Chapitre 3
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Chapitre 3
Le soir du catapultage et de la crevaison de l’abcès.
C’est l’heure du coucher. Je saupoudre la petite histoire de gros câlins, avant de border mes enfants dans leur lit. Je les aime plus que tout.
— Papa va avoir une nouvelle maison. Vous pourrez lui rendre visite.
— Et il y aura moins de disputes ?
— Oui, ce sera plus calme. Je vous aime. Dodo maintenant, mes galopins que j’aime.
Ma voisine Dune toque à la porte pour un ultime débriefing de cette journée forte en émotions. Nous sommes allongées sur les transats du balcon. Les bruits des familles s’échappent du crépuscule des fenêtres. Nous passons au scanner les derniers rebondissements. Ma voisine fume une cigarette, tranquillement. J’ingère des quantités d’infusion de camomille.
Nous passons au scanner les derniers rebondissements.
— Tu es libre maintenant !
— Oui, mais ça fait quelque temps que je n’étais plus liée à Berniqueji.
— C’est le moment de prendre du temps pour toi...
— Tu veux dire faire le point ?
— Oui, regarde, moi je suis bien toute seule ! Ça me permet de savoir ce que je veux exactement...T’inquiète, prends ton temps. Crois-moi, tu as la vie devant toi, je me débrouille bien, regarde, j’ai rencontré du monde avec mon boulot.
Dune vient de recevoir un texto. Elle y jette un œil. Se crispe net. Elle allume nerveusement une cigarette. Ne la finit pas avant d’en attraper une autre dans son paquet. Dune lâche d’un coup :
— Ana a réussi son entretien, elle vient de m’annoncer qu’elle part faire son master à l’étranger.
Ana est la fille unique de Dune. Elle a l’insolence éclatante de ses vingt ans. Je suis ravie qu’Ana fraie son chemin parmi les jeunes adultes. C’est ma filleule et je la suis de très près.
Quelques mois après mon emménagement dans cet immeuble et du bas de ses quatorze ans, Ana demande à suivre les cours de catéchèse de la paroisse. Dune est terrifiée et bousculée au plus profond de son anticléricalisme. Une hérésie dans un nid de framboises. Encore plus tard, elle demande à se faire baptiser. On réanime Dune à coup de tapette à mouches. Tout naturellement, Ana me demande d’être sa marraine. J’accepte cette responsabilité, sans trop savoir en quoi elle consiste. Je vais tâtonner et suivre mon instinct. Son accompagnement dans la construction de sa vie se trouve facilité par notre proximité géographique.
Dune ne parle plus. Où part Ana ? Face à son silence, je me le demande sans pour autant la questionner directement. De petites bulles de secondes s’échappent, le temps de préparer ses mots à la rugosité adverse de l’extérieur. Lentement, Dune s’égrène d’une petite voix étranglée.
— Tu te rappelles ? Elle avait d’abord demandé à partir à Londres ou Madrid. L’université lui a proposé une autre destination et elle a déjà dit oui.
Dune est contrariée.
— Super, elle sera dans un échange universitaire, résonne ma voix dans la fraîcheur de la nuit.
— Évidemment !
Elle fait la grimace et se redresse d’un coup de son transat.
- Petit bémol, on lui propose Berlin. Hors de question que je la laisse faire. C’est beaucoup trop loin. Ni elle ni moi ne sommes prêtes.
Dune est inquiète. Je la vois se tortiller. Elle étire les jointures de ses doigts qui craquent d’une manière sinistre dans la pénombre du balcon. Dune est phobique : peur des petites bêtes, peur de la multitude, peur des avions, peur de lâcher sa fille et de fissurer le nid. Toutes ces peurs nourrissent son imaginaire artistique. Dune est une peintre affolante doublée d’un chantre social. Elle aime porter des causes sociales. Les relations sont conflictuelles entre Dune et sa fille. Difficile de m’immiscer.
Chacune dans ses pensées. Le silence rampe et gravite autour de la charge émotionnelle de la journée placée sous le signe du départ. Pour des motifs bien différents, Berniqueji et Ana s’envolent.
Dune se lève pour regagner son cocon. Elle referme la porte d’entrée dans une infinie douceur, soucieuse de préserver le sommeil de mes enfants. Silence de la nuit citadine.
Trop de lumières pour m’imprégner d’un noir profond. Je suis fatiguée et secouée par ma journée. Une minute de trop, cerveau ballant sur le balcon. En m’extirpant de mon enfoncement dans le transat, je bascule sur le barbecue. Je m’empale sur le manche d’une trottinette abandonnée sur un vrac de casques et de pots de fleurs vides. Joie de l’exubérance de la jeunesse. Avant de se ranger, la jeunesse se dérange. Berlin ou les trottinettes, le chaos apparent amène l’ordre. Écrabouillée sur le tas hétéroclite du balcon, je pense très fort qu’il est temps d’aller au lit. Ce soir-là, je me couche avec des monticules d’interrogations sur le sort de Berniqueji et la folle aventure dans laquelle se lance Ana.