Une introduction
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Une introduction
La mort n'est pas une fin
Alain Péters est mort le 12 juillet 1995, foudroyé en pleine rue par une crise cardiaque. Il laisse derrière lui une œuvre singulière, qui s'inscrit dans un patrimoine musical riche et mouvant. Ses chansons dépassent tout ce qui s'est fait d'autre sur l'île de La Réunion. Elles sont la synthèse de l'histoire, de la musique et de la langue d'une terre bien plus proche de nous que ce que pourrait nous laisser croire l'éloignement géographique. Alain Péters s'y raconte avec une simplicité bouleversante et bouscule l'ordre établi.
L'histoire n'est pas un long fleuve tranquille
La création artistique n'est pas une ligne continue, un flot constant qui avance toujours à la même vitesse. C'est plutôt un torrent dont le cours est tributaire des cahots, des personnalités. Un seul homme peut toujours tout changer à tout moment et donner à l'histoire une nouvelle orientation, une autre voie à explorer. L'histoire de l'art dans son ensemble n'est qu'accidents. Elle dépend de quelques grandes figures qui ont su imposer des œuvres hors normes et casser ainsi le cours lent des choses, en ne répondant pas aux attentes précises d'un public, mais en créant de nouvelles possibilités à partir de rien. Il est impossible de savoir à quoi aurait pu ressembler notre paysage culturel si l'une ou l'autre de ces grandes figures n'avait jamais existé, ou si un autre artiste avait pu imposer une nouvelle voie. L'histoire déborde de génies inconnus restés dans l'obscurité et le silence, dont on peut soupçonner l'existence mais pas concevoir le manque qu'ils seraient parvenus à combler. Nous devons vivre avec ce manque sans même savoir qu'il existe, en creux. Tant que personne ne vient nous indiquer une direction en particulier, on ne peut tout simplement pas savoir qu'elle existe, même si on est capable d'imaginer qu'il y a quelque chose. L'artiste fait apparaître le manque qui existait avant lui et le comble dans le même mouvement. C'est très apaisant. Tant qu'il ne fait rien, nous sommes comme des aveugles à qui on essaierait d'expliquer ce que sont les couleurs. Cela ne marche pas. Il faut nous les montrer. Si personne n'est en mesure de le faire, les couleurs restent mélangées au noir, attendant qu'une main ou qu'une voix ne les en détache.
La légende est en option
Alain Péters est un artiste de cette trempe. Il a ouvert le maloya, la musique traditionnelle de La Réunion, à une autre dimension. Il l'a transfiguré presque à lui tout seul. Mais de tels changements ne sont pas toujours des évidences. Il faut parfois du temps pour assimiler une révélation. Le génie prend alors des allures de maudit et fait figure de précurseur, incompris de son vivant car trop en avance sur son temps, pauvre souvent, même si cela ne semble pas l'affecter, malheureux dans tous les cas. Pour ces artistes-là, il n'est pas rare de voir la reconnaissance survenir après la mort, comme une résurrection, comme si cela changeait quelque chose pour ceux qui restent et doivent se dépêtrer du souvenir et de l'immense gâchis : les amis qui ont toujours été là en soutien, la famille qui a subi les sautes d'humeur, les excès, les accès de colère, la mélancolie, la dévastation, les disciples, ceux qui y ont toujours cru. Pour eux, voir la reconnaissance arriver après coup peut être douloureux. Le soulagement ne l'emporte pas forcément. Dans la vie, l'homme et l'artiste sont indissociables, ils forment un tout que la mort vient scinder. C'est par conséquent toujours une déchirure de voir l'image de l'artiste survivre au souvenir de l'homme. Dans la vie, tout se fond dans l’œuvre. L’œuvre fait sens. Dans la mort, c'est le mythe qui prend le dessus, l'imagerie, la légende. L’œuvre s'échappe. Elle permet de perpétuer un nom, un visage, un souvenir, le souvenir d'une voix, d'une posture. Chercher à retrouver dans l’œuvre et dans le souvenir l'homme disparu est un travail délicat et voué à l'échec permanent. Mais ce n'est pas parce que la fin est connue d'avance qu'il ne faut pas se lancer dans une telle bataille. Ce n'est pas parce que ça finit mal qu'il ne faut pas jouer. Au contraire. Seul le combat compte, si on est capable de mettre de côté le tragique de l'issue.
Toutes les illustrations sont d'Eric Ausseil, publiées avec son aimable autorisation. Pour en voir davantage c'est ici.
Un grand merci pour cette collaboration.