Je ne suis pas littérature
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Je ne suis pas littérature
Jean Ferrat, Je ne suis qu’un cri, disques Temey, 1985.
Le morceau titre est à retrouver ici.
Allez les enfants, foutez le boxon
Je me souviens d’une cassette enregistrée. L’album est paru en 1985, je devais avoir cinq ou six ans. Je me souviens de plusieurs chansons, comme L’Âne, sautillante, qui ressemble à une fable sans morale et reprend la thématique de l’animal de ferme parfois délaissé car trop vieux et inutile qui ne comprend ni la carotte ni le bâton, la rudesse du monde ancien, sans pitié ni tendresse (Le Petit âne gris, Hugues Aufray, Le Petit cheval, de Paul Fort, chanté par Georges Brassens, Coco de Maupassant, car en plus des notes, j’ai des lettres, attends un peu, tu vas comprendre pourquoi je dis ça), comme Petit (sur l’éducation, avec un Ferrat portant un regard attendri sur les rébellions de la jeunesse, tu m’étonnes ! Que je rapprocherait de On était tellement de gauche de Miossec : « allez les enfants, foutez le boxon », c’est lui), comme Concessions, au cours de laquelle le chanteur, comme on effeuille une marguerite, déshabille une fille qui n’est pas de son monde et dont il est amoureux, comme d’autres encore, un peu plus ennuyeuses.
Un cri pirate
Je me souviens surtout de la première chanson, celle qui donne son titre à l’album : Je ne suis qu’un cri, dont le sens refusait sans cesse de se laisser saisir malgré les écoutes répétées.
Morceaux choisis :
« Je ne suis pas littérature
Je ne suis pas photographie
Ni décoration, ni peinture
Ni traité de philosophie
…
Non je n’ai rien de littéraire
Je ne suis pas morceaux choisis
Je serais plutôt le contraire
De ce qu’on trouve en librairie
…
Mais je suis un cri qu’on abrège
Je suis la détresse infinie
Je ne suis qu’un cri »
La détresse infinie…
Je n’ai pas compris ce que c’était, mais j’ai compris que c’était quelque chose. Appelons cela pompeusement première expérience de la métaphore. Les mots pouvaient alors dire autre chose que ce qu’ils disent, et formaient des images. La fin du sens propre. Et cette révélation diffuse et maladroite faisait de moi un « littéraire » (froncement de nez suffisant), déjà, c’était la porte ouverte (bribes de paroles extraites d’une autre chanson de l’album, Le Cœur fragile : « je veux dormir, je veux mourir, la porte ouverte ») à tous les délires mal rétribués de cigale. Tant pis.
Une chaise vide après soi
Je me souviens d’être en voiture et d’entendre la nouvelle à la radio, je me souviens d’une tristesse revenue de nulle part, d’un émoi partagé pour un artiste pourtant plus que discret. Je me souviens d’avoir trouvé cela émouvant et beau, encourageant aussi, cette voix qui se faisait entendre sans crier, après tant de temps de silence.
Et cette dernière métaphore, au dos de l’album, une chaise laissée vide après soi.