Reine de beauté
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Reine de beauté
— Pépette, c'est toi, ma Pépette ? Ce qui devait arriver, arriva.
Après le départ d'Agnès, je suis chamboulé, son baiser m'a retourné et me laisse un goût incertain sur les lèvres. Je ne sais plus trop sur quel pied danser, je la côtoie depuis tant années, elle était la femme de mon meilleur ami, Édouard, et à ce titre, je l'ai toujours considérée comme telle. Si elle avait été disponible, aurais-je fait ma vie avec elle ? Je n'ai pas de réponse, et c'est bien ce qui me rend fou, alors, je décide de descendre Pépette, une petite balade me fera du bien.
C'est un jour de la semaine comme les autres, dès la porte cochère de mon immeuble franchit, je m'insère dans le flot de passants pressés d'arriver à l'heure au travail. La démarche urgente du robot servile ne s'oublie pas, j'ai quitté ce monde depuis peu, mais les vieux réflexes persistent, bien malgré moi, et à la première ruelle venue, je m'évade, j'abandonne la nuée disciplinée et me lance dans une impasse où les voitures ne peuvent se garer que d'un côté et dont la fin se termine par un escalier, perpendiculaire au boulevard. Pépette aussi reprend de la vigueur, ce monde n'a rien d'humain, à vrai dire, je me projette sur cette chienne, car elle est toujours de bonne humeur, un rien l'enchante, alors que moi… tout me déchante.
Je retrouve un peu de sérénité, de chaque côté des trottoirs, les façades des immeubles se font face et j'imagine que d'une fenêtre de l'un, tu peux lire le journal par-dessus l'épaule de ton voisin d'en face. Au pied des escaliers, qui mènent au boulevard, une dame âgée entame péniblement sa montée et s'accroche à la rambarde, de l'autre main, elle tire une sacoche à roulette, dans laquelle, je suppose, elle range ses courses. Je suis devenu gentil, aimable, serviable, je m'empresse de lui proposer mon aide. C'est à cet instant que je la reconnais, il s'agit de la dame qui lançait un appel à la télévision de quartier pour retrouver sa chienne qu'elle venait de perdre. Un vent de panique s'empare de moi, discrètement, je cherche Pépette, qui traîne et s'attarde sur la pisse d'un de ses congénères, un jour, il faudra bien que quelqu'un m'explique la finalité de cet étrange rituel.
— Pépette, c'est toi, ma Pépette ? lui demande la vieille dame.
Je suis confus et perds toute contenance, si je rentre sans la chienne, Trésor va me maudire, elles sont inséparables depuis qu'elles se sont trouvées. La chienne gravit les escaliers en se trémoussant, elle gambade, insouciante, mais ne s'attarde pas sur son ancienne maîtresse, au contraire, elle l'ignore. La vieille femme m'explique, ce que je sais déjà, qu'elle a perdu sa chienne, la même que la mienne, que celle-ci lui manque terriblement. Je la presse à monter les dernières marches, je n'ai qu'une envie, prendre mes jambes à mon cou, fuir et la laisser en plan. En me remerciant, elle me lance :
— Elle a besoin d'un bon bain, la mienne était reine de beauté, et ne supportait pas la saleté.
[À suivre]