. Parfois, elle toussait. Il se précipitait alors pour lui soutenir la nuque afin qu’elle ne s’étouffât point et essuyait la sueur générée par l’effort.
Un pic-vert tapait son bec contre un tronc de façon régulière : toc-toc-toc… toc-toc-toc. En même temps, des anges fleuris tournoyaient autour du feuillage… Amadeo reprit brusquement ses esprits et cria « Avanti ! ». La porte s’ouvrit et il aperçut Maddalena suivie de Sergio, Pascuale le flûtiste, Vittorio le violoniste, Paolo avec une Viole de gambe et un inconnu traînant une grosse boîte de violoncelle. Maddalena s’approcha d’Estelle et sortit d’une grande poche une rose qu’elle lui offrit. Les autres s’approchèrent également du lit et tentèrent d’offrir leur plus beau sourire pour cacher leur émotion.
« Ne… soyez pas tristes, mes amis, dit Estelle avec difficulté.
— Mais nous ne sommes pas tristes, mentit Sergio avec un léger tremblement dans la voix et les yeux humides.
— Mon amour, je les ai réunis pour t’offrir un peu de musique que tu aimes, ajouta Amadeo à l’adresse d’Estelle.
Puis à Sergio :
— Tu n’as pas trouvé d’autre violon ni d’alto ? Et toi, qui es-tu, s’adressant à l’inconnu.
— C’est mon frère Flavio, de Venezia, répondit Sergio. Il joue très bien du Cello. Il est Maestro à l’Ospedale de la Pieta. Il est venu passer Noël en famille. »
Flavio ouvrit la grosse boîte en bois qui, à elle seule devait peser une bonne dizaine de kilos, et en sortit un violoncelle plutôt court mais extraordinairement large.
« C’est un Domenico Montagnana, dit Flavio avec une évidente fierté. Il est court mais c’est une bonne basse.
— Bon ! Toi, Paolo, tu feras la partie d’alto avec ta viole. On va essayer comme ça, tant pis. »
Amadeo distribua les copies qu’il avait écrites à toute vitesse avant de s’écrouler sur la table, fourbu de fatigue. Puis il installa son épinette sur ses pieds démontables et accorda quelques notes dont les cordes avaient un peu souffert du transport et surtout du froid. Sergio et Maddalena faisaient pendant ce temps quelques vocalises pour se chauffer la voix. Le jour était maintenant très clair et un soleil d’hiver radieux entrait par les fenêtres. Le petit quatuor s’accorda sur l’épinette. Estelle était souriante et les regardait comme s’ils eussent été des enfants. On entendit des pas et des bruits dans l’escalier. C’était Anna-Maria et son fils qui, attirés par les vocalises avaient espéré qu’un petit concert se préparait. Ils poussèrent la porte et entrèrent sur la pointe des pieds, chacun portant une petite chaise paillée, et s’installèrent contre le mur opposé à la fenêtre.
Amadeo se concentra pour donner le départ. Un silence absolu se fit. Le petit groupe d’instrumentistes da camera commença à égrener les vingt-deux premières mesures. Dès la première note, Estelle chuchota en Français « Merci mon Dieu ». Puis Sergio commença pianissimo « staaa…baaat », suivi en canon par Maddalena dans le premier duo. Amadeo ne put empêcher de grosses larmes de couler le long de ses joues. Malgré le peu de moyens et une partition reconstituée de mémoire, cette interprétation plongea tout le petit groupe dans une extase et une union spirituelle dont ils faisaient l’expérience pour la première fois de leur vie, semblait-t-il. Dans la rue, au pied de la maison, quelques personnes commençaient à se réunir malgré le froid mordant. Certains s’étaient agenouillés pour prier.
A la fin du quatrième morceau, Amadeo tourna son regard vers Estelle. Elle était totalement immobile, très pâle et semblait dormir. Amadeo fut soudain pris d’une violente panique. Il se jeta au chevet d’Estelle et posa son oreille sur sa poitrine. Son teint devint blême. Les autres retenaient leur émotion et n’osaient penser au pire.
« Vite, Sergio ! Un miroir, vite ! demanda Amadeo.
— Mais…
— Là, regarde à côté du broc, sur la cheminée, là ! Lui enjoignit-il avec force gestes. »
Sergio revint avec un morceau de miroir cassé et le donna à Amadeo. Celui-ci le posa tout près de la bouche d’Estelle pour vérifier si quelque souffle pouvait encore provoquer un peu de buée. Hélas ! Rien ne vint troubler le reflet du miroir. Amadeo tâta le front d’Estelle. Bien qu’encore humide de sueur sa température avait fortement baissé. Au fond de la pièce, la logeuse Anna-Maria était en pleurs et son fils lui serrait la main. Maddalena fit un signe de croix et baissa les yeux comme pour prier. Tous les autres musiciens l’imitèrent gauchement sans trop savoir quoi dire ni quoi faire. Amadeo, qui avait pris dans sa paume la main gauche d’Estelle, la reposa délicatement sur la couverture puis ramena sa main droite au-dessus. Il avait le teint livide et la bouche pincée. Ses yeux étaient baignés de larmes. Il se retourna lentement et se mit à l’épinette. Ses doigts balayèrent le clavier au hasard, comme pour provoquer un craquement dans le lourd silence. Il leva la tête en fermant les yeux et prononça le mot « lacrimosa ». Puis il commença à improviser un air triste, à quatre temps ternaires, presque identique au Lacrimosa du Requiem dont il n’écrira que les sept premières mesures dix-sept ans plus tard. Les quatre musiciens reprirent en écho les quelques notes que venaient de jouer Amadeo, en scandant bien les liaisons, quand soudain…
« Oh! Oui! Oui! Bellissimo! Magnifico! Note-le, Caro Amadeo! Savez-vous mes amis ? J’ai fait un rêve... J’ai vu des anges, très blancs, qui montaient et descendaient... Et il y avait une lumière éblouissante et... Ils m’empêchaient de monter... J’ai alors compris qu’il fallait que je reste ici.... Il bambino... La Finta giardiniera... »
Amadeo tomba à genoux au pied du lit d’Estelle et se mit à embrasser follement ses mains et ses bras. Les pommettes de chacun devinrent rouges et leurs yeux se mirent à briller de joie. Anna-Maria s’agenouilla et remercia la Santa Maria avec force démonstrations. L’air devint extrêmement léger et gai. Estelle s’était maintenant assise sur son lit et souriait, plus belle que jamais. Elle semblait revenue d’un très très lointain cauchemar.
Un tout jeune homme frappa à la porte de la chambre restée ouverte, tenant une lettre pour Amadeo qui, reconnaissant l’écriture, la décacheta aussitôt. Après un moment, Sergio l’interrogea du regard.
« Oh ! Rien. Rien de grave. C’est seulement mon père qui m’intime l’ordre de rentrer très vite à Salzbourg pour aller présenter mon Opera à Munich, pour le carnaval. »
Pour la première fois de sa vie, et en désaccord total avec la sacro sainte règle familiale qui voulait que chacun conservât toutes ses correspondances, Amadeo ne rangea pas la paternelle lettre dans l’écritoire. Il y jeta à nouveau un rapide coup d’œil, émit un bruissement des lèvres mêlé de colère et de lassitude, puis la jeta dans la cheminée.
(Cette nouvelle a été publiée dans le recueil "Sur les ailes du papillon", Editions du Net)