Épisode 45 : Honneur
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Épisode 45 : Honneur
Le discours est long, et Siegfried, vidé, s'affaisse sur le lit.
Mélusine n'en revient pas. La tête lui tourne autant qu'à Siegfried, mais pas pour les mêmes raisons.
Maintenant, alors que Siegfried s'affaisse et lutte pour garder une position assise sur le lit, c'est Mélusine qui doit s'appuyer à la colonne du baldaquin.
- Je crois rêver... et mon rêve, c'est un cauchemar. Tu as pensé à ton renoncement, à ton vœu. Mais as-tu pensé un seul moment à qui il ferait souffrir en face ?... Moi aussi j'ai un cœur, Siegfried ! Moi aussi j'en souffre, de ton vœu ! Et comme tu dis, la façon dont tu t'y es pris... Non mais tu as vraiment cru que moi, j'allais accepter ça sans broncher comme quelque chose de tout à fait normal ? Quitte à faire semblant de rien ? Je ne suis pas une de tes domestiques, Siegfried ! Je suis ta femme ! Imagines-tu un seul moment pour qui et pour quoi tu m'as fait passer auprès de ces deux hommes ? Pour toi, cela comptait vraiment pour rien ? Ou bien ai-je toujours été si mauvaise en tant que soigneuse et... en tant qu'épouse ?...
- Non Mélusine, ne dis pas ça !
- Ah bon, je ne dois pas dire ça ? Que dois-je dire alors ? Que j'en étais réjouie ? Que tu m'as élevée au sommet ? Que tu m'as portée au-dessus des nuages ?... T'imagines-tu seulement la dixième partie de ce que j'ai souffert pendant toutes ces dernières semaines ? Tu m'as couverte de boue, Siegfried ! Le réalises-tu seulement ?... Que crois-tu que ces hommes en ont pensé, de ce qui se passait ? De toi peut-être, mais de moi surtout ? Toi qui t'es toujours fait fort d'être prêt à te battre pour mon honneur, sais-tu seulement à quel point tu m'as déshonorée ce jour-là ?... Dis-moi, Siegfried, ai-je jamais démérité à ce point ? Qu'ai-je pu faire de mal pour que tu aies estimé juste de me châtier à ce point ?
Siegfried lève la tête vers elle.
- Il n'a jamais été question de te châtier de quoi que ce soit ! Ni de te blâmer !
- Ah non ? Eh bien va expliquer ça aux témoins de la scène ! À ces deux hommes qui, j'en suis sûre, se sont fait une joie de la rapporter tout autour d'eux ! Comment crois-tu qu'ils en ont parlé ? Comment crois-tu qu'ils ont interprété tes paroles et tes décisions ?... Comment crois-tu que tu l'interpréterais si tu voyais juste quelqu'un d'autre en faire autant ? Es-tu sûr que tu penserais que cet homme a fait je ne sais pas quel vœu de... comment appelez-vous ça encore... d'abstinence ? Ou ne croirais-tu pas plutôt que soit sa femme est une incapable, soit il la dégrade parce qu'elle a commis une faute grave ?... Ai-je été l'une ? Ai-je fait l'autre ?...
- Ni l'un ni l'autre, Mélusine. Ce que j'ai décidé ce jour-là n'avait rien à voir avec toi.
Mélusine a un rire sarcastique.
- Rien à voir avec moi ? Vraiment ? J'étais la première concernée, mais ce qui se passait n'avait rien à voir avec moi ? Non mais est-ce que tu t'entends parfois ?... Et est-ce que tu t'es entendu ce jour-là au moment où tu as dit... ce que tu as dit ? Tu ne pouvais pas te voir, évidemment - si tu avais vu tes yeux à ce moment-là ! - mais tu n'as vraiment pas entendu ta voix ?... Tu dis que ça n'a jamais rien eu à voir avec moi, ni avec ce que j'ai fait ou pas fait, ni avec ce que j'ai été ou pas été, mais les autres, eux, ils n'étaient pas dans ta tête pour savoir ce que tu pensais ! Ils étaient dans la même position que moi ! Crois-tu vraiment qu'ils l'ont compris comme tu le voudrais ? Comme s'ils étaient dans ta tête ?... Tu peux être sûr qu'ils l'ont compris comme moi. Et qu'ils en ont tiré les mêmes conclusions. Peut-être même encore pire !... C'est notre intimité que tu as salie, Siegfried ! Tu l'as exposée aux moqueries de tous ! Tu as sali notre couple ! Tu nous as salis tous les deux ! Tu le comprends, ça ?... Et tu oses encore dire que ça n'avait rien à voir avec moi ?...
La voix de Mélusine, qui a pas arrêté de gonfler, se brise dans un sanglot. Vite elle détourne la tête pour que Siegfried ne voie pas ses larmes.
Siegfried, lui, baisse la sienne et se la prend dans les mains.
- Mon Dieu, qu'ai-je fait ? Qu'ai-je fait ? Qu'est-ce que j'ai fait ?...
Mélusine tente de maîtriser sa voix.
- Tu es vraiment inconscient à ce point, Siegfried ?...
Silence lourd, de quelques secondes sans doute mais longues comme des siècles. Rompu par Siegfried qui a relevé la tête et regarde fixement droit devant lui.
- Je n'ai jamais pensé que la chose pouvait être prise de cette façon. Dans mon esprit, c'était clair que tout le monde savait ce que nous sommes l'un pour l'autre et que personne n'aurait jamais l'idée de remettre cela en question.
La voix de Mélusine déchire le calme apparent créé par celle de Siegfried :
- Eh bien bravo, tu leur en as donné l'idée. Tu me l'as même donnée à moi, c'est dire. Bravo.
Siegfried baisse à nouveau la tête et se la reprend dans les mains.
- Je voulais juste organiser l'exécution d'un vœu de renoncement. Je n'avais rien d'autre à l'esprit.
- Eh bien tu aurais dû.
Un moment de silence, et puis :
- Dis-moi, Siegfried... Tu en as encore d'autres en réserve, des vœux du genre ? Des "vœux de renoncement", comme tu les appelles ? C'est quoi le prochain ? C'est quoi la suite ? Tu vas sacrifier tes enfants ? Tuer ton fils premier-né ? Vendre ce château, ou même le donner ? Renvoyer les domestiques ? Détruire la ville ? Combler l'Alzette ? Te jeter du haut des remparts, et qu'après tout le monde se débrouille ?... Dis-moi, Siegfried, c'est quoi la suite ? Que comptes-tu encore faire ? Qu'on puisse au moins se préparer ?...
La voix de Siegfried se fait grinçante
- Rien d'aussi extrême. Si ça peut te rassurer.
- Tu vas te contenter de te laisser mourir alors ? Tu vas te laisser dépérir ? Et ce que nous sommes en train de faire maintenant, c'est nous dire adieu ? C'est pour ça que tu voulais me voir ? C'est pour ça que tu m'as demandé pardon ? Tu espérais partir en paix ? C'est ça ?
- Mélusine !
Siegfried a vivement relevé la tête vers elle.
Aussitôt Mélusine regrette ce qu'elle vient de dire. Son cœur se serre à ce qu'elle vient d'évoquer. Et la partie d'elle-même qui la pousse à la résistance lui en veut pour ce cœur qui se serre.
En réalisant à quel point ses émotions sont partagées, elle a un rire bref.
- Dois-je te demander pardon à mon tour, Siegfried ?... Toute cette affaire me fait tellement mal que je ne sais même plus ce que je dis. Tu m'as blessée bien plus profondément que tu seras jamais capable de l'imaginer. Et après ça, tu me rappelles, tu me dis de revenir, et tu me demandes d'oublier tout, de tirer un trait sur tout cela et de faire comme si rien ne s'était passé.
Le torrent de larmes qui s'annonce l'oblige encore une fois à détourner la tête.
- Non mais tu crois que ça s'oublie, quelque chose comme ça ? Tu crois que ça s'efface ? Que ça peut s'effacer ? Comme des dessins que l'on trace sur la boue des berges de l'Alzette ?
La tête de Siegfried vient se reposer sur la colonne.
- Finalement, renoncer à l'amour, renoncer à son âme... c'est la même chose. C'est tout un.
Une onde traverse brutalement la tête et le corps de Mélusine, qui tourne brusquement la tête vers lui.
- Que dis-tu là, Siegfried ? Que veux-tu dire par là ?
Musique : HAVASI - Prelude | Age of Heroes
Épisode 46 : Des profondeurs...
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