Épisode 13 : L'étrangère
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Épisode 13 : L'étrangère
Elle n'a jamais compris grand-chose à ce que les humains appellent leur "foi". L'homme qu'on appelle leur "prieur", le Père Adalbéric, a bien essayé de l'instruire à ce sujet, mais elle ne s'est jamais reconnue dans ses mots. Le Père Adalbéric validerait-il sa prière muette ? Il y a peu de chances. Mais Mélusine n'en a cure.
Elle a toujours eu du mal avec le monde des humains. C'est un sortilège ancien dont elle fut l'objet autrefois et dont elle a perdu la mémoire qui l'a rendue capable de comprendre leur langue et même, à l'occasion, de la parler. Cela l'a-t-il prédisposée à aimer un jour l'un d'entre eux ? Siegfried adore sa voix, il l'a toujours aimée, depuis le début. Sa voix, et aussi ses mains qui rafraîchissent parfois son front brûlant. Parfois il la fait parler, même pour ne rien dire, rien que pour l'entendre. Cela semble apaiser un peu son humeur sombre. Mais elle ne se laisse vraiment aller que lorsqu'elle est seule avec lui. Et même à ces moments-là, elle retient sa voix et ne donne pas toute sa mesure.
Car si Siegfried trouve sa voix enchanteresse, les autres n'ont pas vraiment l'air de partager son avis. Beaucoup de gens trouvent sa voix bizarre. On lui a plus d'une fois posé des questions à ce sujet, et pour tout dire, sur un ton intrigué et inquiet, voire carrément désapprobateur, plus que franchement admiratif. Certains émettaient à mi-voix des commentaires très critiques et désobligeants. Les plus audacieux (et les moins déstabilisés par son étrangeté) s'en sont moqués - certes vite remis à leur place par Siegfried, mais quand même.
Et c'est sans parler des regards que certains laissaient parfois glisser sur ses si longues tresses et sur sa silhouette. Certes, le regard farouche de Siegfried sur ceux-là la protégeait aussi, et ils comprenaient très vite que s'ils ne voulaient pas perdre un œil et arborer une balafre pour le restant de leurs jours, ils avaient intérêt à ne pas manquer de respect à la comtesse de Lucilinburhuc et à regarder ailleurs. Mais ça la rendait quand même mal à l'aise - d'autant plus que les autres femmes en devenaient jalouses et la rendaient responsable des regards baladeurs de leurs hommes. Pas pratique pour se faire parmi elles des amies ou des alliées.
Et puis, parler, fréquenter les gens, c'est surtout devoir à un moment donné répondre à des questions. Des questions apparemment banales voire élémentaires pour la plupart des humains - mais pour elle, des questions gênantes, des questions embarrassantes. D'où venait-elle ? Quelle était sa famille, où vivait-elle ? Comment avait-elle rencontré le comte Siegfried ? Toutes questions auxquelles elle ne pouvait pas répondre en disant la vérité. Une vérité que ses interlocuteurs n'auraient pas été prêts à entendre, et encore moins à accepter. Dame, Siegfried ne connaissait pas lui-même la réponse à certaines de leurs questions ! Et elle n'en savait pas assez sur les mœurs des humains pour être capable d'inventer de toutes pièces pour les satisfaire une histoire qui pouvait plus ou moins tenir debout. Siegfried avait bien ficelé un récit assez vague tout en restant assez vraisemblable pour ne pas poser plus de questions qu'il n'apportait de réponses, mais elle était assez fine pour comprendre que moins elle en dirait, mieux cela vaudrait, et que la meilleure politique consisterait à se taire le plus possible et chaque fois qu'elle en aurait l'occasion. Elle avait pourtant elle-même bien des questions à poser, mais une fois encore, se montrer de façon aussi directe trop ignorante de choses qu'elle était censée savoir risquait d'intriguer et d'éveiller une curiosité qui n'était pas souhaitée. Elle a donc appris le maximum de ce qu'elle pouvait apprendre en se contentant d'ouvrir bien grand ses yeux et ses oreilles et d'activer sa mémoire. Et aussi en sélectionnant les sujets sur lesquels elle ressentait le besoin de s'instruire.
Pour le reste, encore une fois, elle se taisait. Ou alors elle approuvait les propos de son interlocuteur (ou de son interlocutrice) histoire de faire semblant, et elle faisait mine d'être distraite et d'avoir la tête ailleurs - ce qui était même parfois réellement le cas. Le plus souvent, ça fonctionnait. Et dès que ce qu'elle comprenait de la bienséance lui permettait de le faire, elle évitait de se montrer en public, ce qui avec le temps se faisait de plus en plus fréquent, car toutes ces mascarades, ces faux-semblants, ces stratégies d'évitement et ces conversations vides, ça la mettait vraiment mal à l'aise et elle y passait le plus clair de son temps à se demander ce qu'elle faisait là.
Franchement, si elle n'avait pas connu Siegfried, si elle ne l'avait pas aimé, aurait-elle jamais eu l'idée ou l'envie de vivre parmi les humains ? Probablement pas.
Les humains célèbrent l'amour comme un idéal et comme le plus désirable des biens de ce monde, et elle-même, en s'alliant à Siegfried, a commencé par penser que l'amour d'un humain était la chose la plus extraordinaire qui lui soit jamais arrivée et que si son existence valait la peine pour une seule chose, c'était pour avoir connu cela. Mais si elle a appris une seule chose de son temps passé parmi les humains, c'est qu'en réalité, l'amour est loin d'être simple et qu'il est bien plus souvent une malédiction et une souffrance. Et pourtant, même si l'aura de Siegfried s'obscurcit de plus en plus sans qu'elle puisse y changer quoi que ce soit, elle n'aurait jamais voulu d'un autre destin. Est-ce la même chaîne qui entrave et emprisonne Siegfried ? Est-ce la même souffrance qui obscurcit son aura ?
Musique : The Messenger - Linkin Park (A Thousand Suns)
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Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos