un détour par Brassens
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un détour par Brassens
Les temps des métamorphoses (24)
l'essence de l'anecdote
Laissez-moi maintenant vous raconter une histoire qui nous donnera un nouvel éclairage et nous emmènera un peu plus loin dans la réflexion. Vous trouverez peut-être que cela n'a rien à voir avec notre sujet. J'affirme moi au contraire que cela a tout à voir. Placer côte à côte des éléments a priori hétéroclites permet de mettre les choses en perspective. C'est la vertu de l'anecdote, son sens même. Que cela ait ou non quelque chose à voir est accessoire en fin de compte. Tout ne peut pas toujours servir, il faut souffler un peu. Ou bien peut-être que tout sert, y compris les temps morts. Ne dit-on pas du silence qui suit une œuvre de Mozart que c'est encore du Mozart?
Un jour à Paris, Georges Brassens se promène chez les bouquinistes et tombe sur le recueil de poèmes d'un certain Antoine Pol. Le livre, Émotions poétiques, avait été édité à compte d'auteur en 1918. Brassens le découvre en 1942. Il en extrait un texte, Les Passantes, sur lequel il va travailler durant plusieurs années avant d'en livrer une version définitive, c'est-à-dire assez satisfaisante à son goût pour mériter d'être enregistrée, en 1972, trente ans plus tard, sur l'album Fernande. Pendant ces trente années, il a éprouvé le texte, l'a usé, l'a travaillé, retravaillé, fait certaines coupes, et a essayé d'innombrables mélodies. On sait que Brassens travaillait comme un artisan, avec minutie, et éreintait ses chansons par la répétition, pour en éliminer les faiblesses et les imprécisions, jusqu'à en faire apparaître l'essentiel, comme un sculpteur qui enlève le trop-plein de roche pour faire surgir une silhouette. Cette façon de faire est à l'exact opposé de celle d'Alain Péters qui fonctionnait à l'impulsion, dont les textes et la musique jaillissaient hors de lui d'un seul coup, finis, et à qui une seule prise suffisait pour avoir ce qu'il voulait. Si la technique employée change du tout au tout, l'intention initiale est la même. Dans les deux cas il s'agit de l'adaptation d'un poème.
les mots les mélodies
Au cours de sa carrière, Georges Brassens a mis de nombreux poètes en musique, des classiques conventionnels (Corneille, Théodore de Banville) ou moins (François Villon), aux plus illustres romantiques (Musset, Hugo, Lamartine), en traversant l’œuvre de plus humbles artisans de la lenteur, du quotidien et de la terre (Jean Richepin, Francis Jammes, Paul Fort). Mais les passantes est une chanson qui fait date dans sa discographie, en cela qu'il détache ici du néant un nom absolument inconnu, Antoine Pol, pour le placer sur un pied d'égalité avec les poètes les plus renommés. Tout devient la même matière à chansons. Bien entendu les thèmes, la syntaxe et le vocabulaire de chacun ne sont pas du tout les mêmes et, sans connaître le nom des auteurs, on sent rien qu'en les lisant qu'ils écrivent parfois à plusieurs siècles d'intervalle, dans des conditions et des contextes très différents. La mort n'a pas la même saveur chez Lamartine:
« Voilà les feuilles sans sève
Qui tombent sur le gazon »
que chez Paul Fort :
« Il est mort par un éclair blanc
« Tous derrière et lui devant ».
Lamartine est mélancolique, il se complaît dans une douleur lancinante, même s'il peut être très direct dans ses formulations :
« Et quand je dis en moi-même
Où sont ceux que ton cœur aime ?
Je regarde le gazon ».
Pour un romantique comme lui, la réalité n'est pas tue, au contraire, elle est considérée comme un fait dont on doit prendre acte : tous ceux qu'il aimait sont morts et enterrés, sous terre, sous le gazon qui a repoussé. De cette prise de conscience découlent des sentiments qui sont les fils dont il tisse ses poèmes. Paul Fort expose les mêmes faits mais s'en tient à eux. Pour lui la vie et la mort sont deux réalités si terribles qu'il n'est nul besoin de s'appesantir sur la joie ou la peine. Ce sont les situations qui font éclater l'émotion. Cette émotion n'a pas besoin d'être mise en mots. Elle reste chez lui implicite.
première rencontre
Rassemblons maintenant un groupe d'enfants qui n'ont jamais entendu parler, ou que très vaguement, de Brassens, de Victor Hugo ou de Jean Richepin, et faisons-leur écouter quelques chansons. Pour eux, il n'y a pas d'arrière-plan culturel, aucun passé, tout est pris au premier degré, tout est nouveau et tout se vaut. La posture intellectuelle est des plus rafraîchissantes. On aimerait pouvoir la renouveler et ressentir encore ce que l'on a ressenti en découvrant une œuvre pour la première fois. Ces enfants écouteront toutes les chansons avec la même attention, ou la même indifférence d'ailleurs, sans conférer plus de valeur a priori à certaines paroles plutôt qu'à d'autres. Il y a même fort à parier que leur préférence ira au Petit cheval de Paul Fort plutôt qu'aux Pensées des morts de Lamartine. Alors est-ce que le fait de plaire aux enfants fait de Paul Fort un poète moins noble que Lamartine ou est-ce plutôt le contraire ? C'est un autre débat.
un tout petit supplément d'âme
Dans tous les cas, la musique offre à un poème la possibilité d'exister autrement, dans une dimension aérienne. Elle l'extrait d'un contexte figé, écrit, scolaire, intellectuel, voire snob. Il prend grâce à elle un nouvel essor, sans classement, sans pedigree. Le texte est dépouillé de son contexte, pris pour lui-même, défait avant d'être reconstruit paré d'un surcroît d'âme. Elle lui permet aussi d'élargir son audience. Sans Brassens, il y avait peu de chances qu'Antoine Pol prenne autant d'envergure, de même que sans Alain Péters, Pierre Vidot et les autres musiciens, l’œuvre de Jean Albany serait sans doute restée encore plus confidentielle qu'elle ne l'est aujourd'hui.
Par ailleurs, personne n'est jamais tenu de mettre un poème en musique. L'adaptation est toujours de l'ordre du choix. En cela elle est révélatrice d'une esthétique personnelle : elle en dit tout autant sur l'intime et la personnalité du chanteur que s'il avait écrit les paroles lui-même. Puisque l'exercice relève d'une démarche spécifique, volontaire et non contrainte, d'un vrai choix donc, il prend une saveur particulière à laquelle il faut porter la plus grande attention.
Ainsi Alain Péters, qui n'a enregistré sous son nom qu'une vingtaine de chansons, a tout de même choisi cinq textes de Jean Albany : Plime la misère, La Pêche Bernica et Mon joli, mon joli marmaille, présents sur l'album chante Albany, ainsi que Bébétt' coco et L'Tonton Alfred, qui feront l'objet d'un 45 tours spécifique. Cela représente près d'un quart de son œuvre. Et le pourcentage augmente encore si l'on considère que quatre de ses titres sont des morceaux instrumentaux : Maya, Complainte pour mon défunt papa et Ti cabart (1 et 2). Plus d'un quart des chansons d'Alain Péters ont donc été écrites par un autre que lui. Sans compter que l'instrumental Ti cabart a été composé spécialement pour la cassette Chante Albany. C'est dire l'importance du poète pour notre chanteur.
Les cinq chansons signées Jean Albany ne détonnent pas dans l’œuvre d'Alain Péters. Au contraire, elles s'y intègrent à merveille, aussi bien, peut-être mieux que s'il les avait écrites lui-même. Brassens a dit un jour que s'il n'avait pas écrit lui-même ses textes, il aurait choisi Paul Fort comme parolier. Alain Péters aurait pu dire la même chose de Jean Albany. Dans cette œuvre si petite par son volume mais si vaste par sa portée, si déterminante pour la reconnaissance internationale du maloya, si exigeante, si fondamentale, le chanteur a fait sienne la créolie imaginée par Jean Albany, profondément sienne. Cela fait aussi du poète une voix incontournable du maloya.
et quant au supplément au supplément, on le doit à Eric Ausseil, merci à lui.
Stéphane Hoegel 2 anni fa
Cette mise en parallèle, anecdotique comme tu le dis, reste en effet très parlante !